DOCUMENT FRANCEINFO : "On a un sens à notre vie", raconte un migrant accueilli au centre pour mineurs isolés de Pantin
Médecins sans frontières a ouvert un centre d'accueil pour jeunes migrants sans famille à Pantin (Seine-Saint-Denis), début décembre. Deux semaines après son inauguration, franceinfo a pu visiter ce lieu unique qui permet d'aider ceux qui ne sont pas pris en charge par l'Etat.
Le mardi 5 décembre, Médecins sans frontières (MSF) a lancé un dispositif tout à fait innovant : un centre d'accueil pour jeunes migrants isolés. L'ONG a ouvert ce lieu à Pantin, en Seine-Saint-Denis, pour aider les milliers de mineurs arrivés en France sans famille et qui ne sont pas pris en charge par l'aide sociale à l'enfance.
MSF les aide à trouver leur chemin au sein d'un dispositif complexe, dans lequel l'évaluation de leur âge est crucial. Beaucoup d'entre eux ne sont pas reconnus comme mineurs et sont donc laissés pour compte. franceinfo a pu rencontrer en exclusivité ces jeunes accueillis à Pantin, mardi 19 décembre.
Un an et demi de voyage depuis le Mali
Au rez-de-chaussée du centre d'accueil, les murs sont blancs, avec de jolies photos de visages qui sourient. Les locaux sont neufs et lumineux. Une pancarte souhaite la bienvenue aux jeunes en français, anglais, arabe, farsi ou kurde. Derrière l'accueil, au fond d'un long couloir, une vingtaine de jeunes hommes sont rassemblés dans une petite salle joyeuse. Certains se servent du thé ou une part de gâteau, d'autres rechargent leur téléphone, passent un coup de fil, écoutent de la musique tranquillement installés dans un canapé ou se font une partie de baby foot.
Beaucoup ressentent le besoin de raconter leur histoire. "C'est tellement dur !", raconte ainsi Mouhamadou, 16 ans. L'adolescent vient du Mali, d'où il est parti il y a un an et demi. Depuis son départ de sa terre natale, il est passé par l'Algérie et surtout la Libye, l'enfer selon lui. "On nous frappait, on nous torturait", raconte-t-il. Il est ensuite monté dans un Zodiac percé pour rejoindre l'Italie : "Le bateau espagnol nous a sauvés."
L'arrivée en France, une désillusion
Depuis l'Italie, Mouhamadou a encore une dernière marche à gravir pour rejoindre le sol français : traverser les Alpes. "On a marché dans la neige toute la nuit, se souvient-il. On monte dans les montagnes, c'est risqué." Il atteint enfin Briançon (Hautes-Alpes), puis rejoint Paris en novembre. Il est alors pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. C'est la désillusion.
J'ai eu un entretien de quelques heures seulement. Le monsieur en face de moi m'a affirmé que je n'étais pas mineur. Tu ne peux pas regarder quelqu'un en face pour dire que ce n'est pas un mineur. C'est impossible.
Mouhamadou, Malien de 16 ansà franceinfo
Mouhamadou est déçu, lui qui espérait une fois en France retourner à l'école. "Le matin, on se réveille et on voit des gens qui ont un sac sur le dos et qui partent à l'école. On se dit : 'Pourquoi pas nous ?'" L'ouverture du centre pour jeunes migrants lui a donc permis de se sentir mieux. "On a un sens à notre vie."
Grâce à la structure, Mouhamadou se sent écouté, cru et surtout guidé. Assistante sociale, psychologue, infirmiere ou avocat... l'adolescent est accompagné. Le résultat est là : le 7 février, il doit rencontrer un juge, "pour qu'il reconnaisse enfin que je suis mineur et donc que j'ai besoin d'aide", soupire-t-il.
Près de 25 000 mineurs attendus en France en 2017
Le cas de Mouhamadou n'est qu'un exemple parmi les 25 000 migrants mineurs non accompagnés qui pourraient être arrivés en France cette année, selon les estimations du Sénat. En septembre dernier, environ 9 000 d'entre eux étaient reconnus comme mineurs. Une situation qui désespère Corinne Torre, chargée de mission France chez MSF.
25 000 mineurs, ce n'est quand même pas le bout de monde ! On est 68 millions d'habitants, je ne pense pas qu'on mette l'Etat en péril financièrement si on se donnait les moyens de les prendre en charge
Corinne Torre, chargée de mission France pour MSFà franceinfo
Corinne Torre estime que les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne disposent pas d'assez de moyens. "Ils sont complètement débordés et dépassés." Pourtant, pas question de pointer du doigt l'ASE. "On tape plutôt sur l'Etat en disant 'faites votre travail, recrutez des travailleurs sociaux qui puissent faire un travail digne de ce nom'." Elle affirme que beaucoup de travailleurs sociaux "dépriment totalement" à cause de leurs conditions de travail. "On leur demande de faire un travail qui est plutôt de dire 'on renvoie tous ces jeunes là dehors'."
Quoi qu'il arrive, les jeunes migrants sans famille finissent dehors. Le centre de Médecins sans frontières est ouvert de 9 heures à 17 heures. Le soir, ces mineurs prennent donc la direction de La Chapelle ou Stalingrad pour passer la nuit dans la rue. Mais "qui veut du miel dans sa vie doit avoir le courage d'affronter les abeilles", relativise Mouhamoudou, qui tient à conclure sur une note d'espoir avec un proverbe malien.
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