"Je ne suis pas un braqueur" : un habitant de la vallée de la Roya comparaît pour être venu en aide à des migrants
Cédric Herrou recueille et aide des migrants dans cette vallée des Alpes-Maritimes, à la frontière avec l'Italie. Il est jugé pour cela à partir de mercredi, et encourt jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Il est le symbole d'une vallée rebelle qui se mobilise depuis 2015 pour venir en aide aux migrants. Cédric Herrou, un agriculteur de 37 ans de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes) comparaît, mercredi 4 janvier devant le tribunal de Nice. Son tort ? Avoir véhiculé et hébergé des migrants clandestins. Le parquet estime que cet agriculteur et militant associatif n'a pas agi à titre humanitaire, mais par militantisme en aidant des migrants venus d'Italie et cherchant à trouver refuge en France ou ailleurs en Europe. La justice reproche également à Cédric Herrou d'aider ces migrants à poursuivre leur route, notamment en les conduisant dans des gares. L'agriculteur encourt jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Comme lui, des centaines d'habitants viennent en aide à ces hommes et femmes venus du Soudan, d'Erythrée ou du Nigeria et qui ont traversé l'enfer de la Libye et la Méditerranée pour en arriver là. France info a pu le rencontrer dans sa ferme où dorment, chaque soir, une dizaine de migrants.
France info : Comment vous sentez-vous à l'approche de cette audience ?
Cédric Herrou : Je suis fatigué. Je ne dors pas beaucoup. Forcément, cette histoire me prend la tête. J'ai cherché à médiatiser nos actions pour dénoncer ce qu'il se passe dans notre vallée [il a même été élu "Azuréen de l'année" par les lecteurs de Nice-Matin]. Et j'étais bien conscient que cela pouvait se terminer ainsi. J'aurais juste aimé qu'avant d'entamer cette procédure, les pouvoirs publics et les élus viennent voir ce que je fais ici. Mais bon, ce procès sera justement l'occasion de l'expliquer. J'espère juste être à la hauteur.
Qu'est-ce que vous comptez leur dire, justement ?
Depuis que la frontière s'est refermée avec l'Italie avec l'état d'urgence, notre vallée est en souffrance. On voit des gens blessés, fragilisés, dans un état psychologique complètement désastreux. Et ils sont bloqués. Quelles ont été mes actions ? De m'arrêter pour prendre en charge des familles et des gamins perdus au bord de la route. Sous prétexte qu'ils soient sans papiers et qu'ils soient noirs, on me demanderait de ne pas leur venir en aide ? Peu importe la couleur ou l'origine, j'ai toujours pris des gens en stop.
Mais que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d'avoir joué le rôle de passeur en les aidant à prendre un train ou un bus pour continuer leur chemin en France ?
Je leur ai fait franchir des dangers, c'est tout. Et je n'ai pas de problème avec cela. Les gens me demandent pourquoi je les aide à quitter les Alpes-Maritimes. Mais parce qu'ici, ces personnes sont en danger et que leurs droits ne sont pas respectés. Un mineur isolé et en situation irrégulière, ça n'existe pas dans le droit français. Quand un enfant arrive sur le sol français, il doit être pris en charge. Mais c'est compliqué et très long. C'est pour ça que je les aide en constituant un dossier pour chaque enfant auprès de l'Aide sociale à l'enfance.
Concrètement, ce que l'on fait arrange tout le monde. Dans la Roya, on s'occupe des gens qui dorment dehors, il n'y a pas de vols parce que les gens sont nourris, les enfants sont accueillis chez l'habitant... Non, ce qui dérange, c'est que des citoyens s'occupent de politique. Alors que, s'ils ont fait ça, c'est parce que l'Etat ne fait rien.
Quand je vois, à 7 heures du matin, sept gamines de 17 ans dormir au milieu de la route, en sachant qu'il y a des réseaux mafieux de passeurs, de prostitution, de pédophilie qui rôdent et qui les menacent, je ne vais pas les prendre, les mettre devant la pharmacie de Vintimille [Italie], et leur dire d'attendre qu'elle ouvre. Ce sont des problèmes graves contre lesquels rien n'est fait.
Justement, expliquez-nous comment vous leur venez en aide ?
Je prends en priorité des filles et des femmes. J'ai une collègue qui s'en charge plus spécifiquement. Au départ, c'est la vie simple : on leur offre un toit, à manger ainsi que la possibilité de se laver. Un médecin ou des infirmières passent si elles ont besoin d'être soignées. On ne pose pas de questions. Ce n'est qu'après plusieurs jours qu'on leur demande ce qu'elles veulent désormais faire, pourquoi elles sont là, si elles ont de la famille. Lorsque l'on recueille une femme enceinte, on l'aide à retrouver son mari. On fait ce qui est en notre pouvoir pour les aider, parce qu'il n'y a pas d'autre solution !
En cas de condamnation ce mercredi, vous comptez arrêter ?
Non. Et le problème est là. Si jamais je suis condamné à du sursis, je vais continuer, avec la perspective de la prison après. [Il s'arrête et réfléchit longuement avant de reprendre]. Mais j'ai du monde derrière moi et c'est important. Je ne suis pas un braqueur de banque ou quelqu'un qui fait mal à d'autres gens, juste un citoyen qui se mêle de politique. C'est pour ça que je suis confiant. Si quelqu'un m'explique que ce n'est pas bien et qu'il y a d'autres solutions, OK. Mais pour le moment, ce n'est pas le cas. Je ne veux pas être complice d'un système. L'histoire avec un grand "H" s'écrit tous les jours, et je n'ai pas envie de devoir expliquer à mes enfants que je n'ai rien fait.
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