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Reportage "Je sais que je risque ma vie, mais j'ai l'habitude maintenant" : un an après un naufrage meurtrier dans la Manche, les traversées de réfugiés n'ont pas baissé

Le 24 novembre 2021, 27 réfugiés qui tentaient de traverser la Manche sont morts lors d'un naufrage. Un an après, la situation s'est encore dégradée. On recense 42 000 traversées depuis janvier contre 28 000 sur l'ensemble de l'année dernière

Article rédigé par franceinfo - Willy Moreau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Deux tentes à côté du camp de réfugiés de Grande-Synthe (Nord), le 23 novembre 2022.  (WILLY MOREAU / RADIO FRANCE)

Chafi, originaire d'Afghanistan a posé sa tente dans une clairière à l'écart du camp de Grande-Synthe, près de Dunkerque (Nord). Le camp peut accueillir jusqu'à 700 personnes les veilles de départs. Chafi doit emprunter de petits chemins boueux entourés de végétation, là où les personnes font leurs besoins à l'abris des regards. Des conditions de vie totalement insalubres pour ce jeune homme de 27 ans. Les traits tirés, engoncé dans une doudoune blanche, il s'impatiente. "J'ai décidé de partir, je ne veux pas rester ici, témoigne-t-il, Mais la traversée dépendra de la météo. Je sais que je risque ma vie mais je viens d'Afghanistan, j'ai l'habitude maintenant." 

>> DOCUMENT FRANCEINFO. "T'entends pas, tu seras pas sauvé !" : l'enquête sur le naufrage mortel de migrants dans la Manche accable les secours français

Il y a un an jour pour jour, le 24 novembre 2021, un bateau de réfugiés qui tentaient la traversée de la Manche vers l'Angleterre a coulé en pleine mer. 27 personnes sont mortes dans le naufrage. Une enquête est en cours pour comprendre pourquoi personne ne leur est venu en aide. Un an après, ce drame ne refrène pas les envies de partir, bien au contraire, les traversées sont en hausse. On en recense 42 000 depuis le début de l'année contre 28 000 sur l'ensemble de l'année dernière. 

La météo n'est plus un frein

Thibaut, un bénévole de l'association Utopia 56, conseille Chafi en cas de problème pendant la traversée. Il lui indique le numéro d'urgence à contacter, le 112, ainsi que la ligne d'urgence de l'association. Thibaut lui demande aussi de télécharger une application pour connaitre la hauteur des vagues. "Tu peux vérifier la météo et les vagues, dit-il, si elles sont supérieures à 50 cm, c'est trop ! Et si c'est moins, tu peux essayer de traverser."

Une opération prévention car la météo ne dissuade plus, y compris l'hiver quand la température de l'eau passe sous les 10 °C. Et le risque en cas de naufrage est désormais plus important : les embarcations, souvent de mauvaise qualité, transportent de plus en plus de monde. "Couramment, maintenant, c'est une cinquantaine de personnes à bord. Depuis deux à trois mois, on commence à voir des bateaux un peu plus grands, d'une douzaine de mètres, qui peuvent contenir près d'une centaine de personnes, observe inquiet Alain Le Daguenel, le président de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) de Dunkerque. La difficulté pour nous ce sera de récupérer ces gens lorsqu'il y aura un accident qui arrivera malheureusement."

Manque de prise en charge

Au moins une centaine de policiers et gendarmes sont mobilisés nuit et jour tout au long de l'année sur le littoral. Pour éviter des drames, insiste Georges-François Leclerc, préfet du Nord et préfet des Hauts de France. "Nous mettons en échec 55% des tentatives de traversée, ce qui est un chiffre similaire à l'année dernière. Chaque traversée empêchée est une vie sauvée", précise-t-il.

Mais l'association Utopia 56 dénonce la prise en charge sur le terrain des prétendants à la traversée qui échouent. "On demande à l'État de pouvoir ouvrir des salles la nuit pour accueillir ceux qui ont vécu généralement un traumatisme, souffle Yann Manzi, co-fondateur de l'association. Chaque soir les bénévoles effectuent des maraudes le long des côtes en prévention. On essaye de regarder s'il y a des gens qui ont besoin d'aide, notamment s'ils sont mouillés. Et on peut distribuer des vêtements secs parce qu'être mouillé avec le froid et le vent, c'est le plus grand danger."

Le froid s'installe sur le camp près de Dunkerque. Des Kurdes se réchauffent autour d'un brasero. Il est hors de question de passer l'hiver sur place. La traversée est pour bientôt, promettent-ils. 

Tente installée près du camp de réfugiés de Grande-Synthe (Nord), le 23 novembre 2022.  (WILLY MOREAU / RADIO FRANCE)

Le nombre de traversées de la Manche a augmenté : le reportage de Willy Moreau

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