Italie : après les élections, le pays plus que jamais fracturé en deux
Les élections du 4 mars laissent l'Italie dans un état de grande confusion quant à son futur gouvernement. Ce n'est pas seulement qu'aucune majorité claire ne se dessine, qu'aucune coalition ne s’impose naturellement. C’est que le pays se retrouve coupé en deux.
Pasquale Pasquino, auteur de cet article, est directeur de recherche au CNRS. La version originale de cet article a été publiée sur le site Telos, dont franceinfo est partenaire.
Les élections du 4 mars, auxquelles ont participé 73% des électeurs inscrits, laissent l'Italie dans un état de grande confusion quant à son futur gouvernement. Les résultats confirment et amplifient, par rapport aux sondages, la croissance du Mouvement 5 Etoiles (32,6% à la Chambre des députés), qui domine notamment dans le sud du pays.
Trois forces politiques subissent un échec, qui va, lui aussi, au-delà des prévisions :
1. Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, périclite et doit accepter la primauté de la Ligue du Nord dans le cadre de l'alliance de droite.
2. Le Parti démocratique de Matteo Renzi obtient le score le plus bas pour un parti de gauche depuis le début de la République. Avec 18,7%, il arrive en troisième position parmi les partis de tendance social-démocratique des grands pays du continent, en dessous du PSOE espagnol (22,6% en 2016) et du SPD, l'aîné glorieux de ce courant politique, qui a obtenu 20,5% des suffrages en Allemagne le 24 septembre dernier.
3. Le petit parti à gauche de la gauche, Libres et Egaux, qui réunissait des anciens secrétaires généraux du PD hostiles à Renzi, de même que les présidents sortant de la Chambre des Députés et du Sénat, ne gagne qu'un tout petit 3,4% du vote populaire. S'ils ont eu la peau politique de Matteo Renzi, qui démissionne de la direction du Parti, ils font naufrage avec lui.
Le Nord contre le Sud
L'Italie – ceci nous semble la donnée plus inquiétante de ces élections – se retrouve au lendemain du 4 mars coupée en deux, davantage encore que par le passé, avec une droite droitisée qui contrôle le nord du pays et le M5S qui domine le Sud. La Ligue de Matteo Salvini, qui appartient à la coalition de droite, regarde vers les partenaires européens du groupe de Višegrad tandis que le Sud dérive vers les plages aujourd'hui peu heureuses de la Grèce.
Reste à savoir qui va pouvoir gouverner ce pays tiraillé entre un Nord assez riche, productif et économiquement lié à l'Union européenne, et le Sud qui se donne pieds et poings liés aux dilettantes politiques du Mouvement de Grillo et à la plateforme numérique dénommée Rousseau, en signe de mépris pour la démocratie représentative.
La victoire des 5 Etoiles dans la Sud tient, en même temps qu'à l'hostilité vis-à-vis de la classe politique, pour beaucoup à des promesses intenables tel le "revenu minimum pour tous les citoyens" (reddito di cittadinanza) et à l'espoir que ses représentants élus puissent satisfaire la demande d'assistanat (assistenzialismo), qui vient de cette partie du pays. Le succès de la Ligue (qui s'affirme bien au-delà du nord-est) est dû dans une large mesure à sa campagne électorale axée autour de la menace de l'immigration.
Le Nord n'acceptera pas de se laisser gouverner par le Sud. Et la tension entre les deux moitiés du pays est destinée à s'accroître.
Un pays ingouvernable ?
Gouvernement difficile à former, aussi et avant tout, car la nouvelle loi électorale, qui a été utilisée pour la première fois et qui présente un mélange entre une partie proportionnelle (deux tiers) et une partie majoritaire (un tiers), ne permet pas de dégager une majorité, dans le contexte d'un système de partis très fragmenté et caractérisé par une hostilité réciproque intense. Ni les élus du M5S, ni la coalition de droite, ni une éventuelle coalition de partis pro-Union européenne n'ont suffisamment d'élus au Parlement pour pouvoir gouverner seuls. Des accords de gouvernement entre des partis qui ont mené campagne les uns contre les autres, paraissent très difficiles, pour le moment en tout cas.
Après ces élections va s'ouvrir une longue phase de décantation et de négociations, dont il est très difficile de dire combien de temps elle va durer ni à quels résultats elle pourrait aboutir. Dans les systèmes politiques qui ont des lois électorales largement proportionnelles, les gouvernements prennent beaucoup de temps à se constituer. On l'a vu récemment en Espagne, en Belgique, au Pays-Bas et même en Allemagne.
Le Monde exagère sans doute en parlant [à la une datée du 6 mars] de cataclysme électoral en Italie. Il faut bien sûr s'attendre à une longue phase de transition et peut-être à une restructuration du système des partis en Italie. Si on laisse de côté toute rhétorique de la souveraineté populaire, on doit cependant reconnaître que les élections représentent un risque : parfois elles offrent des solutions aux problèmes de la vie politique, parfois elles font naître ces problèmes. Et cela n'arrive pas que dans la péninsule.
Quant à la formation d'un prochain gouvernement à Rome, cela sera une affaire à suivre de près. Quoi qu'il en soit, le gouvernement italien ne pourra pas se faire contre l'Europe. Il est même vraisemblable qu'il ne pourra pas se constituer sans une alliance de l'un des gagnants (la coalition de droite ou le Mouvement 5 Etoiles) avec ce qui reste de la gauche. Renzi, démissionnaire, a dit non, aujourd'hui. Le lecteur se souvient de Martin Schulz hier.
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