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Les dollars du FMI peuvent-ils sauver l'Egypte du président Sissi?

Le FMI a accepté la demande de l’Egypte en lui accordant un prêt de 12 milliards de dollars en échange de réformes économiques drastiques. Un premier versement de 2,7 milliards de dollars a été effectué pour sauver le pays d’une quasi faillite. Mais les réformes demandées vont-elles être acceptées par une population dont le mécontentement ne fait qu’augmenter.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des manifestants, le 11 novembre 2016, dans un quartier de Gizeh, près du Caire. Ils protestent contre les pénuries et les hausses de prix. «Manifeste pour le changement. La révolution est ton choix», peut-on lire sur la pancarte de la manifestante. (HESHAM FATHY / ANADOLU AGENCY)

Il faut dire que le pays connaît une conjoncture économique difficile: baisse des recettes du canal de Suez liée au ralentissement du commerce international, tourisme en chute libre à la suite des attentats, notamment contre un avion russe en 2015, recul des revenus venant des travailleurs égyptiens dans le Golfe en raison de la chute du pétrole, rareté des devises… Conséquences: la croissance ralentit, le chômage augmente. 

Les régimes passent et la situation économique du pays ne s’améliore pas. «Toutes les décisions difficiles que beaucoup ont eu peur de prendre au fil des dernières années, je n’hésiterai pas une seconde à les prendre», a lancé un président Sissi au pied du mur. D'où ces réformes et cet appel au FMI… avec les risques politiques qui vont avec. 

L'idée du gouvernement égyptien est d'assainir les finances publiques et de rendre le pays compétitif et attractif pour les investissements étrangers. «La politique budgétaire du gouvernement sera ancrée dans le fait de placer la dette publique sur un chemin nettement en déclin vers des niveaux plus durables. Au cours de la période de programmation, la dette des administrations publiques devrait diminuer d'environ 98% en 2015-2016 à environ 88% du PIB en 2018-2019», ecrit le FMI à propos des réformes jugées nécessaires dans le pays.


L'Egypte au bord de la faillite
Dans cette difficile situation, l’Egypte ne peut plus vraiment compter sur l’aide financière de son principal bailleur de fonds, l’Arabie Saoudite, elle-même devant faire face à la baisse du prix du pétrole. Sans compter que les monarchies du Golfe ne goûtent pas vraiment les choix politiques de Sissi, plutôt partisan de la Syrie, et qui n’a pas voulu intervenir dans le bourbier yéménite malgré les demandes saoudiennes.

De ce fait, le pays est quasi à cours de liquidités, ses réserves de change sont au plus bas, phénomène amplifié par le fait que les investisseurs étrangers évitent le pays et que Ryad a fermé le robinet du pétrole. 

Face à cela, début novembre, la Banque centrale a décidé de laisser flotter la livre égyptienne, entraînant de facto une forte dévaluation de près de 50% de la monnaie face au dollar.


Déjà des conséquences pour la population
Avec la dévaluation de la monnaie qui entraîne une valse des étiquettes et l’arrêt d’un certain nombre de subventions, le coût de la vie va exploser pour les Egyptiens les plus modestes.

«Comment puis-je vivre alors que le prix du kilo de sucre est passé de 4.5 livres (0,24 euros) à 10 livres (0,54 euros) et que le prix du riz a doublé?», s’emporte un Egyptien cité par l’AFP. L'inflation, aujourd'hui de 14%, «pourrait dépasser les 20% dans l'année et demie à venir», estime un banquier.

«Hausse record» pour les prix des fruits et des légumes, indiquait mi-novembre le quotidien économique Al-Mal, conséquence d'une augmentation des prix du transport de 30% à 40%. Par ailleurs, le pays a connu ces derniers mois des pénuries de sucre, d'huile ou de lait infantile. Depuis la dévaluation, certains médicaments manquent.

Réformes économiques difficiles
En contrepartie du prêt du FMI, le gouvernement égyptien a lancé un douloureux programme de réformes, qui prévoit notamment une baisse drastique des subventions publiques – représentant 7,9% des dépenses de l'Etat – allouées notamment au carburant.
 
Ceci s'est traduit par une augmentation des prix à la pompe: 47% pour le litre d'essence à indice d'octane 80 et 35% pour celui de super 92.
 
Le programme des réformes inclut aussi une nouvelle TVA et une baisse des subventions sur l'électricité.

Le gouvernement Sissi a beau prendre des précautions de langage s'engageant à soutenir les populations les plus fragiles des conséquences des réformes, les Egyptiens savent que les difficultés vont se multiplier pour les plus faibles, dans un pays qui vit depuis très longtemps grâce aux subventions accordées aux produits de base. Le budget 2016-2017 prévoit d'ailleurs un recul de 14% de la part des subventions publiques.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (ici lors d'un discours en juin 2016) risque gros en engageant les réformes envisagées. (HO / EGYPTIAN PRESIDENCY / AFP)

Des risques politiques importants
Mais pour que les réformes classiquement libérales du gouvernement égyptien et des experts du FMI fonctionnent, encore faut-il qu'elles soient plus ou moins acceptées par la population. 

Dans un pays où près d'un tiers des 90 millions d'habitants vit sous le seuil de pauvreté, le président Abdel Fattah al-Sissi, défend depuis des mois des réformes «difficiles mais inévitables». Face à la situation explosive et au risque de manifestations de masse, les autorités affirment avoir prévu des mesures pour limiter l'impact de la crise sur les plus pauvres. Mais les effets commencent déjà à se faire sentir. 

Or, le président Sissi ne dispose que d'une confiance très limitée. Sans doute populaire lors de son arrivée au pouvoir, grâce à un coup d'Etat contre les islamistes légitimement élus, il se retrouve un peu dans la même situation que ces derniers à tenter d'imposer des réformes impopulaires. 

Et il n'est pas sûr que le régime autoritaire qu'il impose suffise à garantir la stabilité. Régulièrement, le président Abdel Fattah al-Sissi est accusé par les défenseurs des droits de l’Homme de réprimer violemment toute opposition, depuis qu’il a destitué en 2013 son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi. 


1977 les émeutes du pain
Or, pour que le plan du FMI fonctionne, il faut que la confiance suive et que donc que les oppositions aux réformes soient limitées. Ainsi, le 11 novembre 2016, à la simple rumeur de possibles manifestations, la place Tahir était bouclée, le métro fermé... 
Abdel Fattah al Sissi a multiplié ces dernières semaines les appels à ne pas manifester en prévenant ses compatriotes qu'il ne renoncerait pas aux réformes quel que soit le fardeau qu'ils auraient à porter.

Il est vrai que le régime est fragile malgré la répression. Les attentats restent nombreux et l'explosion sociale toujours possible. 

Les Egyptiens ont en mémoire une précédente tentative d'appel à l'«aide» du FMI. C’était en 1977. L’Egypte d'Anouar al-Sadate décidait alors de restreindre les subventions alimentaires dans l'espoir d’un financement du Fonds monétaire international... Cela provoqua des émeutes dans plusieurs grandes villes du pays. Le bilan de ces «émeutes du pain» fut lourd avec près de 80 morts et plusieurs centaines de blessés. Résultat: le plan fut abandonné.

Un précédent auquel le président Sissi ne peut que penser. N'affirmait-il pas à Jeune Afrique que «le chef de l’Etat égyptien doit respecter le peuple, avoir peur pour lui, renforcer sa sécurité et vouloir sa prospérité, l’aimer, sans quoi le peuple égyptien le rejette, comme il l’a montré deux fois depuis 2011».

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