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Italie : pourquoi Matteo Salvini reste un homme fort sur la scène politique

Le chef de la Ligue, Matteo Salvini, a perdu son pari de provoquer un scrutin anticipé dès l'automne. Il devrait donc retrouver son rôle d'opposant, qui pourrait cependant lui permettre de transformer son retour en bain de jouvence.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Matteo Salvini, le 28 août 2019, à Rome (Italie). (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

A peine hors jeu, il prépare déjà son retour. Après 14 mois passés au pouvoir en Italie en tant que ministre de l'Intérieur, le souverainiste Matteo Salvini devrait se retrouver exclu du pouvoir. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même : c'est lui qui a provoqué la chute prématurée du premier gouvernement populiste d'Italie en dynamitant le 8 août, en plein été, l'alliance formée entre la Ligue, le parti eurosceptique et xénophobe qu'il dirige, et le Mouvement 5 Etoiles (M5S). Il ne fera donc pas partie du nouveau gouvernement italien, basé sur une majorité inédite entre les sociaux-démocrates et le M5S, que le Premier ministre sortant Giuseppe Conte a accepté de former.

Pour autant, Matteo Salvini ne se laisse pas abattre : il a appelé, jeudi 29 août, ses soutiens à une "grande" manifestation à Rome, le 19 octobre. Franceinfo vous explique pourquoi "il Capitano" pèse encore sur la scène politique italienne.

Parce qu'il ne "lâche pas le morceau"

"Vous ne vous libérerez pas de moi avec un petit jeu de palais, je ne lâche pas le morceau" : Matteo Salvini a prévenu ses détracteurs sur Facebook, jeudi. Dans cette vidéo diffusée en direct sur sa page officielle, il déclare avoir une "folle envie de reconstruire". Il appelle également ses soutiens à manifester le 19 octobre à Rome. "Le samedi 19 octobre, je pense à une grande journée de la fierté italienne", a-t-il ajouté, avant de marteler la date sur Twitter.

D'ici à la mi-octobre, Matteo Salvini ne va pas rester les bras croisés. Il promet l'organisation de "stands dans toute l'Italie les 21 et 22 septembre, pour réclamer la démocratie, le respect du vote et des règles". Il espère aussi une large participation à un meeting politique de son parti, le 15 septembre à Bergame, dans sa région de Lombardie.

Parce que son parti est encore populaire

Dans les mois à venir, la cote de Matteo Salvini devrait chuter, selon les politologues. Lorenzo Castellani, professeur de sciences politiques à l'université Luiss de Rome, interrogé par l'AFP, le voit même tomber de 10 points, à moins de 20%, car "les Italiens sont cyniques et ils n'aiment pas les petits malins qui s'avèrent perdants".

En revanche, son parti a toujours le vent en poupe. Le jour de son éclatante rupture, la Ligue de Matteo Salvini était créditée de 38% des intentions de vote, quatre points de plus que son record aux européennes de mai. Dans la semaine du 26 août, elle est tombée entre 31% et 33%.

Parce qu'il est toujours soutenu par les eurosceptiques

Son aversion pour l'Union européenne est un handicap aujourd'hui, mais pourra se révéler un atout demain. Car selon Lorenzo Castellani, Matteo Salvini a "fait peur aux Européens" quand il a refusé de voter, en dépit d'un accord préalable avec ses alliés du M5S et les grands partis européens, en faveur d'Ursula von der Leyen comme présidente de la Commission européenne. Les Européens "redoutaient d'avoir à gérer un autre Boris Johnson", et Salvini "n'a pas compris le vrai jeu des forces qu'il avait contre lui", poursuit le professeur. Mais le Lombard de 46 ans, tombé dans la politique tout jeune, semble en avoir pris conscience ces derniers jours.

De fait, jeudi, l'Allemand Günther Oettingercommissaire européen au Budget, a qualifié Matteo Salvini de "populiste qui fait de la politique en maillot de bain" et assuré qu'il "ferait son possible pour faciliter le travail du nouveau gouvernement italien", selon Il Corriere della sera (en italien). Matteo Salvini lui a répondu dans un direct sur Facebook. "L'Union européenne et Bruxelles sont prêtes à récompenser le nouveau gouvernement. Celui qui a toujours rappelé à l'ordre, aujourd'hui jette son masque", a-t-il réagi. "Ce gouvernement n'est pas formé à Rome pour le futur des écoles (…) mais il est formé à Bruxelles pour faire fuir cet emmerdeur de Salvini", a ajouté le ministre de l'Intérieur encore en poste.

Il peut se targuer du soutien du Premier ministre hongrois. Ce dernier le lui a assuré, "indépendamment des futurs processus politiques italiens". Selon La Stampa (en italien), Viktor Orban définit, dans une lettre, Matteo Salvini comme "un allié dans la lutte et les batailles pour défendre l'héritage chrétien de l'Europe contre l'immigration". "Nous, Hongrois, n'oublierons jamais qu'il fut le premier dirigeant de l'Europe occidentale qui voulait empêcher les migrants clandestins d'entrer sur le continent en traversant la Méditerranée", détaille-t-il.

Parce qu'il a le temps de préparer un éventuel retour dans les urnes

Sa volonté et ses soutiens suffiront-ils pour permettre le retour de Matteo Salvini ? Le chef de la Ligue se dit touché mais pas coulé. Il est prêt à attendre le temps qu'il faudra avant de ressurgir. "Faisons une saine opposition pendant quelques mois, puis revenons pour gagner", lance-t-il à ses soutiens sur Facebook.

Un rôle d'opposant que lui confèrent également ses alliés d'autrefois. Comme l'explique Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po, la coalition entre le Parti démocrate et le M5S se construit aussi pour contrer Matteo Salvini. "Leur idée est de durer le plus longtemps possible pour essayer d'isoler et d'éroder la popularité de Matteo Salvini qui se retrouverait dans une opposition assez stérile", décrypte-t-il pour franceinfo.

Pour Marc Lazar, un échec de cette coalition pourrait profiter à Matteo Salvini. "Soit ce gouvernement arrive à relancer l'économie et à satisfaire, notamment, les attentes sociales des Italiens, et dans ce cas, Matteo Salvini sera dans une situation très difficile. Soit il échoue et Matteo Salvini risque de remporter la mise encore une fois au terme de la législature", analyse le spécialiste. Cela pourrait aussi signifier un retour aux urnes à l'automne. 

Massimo Cacciari, philosophe italien proche du centre-gauche, ne s'y est pas trompé. Il a lancé une mise en garde jeudi dans La Stampa : "Le pacte PD-M5S risque de bénéficier à Salvini. Pour battre le populisme, il faut des idées nouvelles. Sinon, nous ouvrirons grand les portes et nous aurons les souverainistes au pouvoir pour une ou deux générations."

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