Naufrage d'un bateau de migrants en Grèce : ce que l'on sait du drame qui a fait au moins 78 morts et "des centaines" de disparus
Un drame qui relance les interrogations sur la politique migratoire européenne. Après le naufrage, dans la nuit de mardi à mercredi, d'un bateau transportant plusieurs centaines d'exilés au large de la péninsule du Péloponnèse, 78 corps ont été repêchés, selon un bilan provisoire. Les autorités grecques poursuivaient les recherches, jeudi 15 juin. Le Premier ministre intérimaire, Ioannis Sarmas, adécrété trois jours de deuil dans le pays.
"Il pourrait s'agir de la pire tragédie maritime de ces dernières années en Grèce", a affirmé Stella Nanou, du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), sur la chaîne de télévision publique ERT. Ce drame provoque une nouvelle fois l'indignation des ONG. Voici ce que l'on sait des conditions du naufrage et des questions qu'il soulève.
Un bilan qui pourrait encore s'alourdir
Le naufrage est survenu dans la nuit de mardi à mercredi au sud-ouest de la péninsule grecque, à 47 milles marins (environ 87 kilomètresà de Pylos. Depuis, 78 corps ont été retrouvés en mer, selon les gardes-côtes grecs, qui avaient dans un premier temps parlé de 79 décès. Ce bilan, déjà le plus lourd depuis juin 2016 et la disparition d'au moins 320 personnes, pourrait encore évoluer. Selon les garde-côtes grecs, l'embarcation transportait des "centaines" de migrants. "Le navire faisait de 25 à 30 mètres de long. Le pont était bondé, et nous pensons que l'intérieur l'était aussi", a déclaré à la chaîne de télévision ERT le porte-parole des gardes-côtes, Nikolaos Alexiou.
"Nous ne savons pas combien de personnes étaient à l'intérieur, mais nous savons qu'il est habituel pour les passeurs de les enfermer, afin de maintenir le contrôle à bord", a abondé un porte-parole du gouvernement, Ilias Siakantari. Selon les autorités grecques, des personnes présentes sur le bateau de pêche ont assuré qu'elles étaient au moins 750 à bord, dont une centaine d'enfants.
Enfin, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a rapporté sur Twitter des "décomptes initiaux" faisant état de 400 passagers.
Pour l'instant, l'opération de sauvetage entamée mercredi matin a permis de secourir 104 personnes au total, selon les autorités locales. Les chaînes de télévision grecques ont montré les images de rescapés, couvertures grises sur les épaules et masques hygiéniques sur le visage, descendant d'un yacht venu leur porter secours en mer, comme l'impose le droit maritime. D'autres ont été évacués sur des civières. Outre les patrouilleurs de la police portuaire, une frégate de la marine de guerre grecque, un avion et un hélicoptère de l'armée de l'air ainsi que six bateaux qui naviguaient dans la zone ont participé à cette opération de sauvetage.
Un bateau repéré par Frontex mardi après-midi
Le drame est survenu peu après une panne de moteur survenue en pleine nuit, selon le porte-parole du gouvernement grec. Après avoir chaviré dans les eaux les plus profondes de la Méditerranée, le bateau de pêche a coulé en une quinzaine de minutes. Selon les garde-côtes, personne à bord ne portait de gilet de sauvetage. Une exigence des passeurs qui entendent remplir un maximum les navires, au détriment de la sécurité.
L'embarcation avait été repérée dès mardi après-midi par un avion de Frontex, l'agence européenne de surveillance des frontières. "C'est vraiment choquant d'entendre que Frontex a survolé le bateau et qu'il n'y a pas eu d'intervention parce que le bateau a refusé toute aide", s'est insurgé mercredi sur franceinfo Jérôme Tubiana, responsable du plaidoyer migrations pour l'ONG Médecins sans frontières. "Un bateau surchargé est un bateau en détresse, donc il n'y a pas de question de son état ou de sa capacité à continuer sa route", a-t-il expliqué.
Selon un précédent communiqué des autorités portuaires grecques, au moment de cette première prise de contact avec l'embarcation surchargée, les personnes à bord avaient "refusé toute aide".
Une route plus dangereuse empruntée pour contourner la Grèce
Le navire naufragé avait appareillé de Libye à destination de l'Italie, selon Athènes, en empruntant la Méditerranée centrale. Une route plus longue, qui a connu un regain de fréquentation ces derniers mois, selon Le Monde, qui s'appuie sur des données de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime.
Invitée de France Inter, Louise Guillaumat, directrice adjointe des opérations de SOS Méditerranée, a dit observer "depuis le début de l'année en Méditerranée centrale une explosion du nombre de départs [de bateaux de migrants] depuis toute la côte libyenne et de la Tunisie". "On a plus de 1 000 morts visibles depuis le début de l'année, c'est-à-dire les corps qu'on peut décompter", ce qui signifie que "les chiffres sont largement en dessous de la réalité", affirme-t-elle.
Si la Grèce est un passage habituel pour beaucoup de ceux qui cherchent à rejoindre l'Europe, particulièrement depuis la Turquie toute proche. Or, depuis plusieurs mois, les migrants cherchent à éviter la Grèce, quitte à emprunter des voies maritimes biens plus dangereuses. Frontex "s'est déjà fait épingler notamment dans cette zone-là, pour avoir organisé avec la Grèce des refoulements tout à fait illégaux de demandeurs d'asile vers la Turquie", a rappelé mercredi Jérôme Tubiana.
Dans un rapport révélé par des médias en juillet 2022, l'Office européen de la lutte contre la fraude mettait en cause les garde-côtes grecs, accusés de pratiquer le "pushback", une technique de renvoi illégal des migrants vers la Turquie, opérée sous couvert de l'agence européenne Frontex, pour les décourager de pénétrer sur le sol européen. Plus récemment, en mai, le New York Times a publié une vidéo et des témoignages accusant les autorités grecques de refouler des migrants, dont des enfants.
Les ONG somment les Etats d'agir
Louise Guillaumat a plaidé jeudi matin sur France Inter pour la création d'une "force de recherche et de sauvetage européenne pour un déploiement immédiat en Méditerranée". Pour Florence Rigal, présidente de l'ONG Médecins du monde et invitée jeudi matin sur franceinfo, c'est toute l'organisation du sauvetage en mer qu'il faut renforcer en Méditerranée. "On réclame une vraie politique de sauvetage en mer, portée par les Etats, a-t-elle déclaré. On laisse le secours en mer à des associations, des organisations de la société civile auxquelles on multiplie les entraves", a-t-elle dénoncé.
Elle souhaite notamment que Frontex s'engage dans le sauvetage en mer. "C'est l'ensemble des Etats qui doivent se mobiliser pour mettre des bateaux sur place. De toute façon, les personnes se déplacent", dit-elle. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'est dite "profondément attristée" et a assuré dans un tweet que les Etats membres de l'UE devaient "continuer à travailler ensemble, avec (...) les pays tiers, pour éviter de telles tragédies".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.