Que se passe-t-il dans les banlieues en Suède ?
Retour sur les émeutes qui embrasent les environs de Stockholm depuis cinq jours.
Le modèle suédois à l'épreuve du feu. Entre jeudi 23 et vendredi 24 mai, pour la cinquième nuit consécutive, caillassages, incendies et dégradations ont embrasé la banlieue de Stockholm, la capitale de la Suède. Véhicules, écoles et commissariats sont la cible de jeunes habitants de quartiers déshérités des banlieues nord et sud. Retour sur ces émeutes qui remettent en question l'exemplarité suédoise.
L'élément déclencheur : un homme abattu par la police
Le détonateur a été la mort d'un homme de 69 ans, abattu le 13 mai par la police à Husby, dans la banlieue nord-ouest de Stockholm. La police, intervenue au domicile de cet homme parce qu'il brandissait une arme blanche, affirme avoir été incapable de le raisonner et plaide la légitime défense. Mais l'intervention a été filmée et ces images "ainsi que les insultes proférées par certains policiers, comme 'singe' ou 'nègre', ont choqué les Suédois", explique le correspondant du Monde en Suède.
Deux jours après ce drame, en l'absence d'enquête sur cette possible bavure, les premières émeutes ont éclaté. Elles se sont peu à peu étendues à d'autres quartiers. "Comme en France en 2005, une petite étincelle a suffi, et le brasier de frustrations s’est enflammé", explique Boa Ruthström, responsable du think tank de centre-gauche suédois Arena Idé, interrogé par 20 Minutes.
Vendredi matin, les pompiers ont fait état de 70 interventions dans la nuit, pour éteindre des incendies de voitures, bennes ou bâtiments.
La révolte d'une population ghettoïsée
Les quartiers où ont éclaté les incidents sont connus pour leur concentration de problèmes sociaux : chômage, échec scolaire, désœuvrement de la jeunesse. A Husby, le taux de chômage atteignait ainsi 8,8% en 2012, contre 3,6% à Stockholm même. C'est dans ces quartiers pauvres que se concentrent la majorité des immigrés. "L'écart entre les quartiers s'est accru" et "le marché du logement est vraiment segmenté", constate Eva Andersson, géographe urbaine de l'université de Stockholm, interrogée par l'AFP.
"Nous sommes en train de devenir peu à peu comme les autres pays", affirme de son côté Aje Carlbom, anthropologue social à l'université de Malmö. Vivre en tant que jeune dans ces endroits de ségrégation peut se révéler très difficile sous beaucoup d'aspects." Un jeune homme qui affirme avoir participé aux émeutes s'explique ainsi : "On a brûlé des voitures, jeté des pierres sur la police, les voitures de police. Mais c'est une bonne chose, parce que maintenant, les gens savent où est Husby (...). C'est la seule manière de se faire entendre." Il dit avoir agi par révolte contre le chômage et le racisme.
Le Premier ministre conservateur, Fredrik Reinfeldt, fervent partisan de l'accueil des immigrés, a livré son interprétation lors d'une intervention au Parlement, jeudi : "Je pense qu'il est dangereux de vouloir dépeindre la Suède avec une capitale séparée de ses banlieues. Je ne pense pas que ce soit vrai. Je pense que la ligne qui nous divise traverse Husby, entre une population majoritaire et, à côté, un petit groupe de fauteurs de troubles."
Une remise en cause du modèle suédois
Ces violences dans l'une des métropoles les plus riches d'Europe sont un choc pour la Suède, traditionnellement fière de sa réputation de justice sociale et de stabilité. Les émeutes relancent le débat sur le chômage des jeunes et la politique d'intégration, dans un pays où les immigrés représentent 15% de la population. Ces dernières décennies, la Suède est devenue, en raison de sa politique d'immigration libérale, l'une des premières destinations des immigrants en Europe. Elle a ainsi accueilli des réfugiés d'Irak, d'Afghanistan, de Somalie, des Balkans et, plus récemment, de Syrie.
Le voile semble levé sur une société peut-être pas si exemplaire. Les succès électoraux des Démocrates suédois, un parti d'extrême droite, "a eu l'effet pervers de légitimer certains propos et attitudes racistes, ainsi que des méthodes policières brutales et discriminatoires", note l'éditorial du Monde. L'Express évoque pour sa part le "blocage de l'ascenseur social suédois". Autre signe d'une forme d'usure du modèle suédois : un rapport de l'OCDE (PDF) dévoile que la Suède est le pays développé qui a connu la plus forte augmentation des inégalités depuis vingt-cinq ans.
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