Guerre entre Israël et le Hamas : pourquoi l'armée israélienne concentre désormais son offensive sur le sud de la bande de Gaza
L'arrêt des combats n'aura duré qu'une semaine. L'armée israélienne a bombardé la bande de Gaza pour une deuxième journée consécutive, samedi 2 décembre, pour la deuxième journée consécutive depuis l'expiration de la trêve avec le Hamas. Samedi matin, les forces israéliennes ont déclaré avoir frappé "plus de 400 cibles" dans l'enclave depuis vendredi matin, dont 50 dans la région de Khan Younès, la plus grande ville du sud de Gaza. Le ministère de la Santé du Hamas annonçait, dans la matinée, un bilan de près 240 morts et 650 blessés en un peu plus d'une journée.
"Nous avons trois buts dans cette guerre : éliminer le Hamas, faire revenir tous les nôtres enlevés et faire en sorte que Gaza ne devienne pas de nouveau une menace pour Israël", avait prévenu le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le 26 novembre. La poursuite de ces objectifs dans le sud de la bande de Gaza, où deux millions de Palestiniens ont trouvé refuge, présente toutefois de multiples risques militaires et humanitaires.
La région d'origine des dirigeants du Hamas
Israël estime désormais que les hauts dirigeants du mouvement islamiste se cachent dans le sud de l'enclave. "Le siège du Hamas est à Khan Younès, pas à l'hôpital al-Chifa", affirmait Ehoud Olmert, ancien Premier ministre israélien, dans une interview donnée le 18 novembre sur Euronews. "C'est dans ce quartier que sont nés Yahya Sinwar et Mohammed Deif, les architectes des massacres du 7 octobre, et il y a de fortes chances qu'ils s'y soient cachés", a également estimé auprès de La Croix Michael Milshtein, ancien chef du département des affaires palestiniennes des renseignements militaires israéliens.
Avant la trêve, le major-général israélien Tamir Hayman, directeur général de l'Institut d'études sur la sécurité nationale, avait assuré que l'armée israélienne avait démantelé "une grande partie des 13 bataillons des brigades al-Qassam du nord de Gaza", et que "deux commandements de ces brigades avaient été tués", cite La Croix. Mais selon Michael Milshtein, le Hamas, qui compterait 15 000 combattants, est toutefois loin d'être anéanti et détiendrait toujours un stock d'armes et de roquettes conséquent.
"Une troisième campagne nous attend dans le Sud : des opérations au sol, concentrées sur le démantèlement des équipements de tirs de longue portée et l’élimination des cadres du Hamas."
Tamir Hayman, major-général de l'armée israélienneà "La Croix"
Dans ce but, l'armée israélienne a rapporté samedi avoir "frappé les terroristes et les infrastructures du Hamas" dans la région de Khan Younès. Selon l'Etat hébreu, c'est aussi dans cette zone que se cacheraient, dans les sous-sols, des bunkers, des rampes de lancement de roquettes, voire des otages israéliens.
Des tracts appelant à évacuer
Mais la reprise des offensives à Gaza, notamment au Sud, se heurte à des risques majeurs pour la population palestinienne. Après que l'armée israélienne a donné l'ordre d'évacuer le nord de la bande de Gaza au début de la guerre, la population de Khan Younès a triplé. Assurant vouloir limiter les pertes civiles, l'armée israélienne a envoyé des SMS aux habitants de plusieurs zones, notamment les quartiers nord de Khan Younès, leur ordonnant de "partir immédiatement".
"Aux habitants d'al-Qarara, Khuza’a, Abasan et Bani Suhaila. Vous devez évacuer immédiatement et vous diriger vers les lieux de refuge à Rafah. La ville de Khan Younes est une zone de combat dangereuse. Vous êtes avertis.”
Les forces de défense israéliennesdans un tract à destination des Gazaouis
Le 1er décembre, elle a largué des prospectus avec des QR codes sur le sud de Gaza, censés permettre aux habitants de se déplacer dans différentes zones, relève France 24. Ce QR code donne accès à une carte, où les Israéliens ont découpé la bande de Gaza en plusieurs centaines de cantons numérotés. "Ils disent qu'ils préviendront les habitants en temps voulu pour passer d'une zone à l'autre", explique à franceinfo Clothilde Mraffko, correspondante de France 24 à Jérusalem. Une initiative peu adaptée à la situation, rappelle la journaliste : "L'électricité est coupée dans l'enclave depuis deux mois, beaucoup n'ont tout simplement pas accès à internet pour lire cette carte".
De plus, la situation humanitaire dans le sud de la bande de Gaza est déjà "désastreuse", alerte Médecins sans Frontières. En raison des déplacements de réfugiés, "un million de personnes sont entassées dans un espace relativement restreint". Le blocus de l'enclave par Israël "prive l'ensemble de la population de Gaza de fournitures essentielles telles que la nourriture, l'eau, les abris et les soins médicaux" et les "quelques installations médicales qui fonctionnent sont débordées". A la clinique Martyrs de Khan Younès, le nombre de consultations par jour est passé d'environ 250 à près de 1 000.
Des opérations militaires israéliennes plus que risquées
En plus des risques humanitaires, l'armée israélienne fait face à plusieurs obstacles militaires. Il est compliqué d'envoyer des véhicules blindés dans cette partie de l'enclave, où la densité de la population est encore plus importante que dans le Nord, explique The Economist, traduit par Courrier international. L'armée israélienne pourrait, sinon, procéder pas à pas, en commençant par cibler Khan Younès et en repoussant les Gazaouis dans une "zone humanitaire" près de la côte. Depuis plusieurs semaines, les militaires israéliens "proposent" ainsi aux civils palestiniens de s'installer dans une bande de terre le long de la Méditerranée qui serait sécurisée, mesurant 14 kilomètres de long et un kilomètre de large.
Cette enclave, appelée al-Mawasi, se trouve à quelques kilomètres de la frontière égyptienne, à côté du secteur dans lequel étaient implantées les anciennes colonies israéliennes avant leur évacuation en 2005. "Il n'y a aucun signe de civilisation, c'est-à-dire qu'on ne trouve pas de clinique, ni d'hôpitaux, ni de pharmacies, ni de magasin, ni de boulangerie. C'est seulement une terre vide", a décrit à franceinfo Khaled, un Gazaoui réfugié à Rafah.
Dans ces conditions, la population gazaouie risque de ne pas quitter Khan Younès. "La densité de population sera telle que les possibilités d'une erreur de calcul lors d'un bombardement seront démultipliées. Ce qui augmente aussi le risque d'avoir un incident majeur susceptible d'embraser la région", estime auprès de France 24 Amnon Aran, professeur en relations internationales à la City University of London.
"Les Israéliens vont devoir se battre tout en étant entourés de civils. Il y aura énormément de victimes palestiniennes, mais également israéliennes", envisage auprès de franceinfo Ahron Bregman, professeur d'études de la guerre au King's College de Londres. "L'armée israélienne devra également utiliser davantage d'hommes et d'armes", poursuit le chercheur.
Les Etats-Unis embarrassés
Face à cette situation, les Etats-Unis jouent les équilibristes. Depuis le début de la guerre, Washington soutient fermement son allié israélien. Mais face aux accusations de crimes de guerre à Gaza, et à un conflit qui dure, la Maison Blanche a demandé à Tel Aviv davantage d'actions ciblées afin de limiter les victimes civiles, résume Le Monde.
Selon le New York Times, des responsables américains ont aussi averti Israël que reproduire dans le Sud des bombardements de l'ampleur de ceux qui ont visé le Nord depuis le 7 octobre provoquerait une crise qu'aucun réseau d'aide humanitaire ne saurait prendre en charge. Samedi, le président français Emmanuel Macron a estimé qu'une "destruction totale du Hamas" risquait d'engendrer "dix ans" de guerre, et que l'objectif de l'opération militaire israélienne devait être "précisé".
"Les Israéliens se sont mis une épine dans le pied en encourageant les Palestiniens à se déplacer vers le Sud", analyse Ahron Bregman, selon lequel Israël n'a aucune chance de détruire le Hamas. "Il pourra toujours détruire des armes, des bâtiments, mais le Hamas, c'est plus que ça. Il représente une idée, qu'on ne peut pas tuer avec une bombe."
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