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Iran : trois questions sur la vague d'empoisonnements de jeunes filles dans des écoles du pays

Ces derniers mois, des dizaines d'établissements ont été la cible d'attaques aux produits toxiques, visant à chaque fois des écolières.
Article rédigé par franceinfo
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Des écolières marchent dans une rue de Téhéran (Iran), le 30 janvier 2023. (MORTEZA NIKOUBAZL / NURPHOTO VIA AFP)

Des maux de tête soudains, des vertiges, des vomissements... Ce sont les symptômes des écolières visées depuis plusieurs semaines par des attaques non revendiquées à travers l'Iran. Sous la pression des familles, le régime iranien enquête depuis le 26 février dernier pour faire la lumière sur cette vague d'empoisonnements et ses commanditaires, comme l'a rapporté le Guardian (article en anglais). Mais les autorités peinent à enrayer ce phénomène, et des attaques ont encore été rapportées dimanche 5 mars. Franceinfo remonte le fil de ces empoisonnements qui créent la polémique en Iran.

1 A quand remontent ces empoisonnements ?

Les premiers signalements ont eu lieu à l'automne 2022, alors que les manifestations contre le régime battaient leur plein en Iran. Le 30 novembre dernier, 18 écolières sont tombées subitement malades et ont dû être transportées à l'hôpital à Qom, dans le nord du pays, rappelle la BBC (en anglais). Depuis, des malaises de ce type ont été signalés dans une cinquantaine d'écoles du pays, touchant plus d'un millier de jeunes filles, explique la chaîne britannique, qui a épluché les alertes de médias locaux et vérifié des dizaines de vidéos postées sur les réseaux sociaux. Malgré la censure du régime, des images filmées par des riverains, montrant des écolières emmenées dans des ambulances, ont largement circulé, notamment sur Instagram.

Samedi, jour de reprise de l'école dans le régime islamique, les médias iraniens ont encore fait état de cas d'empoisonnement dans cinq provinces. Des dizaines de jeunes filles ont été transférées dans des hôpitaux des provinces de Hamedan (ouest), Zanjan et d'Azebaidjan occidental (nord-ouest), de Fars (sud) et d'Alborz (nord), ont rapporté les agences de presse Mehr et Tasnim.

Dimanche, de nouveaux empoisonnements ont été rapportés dans deux lycées de filles des villes d'Abhar (ouest) et d'Ahvaz (sud-ouest), mais aussi dans une école primaire de Zanjan (ouest), selon l'agence de presse Isna, citant des responsables sanitaires locaux.

2 Quel est l'état des écolières après ces intoxications ?

Aucun décès lié à ce phénomène n'a pour l'instant été signalé. Les jeunes filles touchées par ce mystérieux mal souffrent généralement de migraines, de troubles respiratoires et d'étourdissements. Certaines ont raconté à la BBC (en persan) ne plus pouvoir sentir leurs jambes. Toutes ou presque ont retrouvé un état de santé normal dans les 24 heures suivant leur malaise, ont rapporté les médias iraniens. 

Mais les familles des victimes ne veulent pas en rester là, et certaines ont manifesté devant le gouvernorat de Qom, dans la ville de Kermanshah ou encore dans la région de Téhéran. Devant les établissements concernés, des parents inquiets se sont rassemblés pour demander des comptes aux équipes scolaires, en vain. Dans de nombreux cas, les écolières malades ont raconté avoir senti des odeurs fortes, "de mandarine ou d'eau de Javel", détaillent les médias iraniens, mais la cause de ces maux n'a pas été identifiée avec certitude.

3 Comment réagissent les autorités iraniennes ?

D'abord silencieux malgré le nombre grandissant de signalements, le régime a finalement diligenté des enquêtes sur ces cas suspects. "Après l'empoisonnement de plusieurs étudiants dans [la ville de] Qom (...), on a constaté que certaines personnes voulaient que toutes les écoles, en particulier les écoles de filles, soient fermées", a déclaré Younes Panahi, ministre adjoint à la Santé, cité fin février par le Guardian. Aucune précision n'a toutefois été donnée sur les commanditaires. 

Pour certains mouvements d'opposition, le régime iranien serait derrière cette vague d'intoxications, afin de faire pression sur les jeunes filles, dont certaines ont publiquement affiché leur dégoût de la République islamique ces derniers mois. Une accusation réfutée en bloc par le gouvernement, qui pointe du doigt toute une série de "coupables" depuis une semaine. 

Selon le président Ebrahim Raisi, il s'agirait plutôt d'un "complot des ennemis" visant à "créer la peur et le désespoir" parmi les Iraniens, a rapporté l'agence étatique IRNA (article en anglais). Ils cherchent à "créer des problèmes dans les rues, les marchés et dans les écoles", a poursuivi le dirigeant, sans identifier ces "ennemis" critiqués avec force. Pourquoi [l'Iran], "un pays qui a porté le taux d'alphabétisation des femmes de 44% en 1979 à 99% en 2020" serait-il "contre le fait d'envoyer les filles à l'école ?", se défend dans un autre billet l'agence IRNA, porte-voix de la République islamique.

Le chef de la Défense civile, Gholamréza Jalali, a affirmé dimanche que les écoles du pays étaient "plongées dans une panique sociale". "Je ne veux pas dire que les empoisonnements ne sont pas réels, mais instiller une peur générale pourrait augmenter considérablement le nombre des victimes", a expliqué le général.

Face à la gravité de la situation, la communauté internationale a réagi. Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies réclame "une enquête transparente" dont les résultats devront être partagés. "Nous sommes très préoccupés par ces allégations selon lesquelles des filles sont délibérément ciblées dans ce qui semble être des circonstances mystérieuses", a déclaré vendredi sa porte-parole, Ravina Shamdasani, citée par l'AFP. "Ces empoisonnements exigent une enquête rapide, transparente et impartiale", réclame de son côté, sur son site (contenu en anglais), Human Rights Watch. L'ONG estime toutefois que le régime iranien "a un terrible bilan en matière d'enquêtes sur les violences faites aux filles et aux femmes".

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