Guerre entre le Hamas et Israël : "La bataille de l'émotion est un élément central de cette guerre de l'information", selon un historien

"La bataille de l'émotion est un élément central de cette guerre de l'information", souligne sur franceinfo David Colon, chercheur au Centre d'histoire de Sciences-Po et auteur de "La Guerre de l'information. Les Etats à la conquête de nos esprits", aux éditions Tallandier.
Le spécialiste de propagande et des techniques de communication en temps de guerre alerte sur la vulnérabilité de nos sociétés face aux opérations de désinformation, notamment de la part du Hamas. Le groupe terroriste est en guerre contre Israël depuis le 7 octobre. 

france info : L'armée israélienne va montrer lundi 23 octobre à la presse internationale des images, non montées, des massacres commis par le Hamas le 7 octobre. Est-ce que cela fait partie de cette guerre informationnelle que se livrent l'État hébreu et le Hamas ?

David Colon : Oui, il s'agit d'un épisode de plus dans une guerre de l'information qui oppose Israël au Hamas depuis l'attaque de ce dernier le 7 octobre dernier. Il s'agit pour Israël de légitimer son action, établissant aux yeux du monde la réalité des faits, des crimes commis par les terroristes du Hamas. Et là, en l'occurrence, il s'agira de publier les images qui ont été prises par les terroristes eux-mêmes avec leur [caméra vidéo] GoPro.

Quel est l'enjeu ? Est-ce de faire basculer l'opinion publique mondiale et de susciter l'émotion ?

L'enjeu c'est bien l'opinion publique mondiale. Pour le Hamas, il s'agit de mettre en avant les victimes civiles palestiniennes dans le cadre de ce que l'on appelle communément une "doctrine victimaire" que le Hamas a mis en avant à plusieurs reprises en 2008, en 2012 ou en 2014.

"Pour Israël, il s'agit bien de légitimer les faits, de sensibiliser l'opinion mondiale à la gravité des crimes commis par le Hamas, en même temps qu'à la situation des otages."

David Colon

à franceinfo

La bataille de l'émotion est un élément central de cette guerre de l'information, dans la mesure où il y a en réalité deux fronts. Il y a le front tragique militaire avec des victimes militaires et civiles. Et puis, il y a le front mondial de l'information globalisée, qui est caractérisée par une forte volatilité en raison de l'influence de l'émotion sur la viralité des contenus.

Après l'explosion à l'hôpital de Gaza mardi 17 octobre, une tragédie dont Israël et le Hamas se rejettent toujours la responsabilité, le bilan humain pouvait varier de 40 à 500 morts, ce type de situation est-il inévitable ?

Ce n'est pas inévitable. Et en l'occurrence, il y a eu un emballement médiatique étant donné que certaines agences, comme l'AFP, ont relayé les communiqués du Hamas sans toujours les assortir des réserves d'usage, étant donné qu'ils n'avaient pas de correspondants sur place ni de moyens de vérifier de façon indépendante le nombre de victimes ou l'origine de l'explosion.

Cet emballement médiatique mondial est aujourd'hui un problème dans la mesure où le mensonge peut faire le tour du monde avant que "la vérité ait eu le temps de mettre ses chaussures" pour paraphraser une citation célèbre.

Comment faire si nous ne disposons pas de sources fiables sur le terrain et qu'on n'a pas accès à la bande de Gaza ?

Il y a un adage qui dit que la première victime d'une guerre, c'est la vérité et cet adage se vérifie à chaque conflit. 

"Il est important, dans ces situations, de prendre du recul par rapport à ses propres émotions et ne pas relayer instinctivement le premier contenu que l'on rencontre sur Internet."

David Colon

à franceinfo

Ensuite, il est certain que nous vivons aujourd'hui dans un univers de brouillard informationnel qui est encore plus fort qu'auparavant en raison de l'affaiblissement de l'intégrité de l'information disponible sur certains réseaux sociaux.