Reportage "C’est de la pure propagande électorale" : en Albanie, les centres de rétention pour migrants construits par l'Italie ne font pas l'unanimité

L'Italie construit en Albanie des centres de rétention pour accueillir les migrants sauvés en mer et examiner leur demande d'asile.
Article rédigé par franceinfo - Louis Seiller
Radio France
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Temps de lecture : 2 min
Un homme passe devant un centre pour migrants récemment construit par l'Italie dans le port de Shengjin, à environ 60 km au nord-ouest de Tirana en Albanie, le 5 juin 2024. (ADNAN BECI / AFP)

Giorgia Meloni en a fait l'un des symboles de sa politique contre l'immigration. Depuis quelques mois, l'Italie construit des camps de rétention de migrants de l'autre côté de l'Adriatique, en Albanie. Opérés par les autorités italiennes elles-mêmes, ces centres pourraient accueillir chaque année 36 000 personnes, secourues en mer, le temps que leurs demandes d'asile soient étudiées. Un projet soutenu par le Premier ministre albanais mais qui ne fait pas l'unanimité sur place.

Le bruit des tractopelles résonne en continu dans le modeste village de Gjadër, situé à 80 km au nord de Tirana. Le centre de rétention pour migrants que Giorgia Meloni fait construire à côté de chez eux inquiète les habitants. "Personne ne nous a demandé notre avis pour ces camps, explique Armando, 31 ans. L'État décide tout seul, et il se fiche de l'avis du peuple. Mais nous, qu'est-ce qu'on a à gagner avec ces camps ? Et l'Italie n'a pas de terrains chez elle ? Elle en a plein !"

"C'est un accord qui n'a pas de sens"

Vingt kilomètres plus au sud, sur la mer Adriatique, des préfabriqués gris protégés par des grilles métalliques ont été installés dans le port de Shëngjin. Les restaurateurs de cette cité balnéaire sont largement opposés au projet, mais personne ne critique les choix du tout-puissant Premier ministre albanais. Edi Rama a mis en avant une "dette" de son pays : il y a 30 ans, l'Italie avait accueilli des centaines de milliers de réfugiés Albanais, comme Besnik Sulaj, 63 ans.

Aujourd'hui, il tient un hôtel près du port : "Quand je vois les réfugiés aujourd'hui, je pense à ma vie et quand je suis arrivé en Italie en 1993. Des années difficiles, je ne savais pas la langue, rien. Je n'avais pas à manger, rien. Et des Italiens m'ont aidé. Je n'ai pas de problème avec l'arrivée de ces réfugiés : nous les Albanais on ne fait pas de divisions religieuses, et on n'est pas racistes. On accueille tous les immigrés !"

"Pourquoi devrions-nous accepter que l'Albanie soit toujours un vassal ?"

De nombreuses questions techniques et juridiques entourent le projet de la cheffe du gouvernement italien, et son coût pourrait dépasser les 650 millions d'euros. Côté albanais, l'activiste Arlinda Lleshi a organisé des manifestations pour dénoncer la perte de souveraineté de son pays : "Envoyer ces personnes chez nous, c'est de la pure propagande électorale. Mais pourquoi devrions-nous accepter que l'Albanie soit toujours un vassal des pays étrangers et faire le jeu d'une responsable politique qui veut rester au pouvoir ? C'est un accord qui n'a pas de sens et dont nous n'avons aucun intérêt à tirer."

Selon de nombreux experts, cette délocalisation en Albanie des centres de rétention italiens ne respecte pas le droit européen. Mais une quinzaine d'États membres ont déjà proposé de multiplier ce type d'accord.

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