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Récit "C'était comme une bombe nucléaire" : ces quelques minutes qui ont suffi à balayer Beyrouth

Article rédigé par franceinfo - Charlotte Causit, Marion Fontaine
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Deux habitants de Beyrouth (Liban) sur le port ravagé par deux explosions, le 4 août 2020. (STR / AFP)

Deux explosions ont partiellement détruit la capitale libanaise, mardi. Des centaines de morts et des milliers de blessés sont à déplorer, dans un pays déjà en proie à une grave crise économique et sanitaire. 

La fin d'après-midi se dessine sous le soleil généreux de Beyrouth, ce mardi 4 août. Les dernières semaines ont été rythmées par les mauvaises nouvelles, entre l'inflation galopante, le chômage qui ne décroît pas et la perspective d'un nouveau confinement. Quelques heures plus tôt, des manifestants protestaient encore dans les rues de la capitale libanaise contre les coupures de courant qui rendent leur quotidien invivable. Le Liban pense avoir touché le fond.

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Pourtant, en cette fin de journée, en quelques minutes, un nouveau gouffre s'ouvre sous les pieds des Beyrouthins. Il aura fallu seulement quelques minutes. "La vie était normale, les gens étaient dans la rue quand un énorme nuage de fumée a tout couvert", raconte Ahmad Yassine, contacté par franceinfo sur les réseaux sociaux. Il se trouve alors en voiture avec sa femme à Dahye, dans la banlieue sud de Beyrouth.

"Des bruits semblables à des feux d'artifice"

Des kilomètres plus au nord, une épaisse colonne de fumée crève le ciel. Elle émane du port de Beyrouth. Il est un peu plus de 17 heures en FranceLes pompiers sont dépêchés sur place afin d'éteindre ce qui semble alors être un départ de feu situé dans un entrepôt. C'est dans ce port que sont entreposées les réserves en blé et la majorité des denrées alimentaires du pays.  

"Nous étions à la maison quand nous avons entendu des bruits semblables à des feux d'artifice", se rappelle une habitante, Joel Shamoun, interrogée par Reuters (en anglais). "On pensait que c'était un conteneur du port qui était en train de brûler et qu'ils n'arrivaient pas à l'éteindre."

Une première détonation retentit dans la ville. Les immeubles tremblent, la fumée s'épaissit, le ciel devient noir. Quelque chose crépite à la base des flammes. "J'étais sur le point de regarder la vidéo qu'une amie m'avait envoyée mardi après-midi – 'le port semble brûler', disait-elle – quand tout mon immeuble a tremblé. Avec difficulté et naïveté, j'ai couru à la fenêtre, puis je suis retournée à mon bureau pour regarder les actualités", raconte Vivian Yee, correspondante du New York Times à Beyrouth. Ceux qui ont vécu pendant les quinze ans de guerre civile au Liban "se précipitent", quant à eux, "instinctivement dans leur couloir" dès "la première explosion, afin d’échapper aux vitres dont ils savaient qu’elles allaient briser", relate-t-elle.

Un champignon et un souffle fracassant

Le premier éclat est suivi d'un second, titanesque, moins d'une minute après. Les smartphones brandis pour filmer l'épaisse fumée blanche de la première explosion captent ce qu'on devine être des flammes. En quelques secondes, le feu explose en énorme champignon, dans un fracas retentissant. "J'ai pensé que c'était un tremblement de terre parce que nous avons d'abord senti le bâtiment se balancer", décrit Gilmara Souza, une résidente brésilienne de Beyrouth à GloboNews (en portugais). Elle s'exclame : "Puis les fenêtres ont commencé à exploser, tout autour a commencé à se casser. Tout tombait et ce n'était pas bref, cela a duré un petit moment !"

Le souffle explosif déferle avec une violence inouïe sur Beyrouth. "Tout d'un coup, ma voiture a fait un bond de plusieurs mètres en avant. Il a plu partout des débris de verre venant des maisons et des magasins alentour", ajoute Ahmad Yassine. Les vitres explosent, les portes s'ouvrent dans le souffle et les bâtiments tremblent à des kilomètres à la ronde. "La force de l'explosion nous a propulsés en arrière dans l'appartement", raconte à l'AFP un habitant du quartier de Manssouriyeh, à plusieurs kilomètres du port. Personne ne peut l'imaginer à ce moment-là, mais la déflagration est ressentie à plus de 200 km, sur l'île de Chypre.

"Ces scènes se sont multipliées à travers la ville", rapporte (en anglais) Ben Wedeman, correspondant de CNN au Liban. "J'ai parlé avec des gens au téléphone, qui sont aux quatre coins de Beyrouth, et tous disent la même chose : c'est une explosion dont la puissance est inédite. Même ceux qui ont vécu la guerre civile et la guerre de 2006 avec Israël n'ont jamais vu une explosion d'une telle magnitude."

Les dégâts causés par la double explosion dans les rues de Beyrouth, au Liban, le 5 août 2020.  (MIKHAIL ALAEDDIN / SPUTNIK / AFP)

Au moment des explosions, Pablo Percelsi se trouve à six kilomètres du port, chez lui, dans le quartier de Hamra. Il se souvient pour franceinfo : "J'ai travaillé en Irak, en Afghanistan, à Gaza... Et je n'ai jamais entendu quelque chose de si violent."  Un sentiment partagé par les Beyrouthins. Fady Roumieh était dans le parking d'un centre commercial à Achrafieh, à deux kilomètres à l'est de l'explosion. Il relate : "J'ai entendu un souffle comme je n'en avais jamais entendu auparavant. Et pourtant, nous en avons entendu, des explosions, ici. Là, c'était comme une bombe nucléaire." 

Des débris de verre et du sang

La deuxième explosion laisse Beyrouth dans un décor apocalyptique. Un épais nuage de fumée orange recouvre la capitale. Le port est dévasté, les bâtiments à proximité ont été pulvérisés. "C'est une catastrophe à l'intérieur. Il y a des cadavres par terre", indique un soldat aux abords du port à l'AFP. Un cratère rempli d'eau de mer est visible là où les explosions ont eu lieu. 

Le port de Beyrouth (Liban), le lendemain des deux explosions, le 5 août 2020.  (STR / AFP)

Dans les rues de la capitale, la poussière ambiante cache le soleil. "Je suis allé voir sur le balcon, des gens couraient dans la rue", rapporte à France 3 Patrick Carrale, Français résidant à trois kilomètres du lieu de l'explosion. Vivian Yee, du New York Times, sort de chez elle et observe "tout le monde saigner à cause d'entailles ouvertes, ou enveloppé dans des bandages de fortune."

La violence de la détonation a fait perdre l'audition à beaucoup d'habitants. Certains sont coincés sous les décombres. Ceux qui le peuvent marchent vers les hôpitaux, parfois eux-mêmes endommagés par les déflagrations. 

Des débris d'immeubles et des morceaux de verre jonchent le sol. Les voitures et les camions sont abandonnés, les airbags parfois encore gonflés.

A ce moment-là, la cause des explosions n'est pas connue. Sur les réseaux sociaux, la confusion règne et les spéculations vont bon train. On croit alors à un incendie dans un entrepôt de feux d'artifice ou de produits chimiques, même à des missiles ou une attaque terroriste du Hezbollah, la milice libanaise. "Comme il y a eu des incidents la semaine dernière à la frontière avec Israël, les habitants du quartier se demandaient sur le moment si on venait d'assister à un tremblement de terre ou si des frappes militaires avaient eu lieu", explique la journaliste Justine Babin à franceinfo. 

Le gouvernement mentionnera plus tard l'origine de ces explosions : une cargaison de 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium, entreposé depuis six ans dans le port "sans mesures de précaution". Une substance qui entre dans la composition de certains engrais, mais aussi d'explosifs.

Le dernier bilan, communiqué jeudi matin, est très lourd : 137 morts et 5 000 blessés selon les autorités, 300 000 personnes sans domicile selon le gouverneur de la ville. "Ces explosions arrivent alors que le pays est frappé par une grosse crise économique, en plus de la crise sanitaire qui sature les hôpitaux", se désole Justine Babin. "C'était déjà la catastrophe. Là, je ne sais même plus comment on peut appeler ça."

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