Italie: CasaPound, ces fascistes qui vous veulent du «bien»
Il faut distinguer la «Casa Pound», le squat romain fondé en 2003 qui sert à la fois de centre social (une vingtaine de familles y sont hébergées) et de local au mouvement, et «CasaPound Italia» (CPI), l’association d’utilité publique créée en 2008 qui est la structure légale du groupe.
Aujourd’hui, CPI revendique 4 000 militants et occupe une dizaine d’autres bâtiments dans toute l’Italie. Reprenant une vieille tradition de l’extrême-gauche italienne, les squats deviennent des lieux de manifestations politiques et culturelles et le siège d’associations gravitant autour de CPI. Jusqu’à former littéralement l’embryon d’une «fachosphère».
Slogan : «Dans le doute, cogne !»
«Nous sommes un mouvement politique mais pas un parti. (…) Nous sommes fascistes et assumons tout l’héritage de la période fasciste, y compris les erreurs. (…) Contrairement au communisme, le fascisme n’a pas échoué, il a été vaincu sur le champ de bataille», déclare Adriano Scianca, l’un des idéologues de CPI.
Leurs références historiques et intellectuelles incluent Che Guevara, Hugo Chavez ou Michel Foucault (à côté des incontournables D’Annunzio et Mussolini), le signe de la nécessaire «actualisation» que représente CPI. Ils affirment d’ailleurs avoir «ramassé» le fascisme que la droite italienne avait laissé en déshérence. Scianca avoue même que les premières activités de la Casa Pound n’auraient intéressé personne si les gens n’avaient pas été interpellés par l’étiquette «fasciste».
Il faut en effet rappeler que l’Italie n’a jamais réellement été «défascisée» par les Alliés au sortir de la Guerre. La prospérité économique des Trente Glorieuses sous l’égide de la Démocratie Chrétienne avait repoussé le fascisme dans le passé, le laissant aux nostalgiques de Mussolini et à des groupes ultraminoritaires. Puis étaient venues les Années de Plomb, pendant lesquelles l’extrémisme venait bien davantage de l’extrême-gauche que de l’extrême-droite. Ne s’en réclamaient guère que des hooligans et des anticommunistes.
La culture politique de CPI porte la marque d’une culture urbaine politisée qui fait de la politique dans une ambiance récréative (expositions, concerts, sport…). Le discours du mouvement s’efforce de donner une dimension romantique et esthétique à son «combat». S’en dégage ce que le journaliste allemand des années 30 Sebastian Haffner nomme «encamaradement», la dissolution de la pensée individuelle dans les élans collectifs.
Bien que le groupe se défende de tout racisme, leur discours attaque la mondialisation, la finance internationale, l’immigration et le multiculturalisme. CPI revendique un monde où les «identités» nationales et collectives coexistent mais ne se mélangent pas. Les immigrés sont vus comme des victimes du Capital qui les a arrachés à leurs foyers pour faire baisser le coût du travail en Italie. Il serait donc dans l’intérêt de tous que chacun reste ou retourne «chez soi»…
Cela n’empêche pas que des bagarres à connotation raciste éclatent assez souvent, d’autant que la Casa Pound est située dans un quartier très cosmopolite. En 2011, un proche du mouvement s’était suicidé après avoir abattu deux vendeurs ambulants sénégalais à Florence.
Sur tous les fronts
Ce qui fait l’originalité de CPI, c’est la variété de ses activités. A côté de son combat politique, le mouvement s’efforce d’être présent dans un maximum de domaines. Une ambition englobante qui est une caractéristique des mouvements totalitaires.
Leur première revendication politique est le prêt social (mutuo sociale). Il s’agit de logements à bas coûts inaliénables construits par les régions pour loger des familles italiennes. Les mensualités seraient calculées en fonction du revenu, et seraient suspendues en cas de chômage.
La deuxième est le «temps d’être mères» (Tempo di Essere Madri), possibilité pour un jeune parent de réduire sa journée de travail à 6 heures au lieu de 8 sans perte de salaire (les heures non-travaillées étant prises en charge par l’Etat).
Aux côtés de CPI, on trouve souvent le Bloc étudiant (Blocco Studentesco), un syndicat étudiant fasciste créé en 2006 qui revendique 3000 adhérents.
Si le Bloc étudiant agite volontiers des drapeaux noirs, on reste loin des coups de batte et de couteau des années 70 où des jeunes trouvaient parfois la mort. Le Bloc reste un renfort utile pendant les manifestations et permet de toucher la population étudiante, très durement frappée par le chômage et à l’avenir plus qu’incertain (44% de chômage des moins de 25 ans selon Les Echos).
Enfin et surtout, CPI est au centre d’un réseau d’associations. En Italie, la politique passe aussi par l’encadrement social et culturel.
La Salamandra, proche de CPI, est un regroupement de «noyaux de protection civile» créé suite au séisme de L’Aquila en 2009, où les néofascistes avaient été parmi les premiers à venir en aide aux sinistrés. Solidarités-Identités ou La forêt qui avance gravitent aussi autour de CPI.
Des clubs sportifs aux noms évocateurs de «Instinct Rapace» (parachutisme), «Requins Noirs» (water-polo), «Diables de mer» (plongée), «Cercle combattant CasaPound» (arts martiaux) forment les militants au combat.
L’éducation politique et culturelle passe par un réseau de librairies, des revues (Occidentale et Fare Quadrato), un club de théâtre, une radio (Radio Drapeau noir), un club de musique (Bunker Noise Academy)... Le président de CasaPound, Gianluca Iannone, est le chanteur du groupe Zetazeroalfa, qui pratique la cinghiamattanza (variante du pogo avec coups de ceinture) en concert. CasaPound a même participé épisodiquement à des programmes d’aide humanitaire à l’étranger.
CPI partage ainsi avec le fascisme mussolinien la recherche d’un encadrement total, la très forte composante sociale, la culture plébéienne et le nationalisme exacerbé.
La (longue) marche vers le pouvoir
A l’échelle européenne, CasaPound Italia a peu d’équivalent en termes de structuration et d’activisme, à part peut-être en Grèce : Aube Dorée, qui a choisi la forme du parti politique, détient 8% des sièges du Parlement et s’efforce d’être présent sur le terrain social. Le caractère proprement fasciste de CPI les sépare d’autres familles de l’extrême-droite. En France, leurs premiers admirateurs sont les Identitaires et Egalité et Réconciliation.
Plus notable est le fait que CasaPound Italia s’inscrit dans un mouvement général de dédiabolisation des extrêmes-droite grâce à l’action sociale et à l’élimination de références «repoussoir» comme celles à l’Allemagne nazie.
En Italie, leur objectif affiché est la conquête du pouvoir, officiellement par les urnes. Leurs premiers adversaires sont bien entendu l’extrême-gauche antifasciste, à qui CPI fait concurrence sur le terrain de l’action de rue. Des alliances ont eu lieu avec la droite, notamment avec la Ligue du Nord.
CPI a connu son baptême électoral aux municipales de 2011, en présentant des candidats sur les listes du PDL, le parti de Silvio Berlusconi. Sept proches du mouvement ont été élus conseillers municipaux.
En 2013, CPI présente une liste aux élections générales (législatives et sénatoriales) menée par Simone di Stefano. Pendant la campagne, des heurts se sont produits avec des antifascistes. Di Stefano n’obtiendra pas 0,15% des voix. La conquête du pouvoir est encore loin.
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