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Grèce : "Tous les jours, de nouvelles personnes se présentent" à la soupe populaire d'Athènes

Ils ont perdu leur emploi, n'ont plus assez d'argent pour subsister, et se tournent vers la charité pour avoir accès à un repas. Reportage dans un centre géré par l'église orthodoxe.

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des habitants viennent déjeuner dans une fondation orthodoxe qui distribue des repas gratuits à Athènes (Grèce), le 14 juillet 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

"Vous avez vu comme elle est belle la Grèce !" En tongs bleu marine et tee-shirt camouflage, Charalambos attend sagement que les portes du local Galini s'ouvrent. Ancien propriétaire de cafés, cet Athénien au visage buriné et aux os saillants, est au chômage depuis deux ans. "Trop vieux pour trouver un nouveau travail, trop jeune pour toucher une retraite", il bénéficie, tous les midis, des repas gratuits distribués dans ce centre.

Près de 300 personnes chaque midi

Comme lui, près de 300 personnes se pressent, chaque midi, dans cette ruelle ombragée, logée à deux stations de métro de la place centrale Syntagma. Trois services de 60 couverts sont proposés, auxquels s'ajoutent des repas à emporter, que des habitants dans le besoin ramènent chez eux pour nourrir leur famille.

Des bénévoles préparent des repas pour la soupe populaire au centre Galini, à Athènes (Grèce), le 14 juillet 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

"Tous les jours, de nouvelles personnes se présentent. La crise jette à la rue de plus en plus de monde", commente Ilias, un trentenaire aux dents ravagées, ancien intérimaire "qui ne trouve plus aucun boulot depuis un an. La Grèce est dans un état de guerre économique. C'est une vraie guerre qui fait des victimes : nous tous." Le plus dur, pour lui, au-delà des difficultés économiques, c'est "ce sentiment de ne plus vraiment appartenir à la société grecque."

Je suis fier d'être Grec, mais parfois, j'ai l'impression que mon pays ne veut plus de moi.

Ilias, chômeur

A Athènes, le 14 juillet 2015

A l'intérieur du centre, une dizaine de bénévoles s'activent pour dresser les tables et réchauffer les dernières assiettes. Au menu aujourd'hui : tiropita (une pâte feuilletée fourrée au fromage), des petits pois façon ragoût accompagnés d'une tranche de viande et de feta, et en dessert, un paquet de biscuits au chocolat. Le tout arrosé d'eau glacée, servie en quantité. "Tous ces produits sont soit donnés par des entreprises du coin, soit achetés par la fondation avec les dons des fidèles", détaille Sokratis, qui coordonne le tout, sous le regard oblique de larges icônes orthodoxes. Le centre Galini dépend d'un réseau d'entraide intitulé Boroume ("nous pouvons", en grec), qui sert plus de 5 500 repas chaque jour. 

Déjeuner en silence

Chaque repas débute de la même façon : les bénéficiaires récitent une courte prière. Puis, ils s'assoient et engloutissent leurs mets, discrètement. Pour seule ambiance sonore, le bruit des cuillères et des couteaux. Les regards ne quittent pas les assiettes. "Un homme qui a faim n'a pas le temps de parler. Il mange aussi vite qu'il le peut", résume Sokratis. En quelques minutes, la salle a déjà perdu la moitié de ses convives. Vingt minutes plus tard, un deuxième service se met en route.

Des repas gratuits sont servis au centre Galini, à Athènes (Grèce), le 14 juillet 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Solitaires, délaissées, démoralisées... La majorité des personnes qui ont recours à la fondation Galini sont de purs produits de la crise. "Il y a des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, des Grecs, des étrangers... Et des enfants aussi", poursuit Sokratis. Au milieu de cette foule déshéritée, déambule Ignatios, pope à la barbe immaculée responsable de ce centre d'accueil. Les personnes se pressent pour le saluer, récolter un sourire, une accolade, lui serrer la main.

Assises sur le pas d'une porte, Vassiliki et Milena discutent en attendant leur tour. La première, qui porte un tee-shirt à l'effigie de Donald troué aux épaules, a des bras secs brûlés par le soleil. Ancienne aide à domicile, elle est à la rue depuis un an et demi. "Le midi, je mange ici. Le soir, comme je n'ai rien, je suis obligée de sauter le repas." La seconde, en robe à carreaux violets, cache ses paupières fardées sous d'antiques lunettes fumées. Elle aussi ne trouve plus de travail. "J'étais femme de ménage. Parfois, je bossais treize heures par jour, dans les îles, sans toujours être payée. Mais c'était mieux que rien..." 

"Les banques sont fermées, mais on s'en fout, on n'a pas d'argent"

Vassiliki ne savait pas qu'un accord avait été trouvé la veille, entre Alexis Tsipras et l'Eurogroupe. "Tout ça, c'est tellement loin de nous..." L'annonce d'un nouveau plan d'austérité la fait à peine sourciller. Milena plaisante : "Les banques sont fermées, mais on s'en fout ! On n'a pas d'argent." Toutes deux proches de la soixantaine, Vassiliki et Milena n'attendent plus rien du gouvernement. "Je ne sais pas si je pourrai toucher une retraite. C'est devenu ma vie d'aller manger des repas gratuits", soupire Vassiliki, triturant des doigts le ticket "numéro 44" qui lui permettra de se rassasier.

Des bénévoles préparent les repas gratuits servis au centre Galini, à Athènes (Grèce), le 14 juillet 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

"Ce que j'aime ici, c'est que le personnel est humain. On se sent accueilli, et les gens qui viennent ne sont pas violents", lâche Ilias, dans un sourire désabusé. "Les personnes que l'on accueille ont atteint un tel niveau de pauvreté et d'exclusion..., se désole Evagelia, bénévole employée dans l'usine athénienne qui fournit la viande à l'association.

Parfois, les gens ont juste besoin d'un mot gentil, d'un câlin. Pour beaucoup d'entre eux, on est leur seule famille.

Evagelia, bénévole

 A Athènes, le 14 juillet 2015

Ce n'est pas Georgios qui la contredira. Agé de 55 ans et atteint du sida, cette grande tige aux yeux vert d'eau a perdu contact avec sa famille, il y a une dizaine d'années. "C'était après que ma sœur cède la maison familiale. Je n'ai pas vu un centime de la vente, on ne s'est plus jamais reparlé", raconte-t-il, la voix fragile. Ancien armateur devenu toxicomane, il a perdu son petit appartement voilà trois ans. Il craint une nouvelle cure d'austérité comme la peste. "Je survis grâce à une aide de l'Etat de 150 euros par mois. Si le gouvernement baisse ma pension, que vais-je devenir ?" 

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