Antiaméricanisme: pourquoi le monde musulman s'enflamme
Selon Jean-François Daguzan, spécialiste des pays arabes, le film anti-islam est une occasion idéale pour les extrémistes de mobiliser une partie de l'opinion. Et d'oublier la crise.
VIOLENCES ANTI-AMERICAINES - Depuis la diffusion sur internet d'extraits du film américain L'innocence des musulmans, les ambassades des Etats-Unis sont la cible de violentes attaques et de manifestations dans de nombreux pays musulmans, de la Libye au Yémen, en passant par l'Iran, la Tunisie, l'Egypte, le Maroc, mais aussi, vendredi 14 septembre, en Indonésie et en Malaisie. Pour FTVi, Jean-François Daguzan, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et directeur de la revue Maghreb-Machrek, analyse cette flambée de violence.
FTVi : Le sentiment anti-américain est-il de plus en plus fort dans le monde arabe ?
Jean-François Daguzan : C'est un sentiment général et profondément ancré. Ces populations ont d'abord été marquées par la guerre d'Irak, puis par les exactions américaines post-11-Septembre, les révélations sur les tortures à la prison d'Abou Ghraïb ou encore le traitement des prisonniers à Guantanamo.
Et surtout, la question palestinienne continue de créer des tensions. Le soutien affiché des Etats-Unis à Israël mécontente beaucoup de gens, y compris aujourd'hui au Maroc, un pays pourtant plutôt neutre jusque-là sur cette question. Autrefois, en Libye, en Tunisie ou en Egypte, les dictateurs comme Kadhafi, Ben Ali ou Moubarak pouvaient contrôler l'opinion publique par la répression, mais ce sentiment hostile aux Etats-Unis existait déjà. Aujourd'hui, la rue l'exprime sans retenue.
La religion est-elle au cœur de ce sentiment anti-américain?
Le religieux est un élément parmi d'autres. En ce moment, ce n'est pas la religion des Etats-Unis qui est attaquée, c'est un comportement, un film perçu comme une provocation. Mais dans ces pays, chaque polémique en lien avec la religion musulmane, comme l'affaire de la caricature de Mahomet parue dans un journal danois en 2005, ou le Coran brûlé par le pasteur américain Terry Jones en 2010, est susceptible d'entraîner des tensions.
Ces protestations sont-elles une conséquence du "printemps arabe" ?
Je parlerais plutôt de conséquence induite. On ne sait pas où conduiront les recompositions politiques nées du "printemps arabe". A l'intérieur de chaque pays, on assiste à l'affrontement entre des forces penchant pour un modèle occidental et des forces religieuses conservatrices, voire extrémistes.
Beaucoup de jihadistes, de salafistes, mais aussi de partis politiques ont intérêt à voir les intérêts américains affaiblis et à alimenter ce genre d'événements. En Libye, où Al-Qaïda est bien implanté, c'est un moyen pour les terroristes de nourrir des ambitions politiques. Ailleurs, la haine latente contre l'Amérique est un cheval de bataille facile pour un prédicateur ou un homme politique qui veut s'assurer le soutien de la population. C'est d'ailleurs plus facile de s'en prendre aux Etats-Unis que de parler de la crise économique.
Pour les gouvernements, en revanche, c'est embarrassant. Pour l'Egypte par exemple, qui bénéficie de 1,3 milliard de dollars d'aide militaire venue de Washington chaque année, c'est un vrai problème. C'est intéressant de voir que le président égyptien Mohamed Morsi rejette les violences tout en condamnant les "atteintes" au prophète Mahomet.
Les pays occidentaux sont-ils tous menacés par ce sentiment ?
On ne peut pas dire que c'est le monde occidental qui est pris pour cible. C'est comparable au précédent des caricatures de Mahomet, où le Danemark avait été visé très violemment. Ce fut la même chose pour la France après l'affaire du port du voile à la fin des années 1980. Personnellement, en 1992, des universitaires égyptiens m'avaient pris à partie sur cette polémique. J'étais abasourdi. Cela prouve qu'un événement jugé mineur dans un pays occidental peut très vite mettre le feu aux poudres dans un pays arabe, à chaque instant.
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