"Émigration volontaire" des Palestiniens, retour des colons à Gaza... Les propositions de ministres israéliens d'extrême droite créent la polémique

Les deux ministres du gouvernement de Benyamin Nétanyahou enchaînent les déclarations jugées "incendiaires" par le Quai d'Orsay. Nous avons interrogé Thomas Vescovi, chercheur indépendant en histoire contemporaine et auteur de "La mémoire de la Nakba en Israël" (L'Harmattan).
Article rédigé par Lou Inès Bes
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Itamar Ben-Gvir (à gauche) et Bezalel Smotrich, assistent à une session spéciale au Parlement israélien de la Knesset, le 29 décembre 2022. (AMIR COHEN / POOL)

Alors que la guerre entre Israël et le Hamas fait rage dans la bande de Gaza, deux ministres israéliens ont provoqué de vives réactions au sein de la communauté internationale. C’est d’abord le ministre des Finances et chef du parti d’extrême droite Sionisme religieux, Bezalel Smotrich, qui a proposé dimanche 31 décembre le retour des colons israéliens dans la bande de Gaza, après la guerre. "Pour avoir la sécurité, nous devons contrôler le territoire et pour cela, nous avons besoin d'une présence civile sur place", a-t-il expliqué lors d’une interview à la radio militaire israélienne.

Le lendemain, le 1er janvier, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, également chef du parti Force Juive, a posté un message similaire sur son compte X : "Nous devons promouvoir la solution pour encourager la migration des résidents de Gaza. C’est une solution correcte, juste, morale et humaine. Nous avons des partenaires dans le monde entier que nous pouvons aider. Encourager la migration des habitants de Gaza nous permettra de rapatrier les habitants de l'Outaf et les habitants du Gush Katif".

Cette rhétorique du retour des colons juifs dans la bande de Gaza fait référence au désengagement d’Israël de la bande de Gaza en 2005, décidé par le Premier ministre de l'époque, Ariel Sharon. Gush Katif, la communauté citée par Itamar Ben Gvir, est un groupement de colonies juives implantées dans la bande de Gaza à partir de la fin des années 1970. "Pour la droite israélienne la plus nationaliste, il y a un réel traumatisme du désengagement de 2005, qu’ils ont vécu comme une trahison de la part d'Ariel Sharon, analyse Thomas Vescovi, chercheur indépendant en histoire contemporaine et membre du comité de rédaction de la plateforme Yaani. Il y a donc depuis 2005 un rêve au sein de cette droite, et notamment parmi les partis les plus extrémistes, de revenir dans la bande de Gaza pour y réimplanter des colonies et voire, pour les plus extrémistes, d'expulser totalement les Palestiniens la bande de Gaza".

L'Arabie saoudite, le Qatar, la France et les États-Unis ont réagi

Pour le chercheur, si ces deux ministres multiplient les provocations, c’est aussi pour exister politiquement et satisfaire leur électorat, alors même qu’ils ne font pas partie du cabinet de guerre israélien, constitué le 11 octobre, quatre jours après les attaques sanglantes du Hamas. Un électorat principalement basé dans les colonies israéliennes, illégales au regard du droit international. "Mais c'est aussi un électorat basé dans des zones périphériques particulièrement pauvres en Israël, notamment au nord ou dans certaines zones de Jérusalem où l'on va avoir des sortes de fiefs d'extrême droite, avec des idées très radicales qui sont à la fois coloniales et religieuses", décrit le chercheur.

Ainsi, les deux ministres suprémacistes qui ont le vent en poupe depuis leur entrée au gouvernement en décembre 2022 profitent du chaos de la guerre pour radicaliser les opinions publiques israéliennes et faire pression sur le cabinet de guerre. Une stratégie qui pourrait payer à long terme mais qui semble irréaliste dans l'immédiat.

"Les frontières idéologiques sont très poreuses entre Benyamin Nétanyahou et ces ministres d’extrême droite. La différence, c'est que Nétanyahou sait à quel point l'idée d'une recolonisation immédiate de la bande de Gaza sera compliquée à assumer diplomatiquement".

Thomas Vescovi, auteur de "La mémoire de la Nakba en Israël" (éd. L'Harmattan),

à franceinfo

En effet, les réactions de la communauté internationale s'enchaînent depuis les propos des deux responsables politiques. Le Quai d’Orsay a réagi dans un communiqué le 3 janvier : "La France condamne les propos des ministres israéliens des Finances, M. Bezalel Smotrich, et de la Sécurité nationale, M. Itamar Ben Gvir", appelant Israël "à s'abstenir de telles déclarations provocatrices, qui sont irresponsables et alimentent les tensions". Le porte-parole américain du département d'État, Matthew Miller, a qualifié ces propos d'"irresponsables". Quant au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, il a dénoncé mercredi 3 janvier les commentaires "incendiaires" des deux ministres.

Le Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, a rappelé jeudi 4 janvier que "le droit international interdit le transfert forcé de personnes protégées à l'intérieur d'un territoire occupé ou leur expulsion de ce territoire", indiquant que "85% des habitants de Gaza sont déjà des déplacés internes". Le Qatar et le Koweït ont également réagi jeudi.

Un rapport de forces colonial

Les ministres, déjà épinglés pour des propos racistes et homophobes, ont même proposé des pays qui pourraient accueillir les Palestiniens volontaires au départ. La République démocratique du Congo ainsi que l’Arabie saoudite ont été citées par le média Times of Israël sans véritables explications si ce n’est que l’Arabie saoudite aurait besoin de main-d'œuvre étrangère. Le ministère saoudien des Affaires étrangères a pourtant fait savoir dans un communiqué jeudi 4 janvier que le royaume "condamne et rejette catégoriquement les commentaires des deux ministres".

Les déclarations d'"émigration volontaire" et de retour des colons à Gaza prononcées par ces deux ministres israéliens accentuent le rapport de force colonial d’Israël sur les Palestiniens, selon Thomas Vescovi : "Dans toutes ces propositions, on est face à une gestion coloniale, c'est-à-dire que l'on est en train d'agir avec les Gazaouis sans leur demander leur avis et en pensant que l'on pourra trouver une solution en passant au-delà de toutes leurs instances représentatives, que ce soit l'OLP, l'Autorité palestinienne ou même des ONG locales". Ainsi, "on réinstalle les mêmes outils qui ont favorisé l'émergence du Hamas", prévient le chercheur, auteur de La mémoire de la Nakba en Israël (éd. L'Harmattan).

Enfin, au milieu de cette offensive fondamentaliste des ministres des Finances et de la Sécurité nationale, Benyamin Nétanyahou observe "un jeu de dupes", d’après le chercheur. L’armée israélienne est en train "de faire en sorte que certaines zones de Gaza ne soient pas réinvesties par des habitants après la guerre, qu’elles deviennent des zones tampon ou qu’une colonisation se mette en place". Ce qui, finalement, se rapprocherait des objectifs des ministres suprémacistes Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir.

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