Les ambitions nucléaires iraniennes cristallisent depuis des années l'attention de la communauté internationale
Le dossier du nucléaire iranien est complexe. A peine le thème est-il évoqué, que les interrogations affluent. A commencer par la plus cruciale: les velléités iraniennes vont-elles déboucher sur une crise internationale ?
D"aucun y songe, notamment ceux qui considèrent cette affaire comme le plus grand défi stratégique de notre époque.
L"hypothétique possession par l"Iran de l"arme nucléaire renvoie à une menace croissante contre Israël et à un effet domino au Moyen-Orient. Car si l'Iran possède un jour la bombe atomique, d'autres pays de la région voudront immanquablement s'en doter à leur tour.
Que cherche réellement Mahmoud Ahmadinejad en envoyant des signes contradictoires ? Gagner du temps ? Pousser l'Occident à la faute ? Difficile de dégager une ligne claire dans la stratégie menée ces dernières semaines par le président iranien.
Restent les faits. Et ils sont têtus. La révélation en marge du sommet du G20 d"un second centre d"enrichissement de l"uranium à Qom, à 170 kilomètres au sud de Téhéran, a rappelé les réelles intentions iraniennes. L'officialisation de ce programme secret et illégal a sonné comme un coup de théâtre quelques jours après l"adoption par l"ONU, d"une résolution prônant un monde sans armes.
La marche en avant de l'Iran
Mines d"uranium, usines d"enrichissement… depuis sept ans, une douzaine d"installations susceptibles de servir un programme militaire ont été découvertes les unes après les autres par les inspecteurs de l"AIEA.
Menacé de l"intérieur par une contestation qu"il est parvenu à juguler par la force, et de plus en plus isolé sur la scène internationale, M. Ahamadinejad et plus largement, le régime iranien, semble vouloir accélérer la mise en œuvre du programme nucléaire. Selon le dernier rapport de l"AIEA, l"Iran détiendrait 366 tonnes d"uranium brute, 8 000 centrifugeuses et 1.400 kg d"uranium enrichi. Des quantités suffisantes, selon les experts, pour fabriquer la première bombe.
Par ailleurs, le lancement en février 2009, du premier satellite iranien atteste que le pays maîtrise à présent la technique de la séparation des étages et pourrait mettre au point des missiles d"une portée de plus de 2 000 kilomètres. Distant de 1.000 kilomètres, Israël a d"ores et déjà averti qu"il répondrait à toute menace de "manière destructrice", notamment sur le programme nucléaire.
Le régime iranien a plus d"une carte dans sa manche: d'importantes réserves énergétiques, pétrole et gaz, une situation géopolitique stratégique, et des solides liens avec deux membres permanents du conseil de sécurité que sont la Chine et la Russie.
Arme politique plus que militaire, la possession de la bombe nucléaire renforcerait le poids de l'Iran lors de ses négociations avec les pays de l"Occident, lui permettrait d'acquérir une position dominante au Moyen-Orient, d'accroître son influence face aux arabes sunnites et tenter de se poser en leader des populations arabes et musulmanes.
Vers un début de sortie de crise ?
Au début des tensions, la communauté internationale ne faisait pas bloc. D"un côté, les Etats-Unis, notamment sous la présidence Bush, avaient opté davantage pour la confrontation et l"isolement. De l"autre, les Européens préféraient la voie diplomatique. Mais les démonstrations de force et les provocations répétées du président Ahmadinejad ont fini par jouer contre lui. Les grands pays affichent depuis peu une position commune et jouent l"unité pour tenter d"enrayer la marche en avant iranienne.
A travers l'AIEA, ils ont proposé un compromis consistant à transférer en Russie l'uranium iranien faiblement enrichi afin qu'il y soit transformé en combustible nucléaire. Mahmoud Ahmadinejad a répondu qu'il ne renoncerait pas à ses droits au nucléaire mais était prêt à collaborer sur les technologies, le combustible et les usines de production électrique.
Le président Ahmadinejad a même estimé que les relations entre l'Iran et l'Occident étaient passées de la "confrontation à la coopération" sur le nucléaire et s'est dit prêt à un échange de combustible dans le cadre du projet d'accord avec les Etats-Unis, la Russie et la France.
Fidèle à sa stratégie, Mahmoud Ahmadinejad continue de souffler le chaud et le froid. Reste à déterminer sa réelle volonté face à ce nouveau projet d'accord.
L'analyse de Didier Billion, chercheur à l"IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques)
DB. Oui, en dépit de toutes les déclarations des dirigeants iraniens qui affirment depuis des années qu"ils ne sont intéressés que par la maîtrise du nucléaire civile. Ces déclarations ne dupent personne pour au moins deux raisons. Une raison technique d"abord, celui qui maîtrise le processus technologique du nucléaire civile maîtrise celui du nucléaire militaire parce qu"il n"y a pas de passerelle étanche entre les deux, ou très minime.
Il y a aussi une raison politique de fond. Les iraniens ont toujours en mémoire la douloureuse guerre de 1980-1988 avec l"Irak. Ils se rappellent très bien que nombre de leurs villes ont été bombardées par des missiles irakiens et qu"à l"époque, ils étaient totalement impuissants. L"Iran est un pays nationaliste, patriotique et après ces événements, ils se sont dits « plus jamais ça ». D"où la nécessité, même s"ils ne l"affichent pas ainsi bien évidemment, de se doter d"une arme de dissuasion.
Dissuasion uniquement ?
DB. Oui, j"insiste sur ce terme car si les Iraniens accèdent à la technologie nucléaire militaire, je ne pense pas du tout qu"ils songent à l'utiliser. Ils sont bien dans une logique de dissuasion comme d"autres pays qui se sont dotés de la bombe atomique.
Ne soyons pas naïfs. Oui, les iraniens veulent la bombe atomique. Mais en même temps, je ne vois pas en quoi ça devrait être affolant en tant que tel, c'est-à-dire en quoi les Iraniens seraient moins rationnels que les Pakistanais, les Indiens, les Israéliens, ou les Français. Ce qui m"inquiète en revanche, c"est la prolifération de ces armes.
Téhéran est-il en mesure de produire une arme nucléaire dans l"année qui vient ?
DB. Impossible de répondre. Il y a trop d'informations contradictoires qui émanent parfois des mêmes services américains ou Israéliens, notamment depuis trois quatre ans. On ne connaît pas tous les sites et on ignore également l"ampleur du nombre de sites clandestins. On n"a donc pas les éléments tangibles pour se prononcer.
La seule certitude, c"est que les Iraniens avancent de manière très rationnelle vers la maîtrise de la technologie d"enrichissement d"uranium, et ce n"est pas uniquement pour faire tourner leurs centrales nucléaires, centrales qui ne sont d"ailleurs toujours pas en situation d"être en service.
Le reproche que l"on peut faire aux Iraniens, ce n"est pas tant leur volonté de se doter de la bombe, même s"ils ont signé le TNP (Traité de Non Prolifération) qui je crois relève d"une argutie juridique, mais c"est leur manière de cacher systématiquement des informations et de ne les délivrer que de façon très graduelle, ponctuelle et quand ils sont vraiment sous pression.
Quelle est l"objectif d"Ahmadinejad ? Poursuit-il le rêve d"un « croissant chiite » allant de Téhéran à la banlieue sud de Beyrouth ? Et la possession de l"arme nucléaire est-il l"un des moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif ?
DB. C"est un mythe. Cela ne correspond à rien. Ahmadinejad n"a jamais parlé de "croissant chiite". Les premiers à avoir utilisé ce terme "d"arc"ou de "croissant chiite" ce sont les Jordaniens et les Egyptiens dont on connaît la "grande autonomie" vis-à-vis de les administrations américaines. Cela n"est quand même pas un hasard.
L"Iran ne cherche-t-il pas à accroître son influence ?
DB. Que l"Iran soit une puissance qui est désormais conscience de son potentiel régional, c"est incontestable mais que l"Iran est une volonté expansionniste, non, je ne le crois pas.
Ce qui est vrai c"est qu"ils se comportent d"ores et déjà comme une puissance régionale qui compte, ce qui va devenir de plus en plus vrai dans les 15 prochaines années, au-delà des péripéties de l"actualité, à moins qu"ils ne soient vitrifiés sous un déluge de bombes atomiques, ce que je ne crois absolument pas.
Ils ont évidemment des relais d"influence dans un certain nombre de pays mais il ne faut pas croire que ces relais d"influence soient pieds et poings liés à Téhéran. Les choses sont beaucoup plus compliquées. Les communautés chiites, majoritaires en Irak ou minoritaires en Arabie Saoudite ou au Liban, ont leur propre agenda politique. Conjoncturellement, elles peuvent donc bénéficier des largesses financières de Téhéran ou être en accord avec des projets politiques de Téhéran, mais elles ne cherchent pas à renforcer la puissance iranienne. Ce qui les intéresse, c"est la façon dont les rapports de force peuvent jouer dans leur propre pays et comment ils peuvent acquérir une puissance plus importante, avoir plus d"élus là où il y a des élections.
Si l"Iran possédait un jour l"arme nucléaire, Israël serait-il en danger ? Les Israéliens ont tort de s"inquiéter ?
DB. Je le redis, les Iraniens sont dans une logique de dissuasion. Ils savent parfaitement que s"ils envoyaient une ou deux bombes, ils s"en prendraient immédiatement cinquante.
Il y a une instrumentalisation de ce dossier. Benjamin Netanyahu a là une occasion en or et il a tout à fait raison, de son point, de vue d"agiter cette menace pour assurer sa sécurité et renforcer les soutiens traditionnels d"Israël.
A quoi riment alors les provocations à répétition d"Ahmadinejad ?
DB. Ces déclarations sont totalement contre-productives par rapport aux objectifs et intérêts iraniens. Pourquoi les fait-il ? Il y a deux hypothèses. Ou cela tient à la personnalité même de M. Ahmadinejad, mais je ne crois pas qu'il soit un idiot absolu, ou cela révèle une lutte d"appareil au sein du sommet de l"Etat iranien.
En Iran, les responsables politiques comme la population veulent majoritairement se doter de la technologie nucléaire civile et donc militaire. Or, les gesticulations provocatrices d"Ahmadinejad ont placé l"Iran dans la ligne de mire de l"attention diplomatique internationale rendant encore plus compliqué l"atteinte de cet objectif. La question est donc: à qui profite le crime ?
Enfin dernier élément, n"oubliez pas que parmi des responsables de premier plan notamment Khatami ou Rafsanfjani, il y a eu dénonciation publique des propos d'Ahmadinejad, ce qui prouve bien que, sur ce dossier central du nucléaire, il y a de vives divergences au sommet du pouvoir.
La stratégie de la « main tendue » de Barack Obama réduit-elle la marge de manœuvre d"Ahmadinejad ? Fragilise-t-elle les bases du régime iranien en place aujourd"hui ?
DB. Le changement de cap opéré par Barack Obama a bouleversé le jeu. Il a eu l"intelligence politique de tenir ce discours d'ouverture et surtout de ne pas lâcher. Il a ainsi pu faire évoluer les perceptions et les représentations des acteurs concernés et modifier les « règles du jeu ». Il a réussi notamment à convaincre la Russie d"avoir une position plus ouverte sur les sanctions à prendre dans l"hypothèse où les iraniens ne cèderaient pas aux propositions fermes de la communauté internationale.
Dans ce dossier, le rôle des Etats-Unis est central. Les précédentes tentatives de compromis des européens n"ont d"ailleurs pas abouti parce que les Etats-Unis étaient dans une logique de bras de fer. Car que cherchent les Iraniens ? Ils veulent des garantis en termes de sécurité. Qui peut leur donner cela, qui peut garantir cette sécurité ? Les Etats-Unis.
L"élection de l"un des candidats réformateurs Mehdi Karouli ou Mir Hossein Moussavi à la tête du pays aurait-il infléchi la stratégie nucléaire iranienne ?
DB. Sans doute, car s"il n"y a pas de divergence de fond sur le dossier nucléaire entre les leaders politiques iraniens, les modalités de négociation auraient été différentes si l"un des réformateurs avaient été élu. D'autres dynamiques, notamment sociales, auraient été enclenchées.
Juste un exemple. Cet été, M. Rafsjandjani, personnage centrale en Iran, a lancé l"idée d"un conseil de la guidance qui pourrait être composé d"une douzaine de membres, à la place du Guide de la Révolution. C'est une proposition incroyable qui, si elle se réalisait, changerait énormément de choses dans les rapports internes du pouvoir.
J"ajoute un autre élément. La brutalité avec laquelle la répression s"est développée après la proclamation des résultats des présidentielles au mois de juin n'est pas sans rapport avec la nouvelle politique américaine menée par Barack Obama.
Les conservateurs iraniens au pouvoir ont compris qu"ils ne pourraient pas éviter, à un moment ou à un autre, de s"assoir autour de la même table que les Américains et là, ils ont « soudé les rangs ». Il fallait que ce soit le noyau dur des durs du pouvoir, qui se retrouvent face aux représentants américains. La « mouvance réformatrice » aurait été en situation de lâcher trop de choses.
Si les négociations échouent, si l"Iran n"accepte pas la proposition de l"AIEA concernant l"enrichissement uranium, que peuvent faire les alliés ? Prendre des sanctions financières ? Energétiques ? Militaires ?
DB. Aggraver les sanctions déjà prises à savoir l"embargo, les restrictions sur les activités financières de deux banques suspectées d"être liées au programme nucléaire et aussi l"interdiction de circulation pour un certain nombre de personnes.
L"Iran a des difficultés économiques et ces sanctions les aggravent mais elles ne posent pas de problèmes vitaux à l"économie iranienne.
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