C.Enderlin:«Les extrémistes ont enterré l'idée d'une paix israélo-palestinienne»
Si un alien débarquait sur Terre et qu'il souhaitait qu'on lui fasse le point sur le conflit israélo-palestinien, que lui diriez-vous à l'aune de vos trois décennies de couverture de l'actualité au Proche-Orient?
Les extrémistes ont gagné. Ils ont réussi à enterrer l'idée d'une paix israélo-palestinienne. Deux éléments ont fait basculer les opinions publiques. En 1993, après l'accord d'Oslo, les manifestations de la droite - le Likoud conduit par Benjamin Netanyahu - et de l'extrême-droite religieuse, souvent sous le slogan «Mort à Rabin (Yitzhak)», ont conduit à l'assassinat du Premier ministre en novembre 1995. En parallèle, côté palestinien, les ennemis de la paix - le Hamas et le Djihad islamique - ont lancé une campagne d'attentats-suicides destinés à torpiller le processus de négociations. Depuis, avec la relance de la colonisation en Cisjordanie et la prise de contrôle de Gaza par le Hamas, la probabilité d'un accord me paraît infime.
Pour vous, la solution de «2 Etats» n'est pas réaliste. Pourquoi ?
On ne voit pas comment il serait possible d'évacuer, ne serait-ce qu'une partie des 400.000 colons qui habitent la Cisjordanie, sur 60% de ce territoire entièrement contrôlé par Israël. Souvenez-vous : pour évacuer 8.000 Israéliens des 21 colonies construites à Gaza, durant l’été 2005, il a fallu des dizaines de milliers de militaires et de policiers.
Même si un accord, comprenant par exemple des échanges de territoires afin de ne pas évacuer les implantations les plus grandes en Cisjordanie, pouvait être conclu; il restera le problème de Jérusalem-Est et des lieux saints. Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’Islam, est aussi l’endroit où se dressait le seul lieu saint du judaïsme, le Temple. Ni les Israéliens, ni les Palestiniens ne sont prêts à y renoncer. C’est d’ailleurs sur cette dernière question qu’a échoué le sommet de Camp David en juillet 2000 entre Yasser Arafat et Ehoud Barak, le Premier ministre israélien de l’époque.
Parmi tous les hommes politiques israéliens que vous avez rencontrés, à l'exception de Yitzhak Rabin, qui aurait pu permettre à la solution «2 Etats» de prospérer ? La dynamique initiée par les accords d'Oslo est-elle à jamais perdue, selon vous?
Shimon Pérès, qui a dirigé le gouvernement israélien après l’assassinat de Rabin, aurait pu avancer vers la paix mais il a échoué pour plusieurs raisons. A celles intérieures à Israël, s'est ajoutée, à nouveau la campagne d’attentats-suicides lancée par les islamistes. Depuis, aucun dirigeant israélien n’a pu ou n’a voulu progresser vers la création d’un Etat palestinien, indépendant, viable et dont Jérusalem-Est serait la capitale.
La coexistence sera-t-elle un jour possible entre Israéliens et Palestiniens? A quelles conditions?
Je crois surtout que l’on évolue vers une crise majeure. Mahmoud Abbas, le président palestinien, a 80 ans et il envisage de quitter la scène politique. Il n’a pas de successeur désigné pour l’instant et de nombreuses personnalités palestiniennes envisagent tout bonnement de dissoudre l’autorité autonome (l'Autorité palestinienne). Ce serait le tout dernier clou dans le cercueil du processus d’Oslo.
La plupart des dirigeants palestiniens savent que la possibilité de voir naître la Palestine est quasi inexistante. Sans parler du fait que le mouvement palestinien est profondément divisé : Fatah et Hamas n’arrivent toujours pas à s’entendre.
La position des Palestiniens est évidente : ils veulent un Etat. Comment cette exigence a-t-elle évolué en termes de concessions possibles et d'éléments non négociables au fil des ans?
Les seuls éléments non négociables pour l’OLP, sont Jérusalem-Est, capitale de la Palestine, et la souveraineté sur Al-Aqsa, l’esplanade des mosquées. Tout le reste - concessions territoriales en Cisjordanie, démilitarisation de l’Etat palestinien - a été négocié.
L’entourage d’Arafat m’a révélé à plusieurs reprises que le rêve du chef de l’OLP était de proclamer l’indépendance de la Palestine depuis Al-Aqsa. A cette occasion, il devait déclarer qu’il n’y avait aucune raison pour qu’un Palestinien décide de devenir Israélien plutôt que de venir bâtir le nouvel Etat. Cela signifiait renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens en Israël. Arafat a d’ailleurs déclaré, à plusieurs reprises, que dans le cadre de l’accord final, Israël n’aurait pas de problème démographique.
Quand on couvre l'actualité de cette partie du monde, il y a les morts, la douleur de ceux qui vous entourent, les attentats, l'affaire Mohamed Al Dura, le risque d'être tué à chaque instant… Dans Le JDD, vous parlez également de schizophrénie nécessaire pour garder son objectivité. Quel a été votre secret pendant toutes ces années ?
Il n’y a pas de secret. Quand on est journaliste de terrain, on fait taire ses émotions et on essaye d’être le plus professionnel possible.
On le sait déjà, votre retraite sera très active et vos projets s'inscrivent dans la continuité de votre travail : donner les clés pour comprendre les enjeux géopolitiques liés à cette partie du monde. Pour autant, vous dites que le conflit israélo-palestinien n'intéresse plus…
Je crois que les hommes politiques, en Europe et aux Etats-Unis, gardent en tête une image d’Israël et du Proche-Orient tels qu’ils étaient il y a dix-quinze ans. Mais, en fait, tout a changé. En Israël, le sionisme libéral, travailliste a laissé la place à la droite nationaliste et religieuse. Le monde arabe a, en partie, implosé. Le jeu des grandes puissances s’est soldé par un échec phénoménal. Des frontières sont effacées. L’islam le plus radical est devenu dominant dans des régions entières.
Tout cela va finir par avoir des conséquences majeures pour l’Europe, qui, déjà connaît un problème quasi insoluble avec l’arrivée de dizaines de milliers de migrants fuyant guerres et répressions. Sans parler du risque réel que représente le nouveau terrorisme islamique. Un nouveau chapitre de l’Histoire s’est ouvert. Je ne suis pas sûr que les Européens en aient conscience.
Propos recueillis par Falila Gbadamassi
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