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"Les interrogatoires étaient surréalistes" : Roland Marchal s'exprime pour la première fois depuis sa sortie de prison en Iran

"Je n'étais pas bien traité eu égard à ce que je voyais pour d'autres détenus, raconte l'universitaire arrêté en juin 2019 en Iran et libéré fin mars 2020. Mais je n'ai jamais été maltraité". 

Article rédigé par franceinfo, Franck Mathevon
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Depuis plus de huit mois, les chercheurs Fariba Adelkhah et Roland Marchal sont emprisonnés en Iran, accusés par les autorités d'avoir voulu intenter à la sureté nationale. (FRANCE 2)

Roland Marchal affirme avoir beaucoup souffert de "l’isolement" pendant ses neuf mois et demi de détention. Le chercheur a accordé une interview à la rédaction internationale de Radio France et à RFI. Cet universitaire spécialiste de l'Afrique avait été arrêté le 5 juin 2019 à Téhéran où il rendait visite à son amie Fariba Adelkhah, arrêtée au même moment et toujours emprisonnée. Roland Marchal a été relâché il y a un peu plus de deux semaines. Au même moment, un ingénieur iranien, Jalal Rohollahnejad, détenu en France, dont les États-Unis demandaient l’extradition, a été remis en liberté. "Les interrogatoires étaient surréalistes : on me demandait de me souvenir de textes que j’avais écrits il y a 30 ans, de réunions auxquelles j’avais participé il y a 20 ans. J’étais accusé de travailler pour les services français, pour la CIA", témoigne Roland Marchal, qui s'exprime mardi 7 avril pour la première fois depuis sa sortie de prison en Iran. 

franceinfo : Vous étiez détenu dans l'aile de la prison d'Evin réservée aux détenus des Gardiens de la révolution ?

Roland Marchal : Ce n'est pas une prison comme une autre, ce quartier ne dépend pas du ministère de l'Intérieur. Il dépend des Pasdaran, des Gardiens de la révolution. Et c'est plutôt un quartier de haute sécurité en termes de conditions de détention. Vous êtes réellement isolé. C’est une des choses dont j'ai le plus souffert. Et vous signez tous les mois une espèce de décharge qui dit que vous acceptez d'être détenu pendant encore un mois. Les premiers jours, les premières semaines, il s'agissait de reconquérir le contrôle du temps, c'est-à-dire savoir quand on vous sert le petit-déjeuner, quand on vous apporte des médicaments et donc à partir de quel moment vous pouvez dormir le soir. Et puis les trois repas qui étaient servis. C'était extrêmement monotone. C'est très difficile à vivre, surtout que je suis un boulimique de travail. 

Aucune nouvelle de l'extérieur. Vous ne savez pas pourquoi on vous retient. Vous ne savez pas au nom de quoi, pour combien de temps. Pour moi, ça a été une véritable épreuve.  

Roland Marchal

à Radio France

Que pouvez-vous nous dire des interrogatoires que vous avez subis ? 

Les interrogatoires étaient surréalistes. On me demandait de me souvenir de textes que j’avais écrits il y a 30 ans, de réunions auxquelles j’avais participé il y a 20 ans. J’étais accusé de travailler pour les services français, pour la CIA. Tout cela me semblait complètement privé de sens. Au début, vous espérez être libéré très vite, puis ensuite moins vite. Et puis vous n’espérez pratiquement plus. Mon scénario optimiste, c'était juste après les élections américaines, c'est-à-dire en novembre de cette année, parce que je voyais que les interrogatoires se passaient de plus en plus mal. C'était de plus en plus conflictuel. Ça hurlait. Vous êtes dans une cellule où tout est très silencieux et puis, tout d'un coup, vous êtes dans une salle où votre interrogateur hurle parce qu’il vous reproche de ne pas vous souvenir. Il y a un "gentil" et un "méchant". Psychologiquement, les techniques utilisées sont extrêmement douloureuses. 

Pendant des mois, votre détention n'a pas été révélée publiquement. Celle de Fariba Adelkhah a été dévoilée en juillet, la vôtre un peu plus tard, à la mi-octobre. Les autorités françaises ont pu, à ce moment-là, commenter l’affaire. Les médias s’en sont emparés. Vous avez perçu cela en prison ?  

Le consul, que j'ai vu plusieurs fois, me disait de garder espoir, qu'on faisait tout pour moi. Mais la liberté de parole était extrêmement limitée puisque les entretiens étaient brefs, et sous haute surveillance. Je ne savais rien de particulier. C'est plutôt vers le mois de février que j’ai perçu quelque chose.

L’un de mes interrogateurs m'a expliqué que tout cela était lié à des négociations portant sur un Iranien [détenu] en France, que mon cas était un moyen de faire pression sur les Français. Là, j'ai compris que j'étais une monnaie d'échange, ce qui était au fond un peu rassurant.

Roland Marchal

Un échange était envisageable. Ma libération ne dépendait pas de mes aventures judiciaires. La campagne médiatique a joué un rôle parce que dans ce même entretien, on m'a expliqué que la presse me décrivait comme mourant. Ça les a quand même un peu inquiétés et à la fin, je n'étais pas bien traité eu égard à ce que je voyais pour d'autres détenus, mais je n'ai jamais été maltraité. L'accès aux soins ne m'a pas été interdit et on n'est pas revenu sur les conditions de détention, on ne m'a pas transféré dans une autre cellule, ce qui, pour moi, aurait été la fin.

Le témoignage de Roland Marchal, avec Franck Mathevon

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