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Schengen: un château de cartes de plus en plus vacillant
Terrorisme, immigration, protectionnisme… la libre circulation au sein de l’Union européenne symbolisée par les accords de Schengen a du plomb dans l’aile. De plus en plus de pays ont instauré des contrôles aux frontières. Retour sur un système indispensable au développement du marché unique en Europe.
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Dernier coup de canif en date, la Suède a décidé de contrôler sa frontière avec le Danemark pour tenter de limiter l’arrivée des migrants. Une décision qui bouleverse notamment la vie des citoyens des deux pays. «Près de 10.000 personnes utilisent quotidiennement les différents moyens de transport entre Copenhague, la capitale danoise, et Malmö, la troisième ville de Suède. Ces derniers ont été prévenus des retards que pouvaient occasionner les nouvelles mesures, attendus à une demi-heure de trajet supplémentaire», rapportait Les Echos après la décision suédoise de contrôler son principal accès, via le pont sur l'Oresund, le bras de mer qui sépare le Danemark et la Suède.
Les deux pays scandinaves ne sont pas les seuls à avoir instauré des contrôles. Le mouvement a débuté avec l’arrivée massive de migrants de l'été 2015 puis s’est aggravé avec les attentats qui ont touché la France.
Des contrôles autorisés qui se multiplient
Les accords de Schengen qui définissent la libre circulation des biens et des personnes entre les Etats signataires ont prévu des closes permettant des contrôles temporaires aux frontières. Mais sous les coups de l’arrivée massive de migrants, des attentats et de la pression des mouvements d’extrême-droite, la fermeture partielle des frontières n’avait jamais atteint un tel niveau qu’en ce début d’année 2016.
«Schengen est très important, mais (cet espace) est en danger», a ainsi estimé le 4 janvier le porte-parole du ministre allemand des Affaires étrangères après la décision du Danemark d'instaurer des contrôles à sa frontière avec l'Allemagne, le jour même de l'entrée en vigueur de nouvelles mesures restrictives d'entrée en Suède. L’Allemagne a d’ailleurs elle aussi rétabli des contrôles à ses frontières… La Commission de Bruxelles tente de vérifier si les différentes décisions des Etats membres sont légales mais ne peut guère faire plus.
Schengen a 30 ans
Trente ans après leur signature, les accords de Schengen (1985), qui réunissent des Etats membres de l’UE et non membre de l’UE (comme la Suisse) mais pas tous les Etats de l’UE (Royaume-Uni, Roumanie…), n’ont jamais subi autant d’attaques. Pourtant, ces accords sont une des rares manifestations concrètes de l’Union européenne pour les citoyens avec la possibilité de franchir les frontières sans contrôle. Finies les queues aux frontières, que ce soit pour les touristes mais aussi (et surtout) pour les transporteurs.
Comme le stipulent ces accords, les 26 Etats membres de l’espace ont la possibilité de rétablir temporairement des contrôles à leurs frontières nationales en cas de menaces pour l'ordre public ou la sécurité. La durée de ces contrôles peut varier de 30 jours à 6 mois, voire 2 ans en cas de défaillance d'un Etat à contrôler ses frontières extérieures.
Cette décision n’est pas une fermeture des frontières (le passage est toujours autorisé pour les personnes prouvant leur identité), ni même une suspension des accords de Schengen mais une simple suspension de la libre circulation effectuée dans le cadre des accords de Schengen.
Un plus économique
«La libre circulation des marchandises est l'une des quatre libertés fondamentales sur lesquelles repose le marché unique. Elle repose sur la suppression des droits de douane (et taxes à effet équivalent) et l'interdiction de restrictions quantitatives aux échanges (et mesures à effet équivalent)», rappelle l’Union européenne.
«La libre circulation est un bien précieux», a d’ailleurs reconnu Berlin. «Schengen est très important mais est en danger», a ajouté l’Allemagne. Il est vrai que Schengen, tout en facilitant la circulation des citoyens, a permis un développement exponentiel de la circulation des marchandises. «Le marché unique est un moteur de croissance de l’économie européenne. Il a généré un surcroît de croissance du PIB de l’UE de 2 à 3% au total depuis 1992 grâce à la suppression de barrières commerciales, douanières, réglementaires», explique l'Institut Delors. Le transport (routier notamment) est d'ailleurs un secteur clef de l'économie européenne, employant quelque 11 millions de personnes.
L'effet des contrôles
Qui dit contrôles dit perte de temps. Après les attentats de novembre 2015, l'arrivée de points de contrôle sur les frontières françaises a provoqué d'importants ralentissements. Les travailleurs frontaliers en savent quelque chose. Les transporteurs routiers aussi.
Même si les services représentent 65% du PIB européen, les échanges intérieurs à l’UE n’ont cessé de progresser. La division du travail, la sous-traitance, la production à flux tendus, la normalisation des produits ont multiplié le trafic intra-européen de marchandises. Une multiplication des contrôles aux frontières ne pourrait que ralentir la circulation des marchandises. «Dans le cadre de la courte distance, pour les trafics transfrontaliers qui viennent alimenter des flux tendus entre différents sites de production, c'est plus problématique car (on) est soumis à une obligation de résultat, de temps d'acheminement», explique Eric Cabaillé, vice-président d'Astre, qui regroupe 160 entreprises de transports.
«Un certain nombre de nos clients nous interrogent pour réfléchir aux moyens de continuer à optimiser la gestion des stocks (...) sans pour autant subir les aléas des contraintes réglementaires qui vont s'imposer à chacun d'entre nous», ajoute-t-il. «Nous sommes en train d'imaginer dans l'urgence les solutions qui vont permettre à l'industrie de continuer à fonctionner dans les meilleures conditions possibles.»
Dans le secteur automobile, dont le flux tendu est au cœur du fonctionnement, une porte-parole de Renault a déclaré que la situation n'avait pas d'impact sur les approvisionnements des usines du groupe en Europe, tandis que PSA Peugeot Citroën a refusé de faire un commentaire.
Le temps nécessaire pour franchir la frontière franco-espagnole est ainsi passé en une nuit de deux minutes à plus d'une heure, souligne Eric Cabaillé.
Pas étonnant que dans ce contexte la Commission européenne fasse tout pour revenir à une situation normale dans l'espace Schengen. «Nous sommes tous convenus que Schengen et la libre circulation devaient être sauvegardés», a dit le commissaire européen après une réunion consacrée aux décisions danoise et suédoise.
Les débats sur Schengen risquent de durer
«Je pense que nous sommes d'accord sur le fait que les mesures nécessaires que nous avons prises ne devraient pas durer plus longtemps que nécessaire», a souligné Stockholm. Il faut «ralentir les autoroutes qui ont été introduites à travers l'Europe, via la Grèce, les Balkans, l'Autriche et l'Allemagne», vers les pays nordiques, a néanmoins indiqué la Suède en référence aux routes migratoires. Sous la pression de certains partis, les débats sur Schengen sont loin d'être terminés.
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