Présidence de l'Union européenne : la feuille de route de la France est-elle trop ambitieuse ?
La liste des priorités de la France lors de sa présidence du Conseil de l'Union européenne, débutée le 1er janvier, est longue comme le bras. S'y retrouvent pêle-mêle réformes techniques et débats sur l'âme du projet européen. Au risque de ne pas voir tous les dossiers aboutir ?
Plan de relance, lutte contre le réchauffement climatique, création d'un salaire minimum, refonte des relations avec l'Afrique, réforme de l'espace Schengen… Non, il ne s'agit pas du programme d'un candidat à l'élection présidentielle, mais bien des priorités de la France, qui occupe la présidence du Conseil de l'Union européenne (UE) depuis le 1er janvier, pour une durée de six mois. Quatorze ans après la dernière présidence française, menée par Nicolas Sarkoz, le programme préparé par Emmanuel Macron et Clément Beaune, le secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, est ambitieux.
A grand renfort de communication et d'actions symboliques, comme l'accrochage du drapeau européen sous l'Arc de triomphe, le président de la République a largement affiché sa volonté de faire bouger les lignes au niveau européen. Mais entre le rôle réel du pays qui occupe la présidence tournante, l'élection présidentielle prévue en avril et, surtout, l'attitude des autres Etats membres, la France n'aurait-elle pas visé trop haut ?
>> L'article à lire pour tout savoir sur la présidence française de l'Union européenne
Un premier constat s'impose à la lecture des priorités de la France : l'agenda est chargé. La raison, comme l'explique à franceinfo Olivier Costa, spécialiste de l'UE et directeur de recherche au CNRS, tient au fait que "l'on retrouve trois temporalités différentes à l'agenda de la présidence française". En premier, "les dossiers qui sont déjà en négociations, dont certains seront finalisés sous la présidence de la France", comme les discussions sur le salaire minimum ou l'espace Schengen. Viennent ensuite "les propositions de réformes impulsées par la France" : si la Commission européenne les retient, elles "n'aboutiront que dans 12 à 18 mois". Enfin, Emmanuel Macron, dans "un style très français", s'est également attaché à lancer "de grands débats sur des questions très larges comme la souveraineté européenne".
"Un médiateur honnête"
Sur certains sujets, dont les discussions arrivent à leur terme, les équipes françaises devront s'assurer que les compromis soient les plus satisfaisants possibles pour les 27 pays membres de l'UE. La tâche risque d'être ardue, notamment au sujet de l'instauration d'un salaire minimum européen. "Les pays du nord de l'Europe, notamment la Suède et le Danemark, bloquent sur ce sujet, parce qu'ils ont peur qu'une loi européenne casse leur modèle, basé sur le dialogue social", avance Sophie Pornschlegel, analyste politique au think tank European Policy Centre à Bruxelles. "Les négociations vont être très dures." Un autre sujet cher à Paris, celui de l'adoption d'une "boussole stratégique", sorte de texte commun nommant les menaces qui pèsent sur l'UE, devrait en revanche aboutir dans les prochaines semaines. Poussée depuis de nombreuses années par la France, l'initiative est aussi un bon exemple du fonctionnement de la politique européenne : lancé sous la présidence allemande au deuxième semestre 2020, le projet avait été pensé dès le début en tandem avec la France.
D'autres propositions, comme la taxe numérique aux frontières de l'UE ou la réforme de l'espace Schengen, ne seront adoptées que dans un ou deux ans. "Il faut voir la présidence comme une gestion des flux, souligne Olivier Costa. Par exemple, le paquet Climat [qui vise à réduire de 55% les émissions de CO2 de l'UE d'ici à 2030 et la neutralité carbone en 2050] a été proposé en juillet 2021 par la Commission, il serait illusoire de croire que les discussions peuvent être bouclées d'ici juillet." A la France, donc, la charge de permettre les discussions et de faire en sorte que la prochaine présidence, celle de la République tchèque, qui débutera le 1er juillet 2022, trouve un compromis sur le sujet.
Loin des grandes phrases, le cœur du travail à accomplir a surtout trait à la diplomatie : mener à bien les discussions en cours entre les Etats membres, le Parlement et la Commission. "Le rôle de la France est d'être un 'honest broker'. En français, un médiateur honnête", note Tara Varma auprès de franceinfo, directrice du bureau de Paris de l'European Council on Foreign Relations. Dans le processus législatif européen, il faut environ deux ans, de leur proposition par la Commission européenne à leur adoption finale, pour que la plupart des décisions voient le jour.
"Tout ce processus est difficile à expliquer au grand public, mais c'est aussi ça qui est intéressant avec l'Europe, cette culture du compromis."
Olivier Costa, directeur de recherche au CNRSà franceinfo
Le succès de la présidence française sera d'abord mesuré par la capacité de ses diplomates à mener à bien des sujets qui divisent les 27. Un travail qui n'a pas toujours été simple pour Paris, dont l'arrogance a souvent été critiquée par le passé par les autres Etats membres, rapporte Courrier international. "Je pense que le gouvernement a pris conscience que la méthode de travail devait changer et qu'il fallait miser sur plus de concertation et de discussion", juge Tara Varma.
"La France ne tombe pas dans ses travers habituels"
"Ce qui fera la différence et la qualité de la présidence, c'est le temps passé à contacter nos partenaires et à les écouter", ajoute Olivier Costa, qui note que les retours des partenaires européens sont pour l'instant plutôt positifs. "Clément Beaune fait très attention à ça, ajoute le chercheur. La France ne tombe pas dans ses travers habituels de ne parler qu'aux Allemands et aux Italiens."
D'autant que l'Hexagone a des atouts en matière de diplomatie, comparé à certains autres pays membres. "En tant que grand pays de l'UE, la France dispose de nombreux diplomates, qui peuvent faire avancer de nombreux dossiers en même temps, souligne Olivier Costa. Ce n'est pas le cas de beaucoup d'autres pays, plus petits. Prenez le Luxembourg, même si les services du gouvernement sont reconnus comme très bons, ils sont forcément limités en nombre puisque le pays est beaucoup plus petit que la France."
La taille de la France et son statut de membre fondateur de l'UE lui permettent aussi de lancer de grands débats de fond visant à transformer profondément le projet européen. L'organisation d'un sommet visant à redessiner les relations avec l'Afrique, ou la question de la souveraineté européenne, chère à Emmanuel Macron, font partie de cette catégorie de sujets. Là aussi, les styles diffèrent selon les pays. "Certaines présidences sont très nombrilistes et ne défendent que peu de dossiers", explique Olivier Costa. D'autres, comme l'Allemagne, "sont plus pragmatiques", souligne Sophie Pornschlegel.
Pas très surprenant, donc, de voir la France viser loin et large avec ses propositions. "C'est quelque chose d'attendu de la part de la France, d'essayer toujours de pousser les choses le plus loin possible", explique la chercheuse. La France rêveuse versus l'Allemagne réaliste ? "Peut-être, mais en même temps, il faut bien que quelqu'un fasse bouger les lignes", juge Olivier Costa.
Une présidentielle en pleine présidence
D'autant qu'ici, à la tradition française s'ajoute "la méthode Macron". "Comme souvent avec le président, on met beaucoup de sujets sur la table, l'important ce n'est pas que tous soient adoptés comme tels, mais que l'on en parle", relève Tara Varma. Surtout, la France n'a pas attendu son tour pour pousser des sujets qu'elle juge prioritaires. Pour preuve, selon Olivier Costa, la question de la "souveraineté stratégique" défendue par Emmanuel Macron dès le début de son mandat. Alors que le sujet provoquait l'indifférence il y a quelques années, il est l'une des priorités des nouveaux gouvernements néerlandais et allemand.
Reste que, malgré la préparation et les moyens alloués à la présidence française, celle-ci risque d'être coupée par l'élection présidentielle, dont le premier tour est prévu le 10 avril. "Six mois, c'est déjà très court pour faire avancer les dossiers, alors moins de quatre, ce n'est quasiment rien", soupire Sophie Pornschlegel. Quid des dossiers en cours si Emmanuel Macron n'est pas réélu ? "On le voit dans le calendrier des événements prévus, il n'y a plus rien après début avril", ajoute Tara Varma.
La question de repousser la présidence française de six mois s'était posée, mais Emmanuel Macron s'y est finalement opposé. Une façon de montrer son engagement pour l'Europe en pleine campagne présidentielle ? "C'est vrai que la présidence du Conseil est souvent utilisée, et pas qu'en France, pour montrer que l'on fait des choses dans l'UE", note Sophie Pornschlegel. Emmanuel Macron ne semble pas déroger à la règle.
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