Cet article date de plus de sept ans.

Travailleurs détachés : "Les candidats à la présidentielle disent qu'on est le mal, qu'on fait de la concurrence déloyale"

Les travailleurs détachés et le débat sur la concurrence déloyale font partie des sujets abordés dans la campagne présidentielle. Pourtant, les entreprises françaises continuent à faire appel à cette main-d'oeuvre, pas forcément moins chère. Reportage en Pologne.

Article rédigé par Elise Delève
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Chantier de construction de logement (image d'illustration). (VINCENT ISORE / MAXPPP)

286 000 Européens travaillent actuellement en France, détachés légalement par leur pays. Ces travailleurs détachés sont dénoncés par la majorité des candidats à la présidentielle. Pourtant, les entreprises françaises continuent à faire appel à cette main-d’œuvre. La majorité d'entre eux vient de Pologne (47 000) et est employée dans le secteur du bâtiment. 

Poland Worforce est une agence d’intérim spécialisée dans les travailleurs détachés et basée à Wroclaw, la quatrième ville polonaise. Igor vient d'y passer avec succès un entretien et un test pratique pour partir travailler en Corse, comme électricien, sur le chantier d'un hôpital. "Je vais travailler en dehors de la Pologne pour des raisons financières, explique-t-il. En France, je toucherai 1 700 euros net alors qu’en Pologne, c’est moins de 1 000 euros". 

Le salaire est la principale motivation

Le salaire est la principale motivation de la mobilité de ces travailleurs polonais, ils peuvent parfois gagner le double de ce qu’ils touchent dans leur pays. Zbyszek, lui, est venu en France pour une autre raison. "Sur le marché français, on ne regarde pas mon âge, on regarde mes compétences tandis qu'en Pologne, c’est l’inverse", explique cet homme de 60 ans qui rentre tout juste de Rouen où il a travaillé sur un chantier public. "Et puis en France, il y a plus de chantiers et plus de constructions qu’en Pologne", assure-t-il.

En France, le statut de travailleur détaché fait débat. Récemment, plusieurs régions ont adopté "la clause Molière" qui impose de parler français sur les chantiers publics. Mirek a participé pendant cinq mois à la construction d’un lycée à Paris, cette mesure ne lui fait pas peur. "Sur un chantier, je comprends les ordres du chef de chantier et j’arrive à communiquer, dit-il. Je connais les bases de français liées à mon métier. En revanche, dans la rue, au quotidien, je ne pourrais pas parler."

Campagne publicitaire avec un faux-plombier pour attirer les touristes français en Pologne en 2005. L'office de tourisme polonais à Paris utilise sciemment l'image sexy du plombier polonais, devenu en France le symbole des travailleurs détachés. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Radoslaw Galka, le patron de Poland Workforce ne comprend pas la polémique sur les travailleurs détachés en France. Il se souvient du débat d'il y a 12 ans, pendant le traité constitutionnel européen : "Monsieur Chirac a dit à l'époque 'le plombier polonais viendra chercher du travail en France pour 3 euros de l'heure'. Mais aucun plombier qualifié ne viendrait travailler pour 3 euros, même en Pologne !", affirme Radoslaw Galka.

Un produit d'appel électoral

Ce patron a l'impression que les politiques français se servent de cette question comme produit d'appel électoral, alors que ces travailleurs ne représentent que 1% de la population active française. Son agence reçoit une dizaine de demandes de nouveaux clients français par semaine. Selon lui, il y a un vrai paradoxe entre "l'industrie du bâtiment française qui a besoin de partenariats avec nous" et "les candidats à la présidentielle qui disent qu'on est le mal, qu'on fait de la concurrence déloyale et du dumping social". 

De l'autre côté, en France, les patrons justifient ces emplois. "On a des annonces sur tous les sites internet et on ne trouve personne, affirme l'un d'eux sous couvert d'anonymat à franceinfo. Quand on a du travail, ce sont les seules solutions qu'on est en mesure de trouver rapidement". Il affirme que ce n'est pas une question de coût : "On est dans des niveaux de prix similaires à ceux de la France", dit-il. 

Sur certains postes on ne trouve pas de main-d’œuvre française.

Un chef d'entreprise français

à franceinfo

Grâce à une directive européenne, un patron qui emploie un travailleur détaché ne paye pas les charges sociales : elles sont payées dans son pays d'origine, donc cela devrait lui coûter moins cher. En réalité, comme les besoins dans le BTP français sont importants, les travailleurs détachés négocient un bon salaire et, si tout est fait dans la légalité, le patron français doit aussi payer le logement et le transport. 

La ministre du Travail, Myriam El Khomri, et le ministre des Finances, Michel Sapin, sur un chantier de construction de logement à Rungis en 2015, dans le cadre de la signature d'une convention nationale de lutte contre le travail illegal et contre les fraudes au detachement. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Ce système a aussi des failles, comme les fraudes : rémunérations non respectées, très mauvaises conditions de travail, hébergements vétustes sont autant de fraudes que les contrôleurs de l'inspection du travail recherchent. En cas d'irrégularités, le maître d'ouvrage devra payer 2 000 euros par employé et le chantier peut être suspendu. Une source au ministère du Travail indique que depuis plusieurs mois, les contrôles des chantiers s'intensifient. En 2016, les inspecteurs sont intervenus deux fois plus qu'en 2015 et il y a, actuellement, 1 300 interventions par mois. "Ce n'est pas, indique cette source au sein du ministère, une chasse aux travailleurs détachés, c'est une chasse à la fraude. Parfois, il y a une confusion chez les employeurs."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.