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Inde: pourquoi les musulmans ont peur de Narendra Modi

Premier ministre depuis mai 2014, Narendra Modi, qui appartient au Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du Peuple Indien), est issu des cercles nationalistes hindous. S'il s’est fait le chantre du développement de l’Inde, son passé inquiète notamment la minorité musulmane et ses opposants. Lesquels redoutent le retour d'affrontements interconfessionnels comme ce fut le cas dans les années 2000.
Article rédigé par zacharie boubli
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Narendra Modi au Forum économique indien de 2008. Orateur hors pair, il est renommé pour son élégance et ses bons mots. (Norbert Schiller/World Economic Forum)
Qu’on l’aime ou qu’on le craigne, Modi ne laisse personne indifférent en Inde.
 
Pour ses partisans, il est un homme du peuple travailleur et respectueux, résolu à éliminer la gabegie et à développer le pays.
 
Pour ses opposants, Modi est avant tout un homme grossier et violent qui a du sang sur les mains.
 
L’irrésistible montée du nationalisme hindou
La fin des années 70 voit le déclin de la mainmise du Parti du Congrès (nationaliste indien de gauche) et de la dynastie Nehru-Gandhi, affaiblis par la corruption et dérivant vers l’autoritarisme.
 
Surfant sur le rejet croissant du Congrès, la vieille famille politique du Sangh Parivar (nationaliste hindoue de droite) monte en puissance. Pendant que le BJP marche vers le pouvoir, la RSS (Organisation patriotique des volontaires) conquiert le terrain social. Narendra Modi y fera ses premières armes dans le militantisme.
 
Alors que depuis l’indépendance des pogroms antimusulmans se produisent régulièrement, l’affaire de la Mosquée de Babur cristallise les tensions au tournant des années 90. Elle a été construite au XVIe siècle dans la ville d’Ayodhya sur les ruines d'un lieu saint de l’hindouisme, l’endroit où serait apparu le dieu Rama. Après des manifestations rassemblant des centaines de milliers d’hindous, la mosquée est détruite lors d'une émeute en 1992. Des représailles successives entre hindous et musulmans font plus de 2000 morts dans les semaines qui suivent.
 
La Mosquée de Babur ou Babri Masjid, construite au XVIe siècle par le conquérant moghol Babur Khan sur les ruines d'un temple hindou.  (Domaine public)

Les fantômes du Gujarat
Près de dix ans plus tard, alors que commence une vague de terrorisme, Narendra Modi devient Ministre en chef du Gujarat en 2001. A ce moment, la plupart des attentats sont revendiqués par divers mouvements islamistes.
 
Le 27 février 2002, un train de pèlerins revenant d’Ayodhya s’enflamme. 59 hindous trouvent la mort. On accuse immédiatement des extrémistes musulmans (alors qu’une commission d’enquête conclura plus tard à un accident). Des émeutes éclatent dans tout le Gujarat, faisant près de 2000 morts, surtout musulmans.
 
Un rapport de Human Rights Watch accuse le gouvernement Modi de complicité, contredisant les conclusions rendues par la Cour suprême en 2009. D’après l’organisation humanitaire, non seulement les musulmans avaient été préalablement «repérés» par des militants proches du Sangh Parivar, mais ils ont été abandonnés par la police, voire victimes de celle-ci.
    
Incidence des émeutes interconfessionnelles en Inde pour 2012. Ces violences surviennent fréquemment dans un pays à 80% hindou comptant 14% de musulmans.  (M Tracy Hunter)
                                                                          
Les élections générales au Gujarat fin 2002 voient pourtant Narendra Modi triompher grâce à une violente rhétorique antimusulmane. L’affaire du Gujarat restera une tache sur son blason. Un tribunal new-yorkais l’a ainsi convoqué en septembre 2014 pour répondre de «tentative de génocide».
 
Il met en place des réformes dans Gujarat
A partir de l’élection de 2002, Modi réoriente son action vers le développement économique et la lutte contre le terrorisme. Il critique le gouvernement fédéral de Manmohand Singh pour son inefficacité contre les divers mouvements terroristes.
 
Il s’attache à promouvoir l’investissement et l’entreprise dans le Gujarat. Il multiplie enfin les gestes d’apaisement envers les musulmans. A ceux qui lui reprochent de déserter la cause hindoue, il rétorque «on me connaît comme un chantre de l’hindutva (nationalisme hindou, NDLR). Mon image ne me permet guère de m’exprimer ainsi, mais j’ose le faire. Mon opinion est la suivante : les toilettes d’abord, les temples ensuite».
 
Sa politique est couronnée de succès au Gujarat. La corruption a reculé, l’administration est plus efficace, les entreprises se développent. Des séances de yoga sont imposées aux fonctionnaires pour les remettre en forme.
 
Mais ses détracteurs nuancent le tableau. Le relèvement du Gujarat serait tout relatif, inégalitaire et surtout dû à l’esprit d’entreprise qui caractérise cet Etat du nord de l’Inde. Il s’agirait avant tout pour Modi de se créer une image d’homme d’Etat, en faisant oublier son rôle en 2002 par des réformes économiques à la Deng Xiaoping.
 
Le spectre du terrorisme
Séparatistes tamouls, cachemiris ou sikhs ; guérilla naxaliste (maoïste) ; pègre musulmane ; djihadistes pakistanais… les mouvements terroristes se comptent par dizaines en Inde.
 
Train de Bombay visé par un attentat le 11 juillet 2006, le bilan s'élevant à plus de 200 morts. L'attaque a été attribuée à des mouvements islamistes. (Manoj Nair)

Or, la vague d’attentats des années 2000, que l’on crut immédiatement d’origine djihadiste, serait en fait liée à l’hindutva. Les leaders du Parti du Congrès n’ont pas hésité à pointer des responsabilités au sein du RSS et du BJP.

Dans un pays où la Partition de 1947 a fait près d’un million de morts, et où trois guerres ont été menées contre le Pakistan, la possibilité d’une guerre civile interconfessionnelle n’a rien d’irréaliste.
 
Après son élection, Narendra Modi a affirmé publiquement sa confiance dans le patriotisme indien des musulmans d’Inde. Il n’empêche qu’al-Qaïda vient d’ouvrir une branche en Asie du Sud, et entend s’en prendre à l’Inde. A supposer que Modi revienne aux accents nationalistes d’il y a dix ans ou se voit débordé sur sa droite, il ne manquerait plus qu’une étincelle...

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