Emmanuel Macron à Beyrouth : une visite "chargée de symboles" qui représente "une petite lueur d'espoir au bout du tunnel", estime le politologue Antoine Basbous
Selon le directeur de l'Observatoire des pays arabes, les Libanais se méfient de leur nouveau Premier ministre parce qu'il a été nommé "par les politiques corrompus".
Emmanuel Macron est arrivé lundi 31 août à Beyrouth pour sa deuxième visite après la double explosion qui a détruit le port de la capitale libanaise le 4 août dernier, faisant 188 morts et plus de 6 500 blessés. Le président français est au Liban quelques heures après la désignation d'un nouveau Premier ministre, Mustapha Adib, et pour plaider la mise en place rapide de réformes.
Le programme d'Emmanuel Macron symbolise "le dépassement des politiques", car il va "à la rencontre du vrai Liban et non pas du Liban corrompu et incompétent", estime sur franceinfo Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA).
franceinfo : Les réformes évoquées par Emmanuel Macron ont-elles une chance d'aboutir ?
Antoine Basbous : Vous allez trop vite en besogne. Pour l'instant le président revient, comme il l'a promis, à Beyrouth. C'est à lui que revient le fait qu'un Premier ministre ait été désigné quelques heures avant son arrivée. C'est un Premier ministre qui n'est pas du sérail, qui est hors de la classe politique. Est-ce qu'il va avoir la marge de manœuvre suffisante pour réformer ? Je l'ignore. Toujours est-il que c'est une visite chargée de symboles.
Déjà, le choix de la date : le 1er septembre. C'est sur le perron de la résidence des Pins, la résidence de l'ambassadeur de France, que le général Gouraud avait proclamé le Liban dans ses nouvelles frontières, le Grand Liban (le 1 septembre 1920). Et qu'a fait le président français ? Il se rend chez la diva du Liban et du monde arabe, Fairouz, qui a chanté à Paris, qui a chanté partout et qui fait l'unanimité au Liban autour d'elle, que les gens soient sunnites, chiites. Quels qu'ils soient, ils adorent Fairouz.
C'est un symbole important que la première rencontre d'Emmanuel Macron, à l'occasion de cette deuxième visite, ce soit avec cette chanteuse, avant les politiques mardi ?
Évidemment. C'est le dépassement des politiques. C'est l'ignorance de ces politiques. Le président de la République libanais est venu le recevoir à l'aéroport, comme le 6 août dernier. Mais il ne va le rencontrer que tard dans la journée, demain (mardi). Ce lundi soir, il commence par la visite de la diva incontestable et incontesté. Demain, qu'est-ce qu'il va faire ? Il va planter un cèdre français dans une forêt de cèdres à Jaj, au-dessus de Byblos. Et il sera survolé par la Patrouille de France. Et puis après, il va visiter un hôpital où sont soignés les malades du Covid. Il va se rendre à nouveau au port. Et à la fin de la journée, il va déjeuner avec le président de la République et les autorités et rencontrer les chefs des partis politiques. Le président va à la rencontre du vrai Liban et non pas du Liban corrompu et incompétent.
Le nouveau Premier ministre n'a pas reçu le même accueil que le président français lors de sa déambulation dans les quartiers de la ville. Est-ce que c'est le signe que la confiance n'est toujours pas là entre les politiques libanais et le peuple ?
D'abord, c'est le signe de la colère. Les gens n'en peuvent plus. En octobre 2019, c'est le début de la descente aux enfers. Vous n'avez plus droit à toucher votre retraite, votre salaire à la banque uniquement au compte-goutte. Vous avez beau réunir de l'argent pendant le labeur de votre vie, vous n'avez pas le droit de retirer vos devises. Donc le pays s'est effondré.
Aujourd'hui, en quelques mois, le taux de pauvreté selon le PNUD, une organisation de l'Onu, a dépassé les 50% des Libanais. C'est une chute sans parachute en enfer.
Antoine Basbousà franceinfo
Ce Premier ministre désigné, il l'a été par les politiques corrompus. Il n'était pas connu du grand public, donc il veut une bonne image. Il est allé en Allemagne. C'est l'ancien ambassadeur en Allemagne pendant sept ans. Il est arrivé hier à Beyrouth. Donc, ils ne le connaissent pas. Et comme il a été désigné par des corrompus, ils ne lui font pas confiance. Ils ne l'ont pas bien accueilli. Cela dit, il va devoir faire ses preuves.
Emmanuel Macron n'en fait-il pas un peu trop ?
Non. Je crois que quand vous avez un ami que vous aimez bien protéger et qui est dans la nasse, en enfer, vous lui tendez la main. C'est ce qu'a fait le président de la République. Il y est allé le 6 août, deux jours après l'explosion. Il est le seul chef d'État au monde qui se soit rendu sur place. Il a délivré les messages qu'il fallait. Il a réuni deux jours plus tard une conférence internationale d'urgence.
Il a fait beaucoup de bien au Liban. Il réincarne un peu l'espoir, en quelque sorte.
Antoine Basbousà franceinfo
Et surtout, sans le bâton et la carotte qui sont invisibles, il n'y aurait pas eu aujourd'hui un Premier ministre au Liban. Mais un ministre, ça ne veut pas dire qu'on a engagé déjà les réformes. Ce Premier ministre a annoncé qu'il veut réengager les négociations avec le FMI, c'est un motif d'une petite lueur d'espoir au bout du tunnel. Donc rien n'est réglé. Mais sans l'intervention du président Macron, et bien le Liban n'aurait pas cette petite lueur d'espoir.
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