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Rachel, Nasser, Jorin… A Kos, des touristes dédient leurs vacances aux migrants

Alors que des milliers de migrants ont débarqué dans la station balnéaire grecque en pleine saison touristique, quelques âmes généreuses organisent une aide humanitaire à petite échelle.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - De notre envoyé spécial à Kos (Grèce),
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des touristes hollandais distribuent des bouteilles d'eau aux migrants qui attendent devant le poste de police de Kos (Grèce), le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Chaque jour, la même scène se répète devant le commissariat central de Kos. Des centaines de migrants se pressent contre les barrières qui bloquent l'accès au poste de police. Débarqués sur cette petite île de Grèce en provenance de Bodrum, la station balnéaire de Turquie, de l'autre côté d'un mince bras de la mer Egée, ces voyageurs clandestins viennent se faire enregistrer.

Objectif : obtenir le précieux laissez-passer qui les autorise à rester sur le territoire grec pendant un mois – ou six pour les Syriens, considérés comme des réfugiés de guerre. Un permis de transit qui leur assure aussi une place dans un bateau pour Athènes. De quoi poursuivre leur voyage vers le nord de l'Europe.

Des migrants attendent de pouvoir se faire enregistrer au commissariat de police de Kos (Grèce), le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)
 

Casquettes, polos, poussette et bouteilles d'eau

Au milieu de cette foule parfois à cran, un petit groupe de touristes en casquettes blanches et polos assortis – presque un uniforme – distribue des bouteilles d'eau. Ces bénévoles sont des Hollandais qui ont pris un peu de temps sur leurs vacances pour venir en aide aux migrants. Ils sont membres de la fondation caritative Stichting Hulpactie Bootvluchtelingen. Ils sont une demi-douzaine. Trois de leurs compatriotes en villégiature sur l'île, un père, une mère et leur fille, ont proposé de leur prêter main-forte. "Cela a commencé par un appel aux bonnes volontés lancé sur notre page Facebook", explique Jorin, étudiante. "La fondation est là depuis trois semaines et les bénévoles se relaient." Une fois la distribution terminée, les Hollandais ramassent les bouteilles d'eau jetées par terre.

Au même moment, sur la promenade du front de mer, un homme est pris d'assaut. Il distribue lui aussi de l'eau. Des hommes s'arrachent les bouteilles, essayant d'en emporter le plus possible. Leur bienfaiteur est dévalisé en quelques secondes. Il en sourit. Il s'appelle Nasser. Il est allemand. Il habite Cologne. Avec sa femme et ses deux enfants, il est en vacances à Kos pour une semaine. La poussette du petit dernier lui sert de charriot.

Nasser, touriste allemand en vacances à Kos (Grèce), le 20  août 2015, assailli de migrants venant prendre les bouteilles d'eau qu'il leur donne. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"Nous voulions partir en vacances en Tunisie. Mais, après les attentats de Tunis et de Sousse, nous avons changé d'avis", raconte Nasser. Il a proposé à son épouse de partir en Turquie. Elle lui a répondu que ce n'était pas sûr. Ils ont finalement opté pour la Grèce et cette jolie petite île ensoleillée baptisée Kos. Quelques jours avant leur départ, ils ont découvert à la télévision les images de cette crise migratoire. Ils ont décidé d'agir. "Demain, on aura une voiture de location. On essaiera d'apporter plus de choses", glisse Nasser. Il esquisse encore un sourire.

Nasser, touriste allemand en vacances à Kos (Grèce), le 20 août 2015, et la poussette qui lui sert à charrier les bouteilles d'eau qu'il offre aux migrants. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

En fin d'après-midi, les bénévoles hollandais sont de retour, cette fois au pied du rempart de la citadelle. Un attroupement s'est formé autour de leur petite voiture de location blanche. Une des membres de la fondation en sort des vêtements pour bébés qu'elle distribue aux mères qui se pressent autour d'elle, leurs bambins dans les bras. L'ambiance est joyeuse. Deux jeunes Hollandaises dansent et rient avec des enfants qui commencent à les connaître, à force de les voir tous les jours.

Une bénévole hollandaise aide les migrants en distribuant des vêtements à des mères et à leurs enfants, le 21 août 2015 à Kos (Grèce). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Sur la plage, deux Anglaises savourent, elles aussi, un moment de détente avec des migrants. Rachel vient de leur donner une crème antiseptique que les hommes se badigeonnent sur le dos en riant. Tout en les regardant faire, Sue parle à toute vitesse, d'une voix passionnée. Les deux femmes sont parvenues à collecter près de 3 000 livres (4 100 euros) sur internet pour lancer leur petite opération humanitaire. La compagnie aérienne grecque Olympic Air les a autorisées à emporter plus de 80 kilos de vêtements dans leurs valises, sans leur faire payer d'excédent de bagages. Elles sont arrivées il y a deux jours et depuis elles se démènent. Elles achètent des médicaments, des jouets, de la nourriture, de l'eau, qu'elles distribuent aux migrants.

"Hier, j'ai dû sauver un bébé de la noyade"

Rachel a 39 ans, elle habite Nottingham, dans le centre de l'Angleterre. Elle est mère de trois enfants et son mari est kurde. Elle s'est déjà rendue dans des camps de réfugiés en Turquie pour apporter son aide aux Kurdes yézidis ayant fui la menace de l'organisation Etat islamique. Une autre Rachel a l'âge d'être grand-mère. Elle est membre de la communauté kurde britannique et habite Barnsley, un peu plus au nord du pays. Dans sa ville, elle a lancé une collecte de fonds pour construire un monument à la mémoire d'un enfant du pays, Konstandinos Erik Scurfield. Ce vétéran des Royal Marines de 25 ans, aux ancêtres kurdes, grecs et britanniques, a été le premier citoyen anglais mort en combattant les jihadistes en Syrie.

Rachel et Sue, deux Britanniques organisant une aide humanitaire, s'inquiètent des vagues arrivant sur la plage où campent les migrants, le 21 août 2015 à Kos (Grèce). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Soudain, Sue s'affole : "Un ferry arrive. Il va encore faire plein de vagues et inonder les tentes." Vite, il faut pelleter du sable à grands coups de pagaies – celles des canots pneumatiques qui ont servi pour la traversée – pour renforcer les digues de fortune et les fossés que les migrants ont bâtis autour de leurs tentes. Le ferry entre dans le port, la houle grossit, l'eau monte jusqu'aux premières tentes, mais sans rien endommager. Sue et Rachel rattrapent les enfants qui veulent s'amuser dans l'eau. "Hier, j'ai dû sauver un bébé de la noyade", lâche-t-elle, sans fierté.

"Ces gens ont dû laisser derrière eux le peu qu'ils avaient. Ils se retrouvent ici sans rien. Et, le peu qu'ils ont, ils risquent encore de le perdre chaque jour. Les autorités ne font rien pour les aider. Il n'y a même pas de toilettes, pas de douches, nulle part où dormir décemment. Au début, ils ont été parqués dans un stade, après, on les a mis dans un hôtel insalubre. Ces gens dorment sur la plage, dans la rue. C'est indigne", s'offusque Sue. Alors qu'elle parle, le flot de touristes continue de se déverser dans Kos. Certains jettent un regard étonné à ce spectacle de misère. D'autres font mine de ne rien voir. Là, un père inquiet tire le bras de son fils qui s'éloignait. L'heure du dîner approche, les restaurants commencent à se remplir.

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