Grèce : alors que les manifestations se poursuivent, on vous explique pourquoi la catastrophe ferroviaire provoque une telle colère dans le pays
[RECTIFICATIF. Une précédente version de cet article désignait la compagnie Hellenic Train comme seul exploitant du réseau ferré grec, alors que l'entretien du réseau et la gestion du trafic reviennent à l'entreprise grecque OSE. Nous présentons nos excuses à nos lecteurs pour cette erreur.]
La colère ne retombe pas. Environ 12 000 personnes manifestent à nouveau devant le Parlement grec, à Athènes (Grèce), dimanche 5 mars, cinq jours après l'accident de train survenu le 28 février près de Larissa, dans le centre du pays. Les manifestants, qui ont notamment brandi des pancartes "A bas les gouvernements assassins", ont répondu à l'appel des étudiants, des cheminots et des employés du secteur public alors que les trains et le métro sont en grève dans le pays.
Le lourd bilan humain (57 morts) et l'origine humaine de la tragédie ont poussé plusieurs milliers de personnes dans les rues, pour réclamer la démission du gouvernement et plus d'investissements dans le réseau ferroviaire du pays, au point de provoquer des heurts violents entre manifestants et policiers, vendredi soir. Franceinfo revient sur cette catastrophe qui relance le débat sur les politiques d'austérité en Grèce.
Parce qu'il s'agit du pire accident ferroviaire du pays
La collision frontale entre un train de passagers et un autre transportant des marchandises a été telle que des éléments "ont été projetés à des centaines de mètres dans les champs voisins", explique le journal Kathimerini (article en grec). Plus de 340 passagers se trouvaient à bord, avec 10 membres du personnel.
Au total, 57 personnes ont été tuées lors de l'accident. Jamais un accident de train n'avait coûté autant de vies dans le pays. "C'est une tragédie terrible qui a choqué la population", résume à franceinfo Georges Prevelakis, professeur émérite de géopolitique et spécialiste de la Grèce à la Sorbonne (Paris I), qui rappelle que le train était "rempli d'étudiants". L'université de Thessalonique a déclaré dans un communiqué (en grec) que neuf de ses élèves avaient été tués dans cet accident, et 26 autres blessés. "Nous sommes tous dévastés. Il n'y a pas de mots pour décrire notre douleur et celle de tous les membres de la communauté universitaire", a déploré son recteur.
Comment ces deux trains ont-ils pu se retrouver face à face sur la même voie ? Dans cette affaire, les enquêteurs privilégient la piste de la négligence. Venu sur les lieux de la catastrophe, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a affirmé que "le drame est dû (...) principalement à une tragique erreur humaine". Le chef de gare du poste de Larissa, la ville la plus proche des lieux de cet accident, a été arrêté mercredi après une déposition au commissariat. L'homme de 59 ans est poursuivi pour "homicides par négligence" et "lésions corporelles involontaires". Il a "avoué une erreur", mais "ne peut pas porter seul le fardeau de la responsabilité" a déclaré samedi son avocat, cité par la chaîne ERT (article en grec).
Parce que les chemins de fer du pays ont été délaissés
Depuis la collision ferroviaire, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer la modernisation du réseau ferré national – voire sa renationalisation. Des manifestants ont notamment défilé à Larissa, devant les locaux de la compagnie Hellenic Train, au cri de "La privatisation tue !" ou encore "Leurs profits, nos morts". L'entreprise privée, lancée en 2016 après la faillite de la Grèce et la contraction d'un prêt du Fonds monétaire international (FMI) en 2010, est une filiale du groupe ferroviaire public italien Ferrovie dello Stato italiane qui gère le fret et la partie passagers. L'entretien du réseau, sa modernisation ainsi que la gestion du trafic restent la prérogative de l'entreprise publique grecque OSE.
Cette exploitation mixte des chemins de fers ne s'est pas accompagnée de travaux significatifs, comme le déplorent depuis plusieurs années les syndicats du secteur. Dans le détail, des radars de sécurité sont attendus, et les systèmes de signalisation manuels sont pointés du doigt pour leur dangerosité. "Cela fait depuis l'an 2000 que les systèmes ne fonctionnent pas", a déploré Kostas Genidounias, président d'un syndicat de conducteurs de train.
Les méthodes d'OSE se trouvent désormais sous le feu des critiques. A Larissa, le chef de gare mis en cause était en fait un bagagiste promu pour cause du manque d'effectif, comme l'explique le journal Kathimerini (article en grec), qui a interrogé à ce sujet l'ancien directeur de la sécurité et de la circulation de la compagnie. En décembre 2022, le gendarme grec du ferroviaire avait par ailleurs infligé une amende de 300 000 euros à Hellenic Train pour avoir abandonné plus de 800 passagers en pleine vague de froid. Lors de son déplacement sur les lieux du drame jeudi, le Premier ministre grec a publiquement reconnu des "faiblesses chroniques" dans le secteur ferroviaire, avant d'annoncer la création d'une commission d'enquête indépendante sur la tragédie.
Kyriakos Mitsotakis est allé encore plus loin, dimanche, en demandant pardon aux familles des victimes dans une adresse solennelle. "Nous ne pouvons pas, ne voulons pas et ne devons pas nous cacher derrière l'erreur humaine" imputée au chef de gare, a insisté le dirigeant conservateur, a-t-il affirmé.
Parce que le contexte politique était déjà très tendu
Si les manifestations ont éclaté avec autant de force, c'est aussi parce que la Grèce n'en est pas à son premier scandale imputé à des défaillances, explique Georges Prevelakis à franceinfo. "Un autre accident de train, mais aussi le grand incendie de 2018, ont dévoilé les faiblesses de l'administration, détaille le spécialiste, et ont conduit le gouvernement actuel à mener des réformes, principalement dans les services publics." Une politique laborieuse qui peine toutefois à porter ses fruits. "Il y a eu des progrès importants avec la digitalisation de l'administration, mais ça prend beaucoup de temps, souligne Georges Prevelakis . Et en attendant, il y a des crises qui éclatent parce que le travail n'est pas complet."
Entre 2010 et 2018, la Grèce a connu trois plans de sauvetage financier qui lui ont imposé de prendre des mesures d'austérité draconiennes. Salaires, pensions de retraite, embauches dans le public ont été diminués, en plus du gel des budgets des administrations.
En août dernier, le pays est finalement sorti du viseur de la Commission européenne, qui le surveillait de près. Mais ces politiques de rigueur ont eu de lourdes conséquences sociales, et ont conduit à plusieurs mouvements de grève générale, sur fond de montée de l'extrême droite. La tragédie du 28 février "relance les débats (...) sur la nécessité de réformes profondes", analyse Georges Prevelakis. Elle devrait peser sur les prochaines élections législatives en Grèce, prévues pour le milieu d'année.
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