Non, le traité d'Aix-la-Chapelle ne prévoit pas le partage du siège français à l'ONU (ni de livrer certaines régions à l'Allemagne)
Le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, signent mardi à Aix-la-Chapelle un nouveau traité de coopération franco-allemande, objet de nombreuses intox.
L'objectif est clair : ce nouveau texte veut "renforcer les liens déjà étroits" entre la France et l'Allemagne, selon l'Elysée. Cinquante-six ans jour pour jour après la signature du traité de l'Elysée, Emmanuel Macron et Angela Merkel signeront un nouveau texte de coopération franco-allemande à Aix-la-Chapelle (Allemagne), mardi 22 janvier.
Ce traité d'Aix-la-Chapelle, composé de sept chapitres et de 28 articles et annoncé début 2018, vise à l'émergence d'une "coopération approfondie" et de "positions communes" entre les deux Etats, en matière de politique européenne et étrangère, de sécurité et de défense, mais aussi dans les domaines éducatif et culturel, de protection de l'environnement, de coopération transfrontalière ou encore dans la recherche et le numérique.
Mais depuis quelques jours, plusieurs rumeurs circulent à son sujet, via des prises de parole politiques et sur les réseaux sociaux. Qu'en est-il exactement ?
Vers un "partage de notre siège" à l'ONU ?
Que disent les opposants au texte ? La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a vivement dénoncé le traité d'Aix-la-Chapelle, mercredi sur BFMTV. "Emmanuel Macron est en train de vendre notre pays à la découpe", a-t-elle lancé. "Il envisage (...) de partager notre siège au Conseil de sécurité avec l’Allemagne. Et peut-être même de partager notre puissance nucléaire avec l’Allemagne", a assuré Marine Le Pen.
Déplorant un "petit coup en douce" du chef de l'Etat, "comme le pacte de Marrakech", la députée du Pas-de-Calais a réitéré ses propos vendredi, dans une vidéo diffusée sur Twitter. La présidente du RN "n'a pas envie de voir des ministres allemands siéger au Conseil des ministres français", a-t-elle asséné, dénonçant une "perte de souveraineté de notre pays".
« En signant ce traité d'#AixLaChapelle en catimini, Emmanuel #Macron commet un acte qui relève de la trahison. »
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) January 18, 2019
Mise sous tutelle d'une part de l'Alsace, partage de notre siège au Conseil de sécurité de l'ONU : j'alerte les Français sur le traité d'#AixLaChapelle ! pic.twitter.com/cjNjIxtEjV
Que dit vraiment le traité ? Contrairement à ce qu'assure, entre autres, Marine Le Pen, le traité d'Aix-la-Chapelle n'évoque à aucun moment un éventuel partage ou une cession du siège français permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. Le texte seul ne pourrait pas le faire : comme le rappelle Le Monde, il faudrait pour cela une révision de la charte des Nations unies.
Le traité précise néanmoins de nouvelles formes de coopération entre la France et l'Allemagne, au niveau du Conseil de sécurité. Ainsi, l'article 5 explique que les deux pays "établiront des échanges au sein de leurs représentations permanentes auprès des Nations unies à New York, en particulier entre leurs équipes du Conseil de sécurité". L'article 8 ajoute que les Etats voisins "s’engagent à poursuivre leurs efforts pour mener à terme des négociations intergouvernementales concernant la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies", et que "l’admission de la République fédérale d’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande".
Il est vrai que l'Allemagne, par la voix de son vice-chancelier Olaf Scholz, a exprimé son souhait de voir le siège permanent de la France se transformer en siège européen, pour que l'Union européenne "parle d'une seule voix" à l'ONU, précise Ouest-France. "Mais la France ne veut ni quitter son siège ni le partager", a assuré l'Elysée à l'AFP. Et quant au fait "de voir des ministres allemands siéger au Conseil des ministres français", avancé par Marine Le Pen, le texte explique simplement qu'''un membre du gouvernement d’un des deux Etats prend part, une fois par trimestre au moins et en alternance, au Conseil des ministres de l’autre Etat".
L'Alsace et la Moselle "livrées" à l'Allemagne ?
Que disent les opposants au texte ? Une autre rumeur, relayée par le député européen Debout la France Bernard Monot, vendredi 11 janvier, a également été partagée sur les réseaux sociaux au sujet du traité. Comme le rapporte Le Monde, l'ancien frontiste a publié sur YouTube une vidéo – aujourd'hui supprimée – dans laquelle il assure que le traité d'Aix-la-Chapelle va "livrer l’Alsace et la Lorraine à une puissance étrangère", l'Allemagne. "La langue administrative sera l’allemand" dans ces régions, alerte-t-il.
Pour le député européen, avec la signature de ce traité, les départements français frontaliers de l'Allemagne – le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle – vont également "expérimenter des mesures d’exception à la loi de la République", note Le Monde. Marine Le Pen a elle aussi insisté sur cette idée, évoquant "une mise sous tutelle d'une part de l'Alsace", note Libération. Des théories qui se sont retrouvées sur Facebook, notamment sur des groupes et pages de soutien au mouvement des "gilets jaunes", relève France 3.
Après le "pacte de Marrakech" pour "vendre la France à l'ONU", les groupes GJ commencent à s'agiter autour du traité d'Aix-la-Chapelle" pour "donner l'Alsace et la Lorraine à l'Allemagne". pic.twitter.com/MAedDJgonJ
— Samuel Laurent (@samuellaurent) January 15, 2019
Que dit vraiment le traité ? Le traité d'Aix-la-Chapelle ne fait aucune mention d'une potentielle "livraison" ou "mise sous tutelle" de l'Alsace et de la Moselle à l'Allemagne.
Le chapitre 4 du texte annonce que "les deux Etats reconnaissent l’importance" de "la coopération transfrontalière" entre eux deux, "pour resserrer les liens entre les citoyens et les entreprises de part et d’autre de la frontière". Avec ce traité, et "dans le respect des règles constitutionnelles respectives des deux Etats", la France et l'Allemagne "dotent les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières (...) de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées", afin "de surmonter les obstacles à la réalisation de projets transfrontaliers", "en particulier dans les domaines économique, social, environnemental, sanitaire, énergétique et des transports".
Quant à la question de la langue administrative, qui deviendrait l'allemand en Alsace et Moselle selon Bernard Monot, le traité n'évoque qu'un objectif : celui du "bilinguisme" dans ces régions frontalières. "Les deux Etats sont attachés à l’objectif du bilinguisme dans les territoires frontaliers, et accordent leur soutien aux collectivités frontalières afin d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies appropriées", précise le texte.
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