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Pourquoi tout le monde a cru aux faux mannequins "normaux" de H&M

Réseaux sociaux et médias se sont emballés cette semaine à propos d'une photo de mannequins taille 40 censés être exposés dans une boutique du géant suédois. Décryptage. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Cette photo, censée montrer des mannequins au physique réaliste, a été postée sur la page Facebook "Women's rights news", le 12 mars 2013.  (FACEBOOK )

Les vitrines ressemblent-elles de plus en plus à des miroirs ? Une photo de mannequins "réalistes" – comprenez plus proches du 40 que du 36 – exposés dans une boutique a enthousiasmé des milliers de femmes sur les réseaux sociaux. "Enfin ! Il était temps", "Bravo H&M !" : les commentaires élogieux à l'adresse de l'enseigne suédoise de prêt-à-porter, désignée comme étant à l'origine de cette petite révolution, se sont multipliés en quelques heures, relayés vendredi 15 mars par plusieurs médias français et étrangers.

Sauf qu'H&M n'a rien à voir là-dedans. Le service de presse de la marque l'a confirmé à francetv info. Dès avril 2012, cette photo avait fait son apparition sur des blogs. Sa légende, en espagnol, fait référence à "un magasin en Suède", sans plus de précisions. Dans ce cas, que retenir de cette fausse campagne, vraiment virale ?

1Les femmes sont pour ce type d'initiatives

Postée mardi sur la page Facebook "Women's right news" ("l'actualité des droits des femmes"), la photo comptabilisait plus de 53 000 "likes" vendredi. Parmi les milliers de commentaires qui accompagnent le cliché, femmes (surtout) et hommes (aussi) saluent le message véhiculé par cette opération. Michelle assure qu'elle "[irait] davantage chez H&M [si les mannequins y étaient tous réalistes]" et estime que "d'autres [enseignes] devraient se convertir au principe de réalité". "Voilà des silhouettes de femmes en bonne santé", renchérit Joanna.

Du côté des médias féminins, les mesdames Tout-le-Monde en plastique reçoivent également un accueil favorable : "C'est une sacrée bonne nouvelle, estime Cosmopolitan.fr. Car si l'on accuse souvent les magazines de ne pas mettre en scène des silhouettes de femmes 'normales', les marques ont aussi leur rôle à jouer pour une meilleure représentation de la silhouette des femmes, toutes les femmes." En effet, les données recueillies par l'Institut français du textile et de l'habillement lors de la dernière campagne nationale de mensuration, en 2006, montrent que 20,59% des Françaises font du 40 ou du 42, contre 18% qui rentrent dans du 36 ou du 38.

2Le corps "normal" est vendeur

Ces deux mannequins "réalistes" sont présentés comme des prototypes "testés" dans une boutique suédoise du géant H&M. Un hasard ? Pas vraiment. L'enseigne a été montrée du doigt dans le passé pour avoir fait la promotion du corps standardisé. A Noël 2011, rappelle Next, H&M s'est fait admonester pour avoir posé "des vrais visages humains sur des corps virtuels de mannequins du coup plus que parfaits (comprendre faisant un bon petit 32)", relate l'article. En 2012, nouveau scandale : la marque doit s'excuser pour une campagne de pub dans laquelle figurent des top-modèles excessivement bronzées. "Un idéal dangereux pour la santé", dénonce alors le Fonds cancer suédois. Terrafemina qualifie donc les mannequins "normaux" de "vraie bonne idée", permettant à l'enseigne de compenser les erreurs de ses campagnes passées.

Car en termes de marketing, le credo de la femme normale a fait ses preuves. Dès 2004, les cosmétiques Dove ont mis en valeur des mannequins "rondes" – ou, plus exactement, non conformes aux standards du mannequinat. Début mars, la marque a même fait circuler une fausse application Photoshop pour piéger les graphistes "retoucheurs" de popotins. "Ne manipulez pas notre perception de la vraie beauté", conclut Dove, désormais spécialiste du buzz marketing à tendance moralisateur.

3Le sujet est polémique

A l'instar des controverses sur le poids des mannequins en chair et en os, les critiques vont bon train sur l'allure de leurs homologues plastifiés. En novembre, la publication de photos montrant des mannequins d'étalage américains correspondant à des corps obèses avait soulevé un débat passionné sur le site collaboratif Reddit, rappelle la chaîne ABC (en anglais) : justice pour les uns, horreur et incitation à l'obésité pour d'autres.

"Voir de beaux vêtements sur un corps qui correspond au vôtre peut booster la confiance en soi, mais peut aussi créer un mouvement de rejet, avait alors analysé la psychologue spécialiste du rapport au corps Jennifer Thomas. La mode joue en partie sur le registre de l'inspiration, de telle sorte que les gens espèrent ressembler au mannequin en achetant ses vêtements. Or, dans notre société, la plupart des gens préféreraient être minces qu'obèses."

A l'inverse, un autre internaute avait posté sur Reddit, deux mois plus tôt, la photo d'un mannequin dont on distinguait la (fausse, évidemment) cage thoracique.

4Ces mannequins traduisent de réelles évolutions

Chez Stockman, fabricant de mannequins d'étalage parisien depuis la seconde moitié du XIXe siècle, on indique que le buste le plus utilisé dans les ateliers, par les fabricants comme par les écoles de couture, correspond à une taille 38. Les mannequins vont du 36 au 46, conformément aux silhouettes les plus répandues en France.

"Chaque époque dispose de ses canons de beauté. Les mannequins sont calquées sur eux, confirme Catherine Ormen, historienne de la mode. Dans les années 20, le corps s'aplatit. La silhouette New Look dessinée par Christian Dior donne des modèles à la taille resserrée, aux hanches arrondies, etc." Surtout, ces silhouettes accompagnent lentement les évolutions du corps féminin. Et celles-ci sont bien réelles. Elles s'expliquent par des paramètres sociaux, sociétaux (travail, pratique du sport, alimentation) ou historiques. Par exemple, "nous savons depuis la campagne de mensuration de 2006 que la poitrine des femmes a grossi, que les jambes se sont allongées, énumère Catherine Ormen.La mode reproduit une vision idéale de ces canons de beauté."

En revanche, "il est impossible de discerner ces évolutions à l'instant où nous les vivons, assure-t-elle. Elles s'observent sur le temps long." Du coup, les polémiques récentes sur les représentations du corps ne sont le signe d'aucune tendance. En revanche, "elles révèlent des envies que les enseignes ne prennent pas en compte, remarque Catherine Ormen. Peut-être le feront-elles bientôt. C'est une donnée marketing qui n'est pas négligeable."

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