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Récit franceinfo Irak : avec les enfants réfugiés de Mossoul

L'opération de reconquête de Mossoul a été lancée le 17 octobre dernier par l'armée irakienne. Environ 74 000 civils, dont énormément de mineurs, ont fui l'organisation Etat islamique et les combats. Notre envoyée spéciale, Mathilde Lemaire, a rencontré ces enfants de la guerre dans un camp de réfugiés de la région. 

Article rédigé par Mathilde Lemaire, Cécile Mimaut
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Deux enfants réfugiés du camp de Dibaga, au sud de Mossoul, devant le bus où Médecins sans frontières dispense un soutien psychologique.  (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

L'armée irakienne peine à chasser l'organisation Etat islamique de Mossoul. Un mois et demi après le début de l'opération de reconquête de la deuxième ville du pays, lancée le 17 octobre dernier, les soldats de Bagdad – même aidés par la coalition – n'ont toujours pas atteint le Tigre, qui coupe la cité en deux. Environ 74 000 civils ont fui les combats et s'entassent dans des camps de la région. Parmi eux, énormément de mineurs. Des enfants qui ont subi les combats plus de deux ans avant de prendre la route de l'exode.

Réapprendre à vivre après l'horreur

Le camp de Dibaga, au sud-est de Mossoul, accueille plus de 35 000 déplacés, dont beaucoup d'enfants. Dans la file d'attente à l'entrée, des dizaines de bébés sont écroulés d'épuisement dans les bras des adultes. Des parents expliquent qu'avant leur fuite en pleine nuit, ils ont donné des médicaments aux plus jeunes pour les endormir, éviter qu'ils pleurent et n'attirent l'attention des hommes du groupe Etat islamique.

Deux enfants réfugiés avec leurs familles dans une tente bleue des Nations unies, dans le camp de Dibaga, au sud de Mossoul. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

En Irak, un enfant sur dix a dû fuir de chez lui. Après quelques jours à Dibaga, ces enfants reprennent vie, jouent dans les graviers entre les tentes en plastique bleues des Nations unies qui s'étendent à perte de vue. Mais derrière cette joie apparente, se cachent des souffrances énormes que Médecins sans frontières tente d'apaiser. L'ONG a transformé un autocar en cabinet de psychologie. Les rideaux sont tirés. A l'intérieur, les consultations s'enchaînent. Mohammed, 13 ans, attend sur une banquette. Le garçon a le bras droit et la main gauche amputés. "Ça m'est arrivé il y a un an", raconte-t-il. 

Ce jour-là, comme on faisait souvent, je suis monté sur le toit de la maison pour regarder les moutons. Mais les jihadistes ont fait exploser le bâtiment d'à côté. Des fils électriques sont tombés sur le toit. Il avait plu. Ça m'a foudroyé. Maintenant j'ai une vie misérable. J'ai perdu mes mains

Mohammed, 13 ans

à franceinfo

Au milieu de son récit, Mohammed fond en larmes. La psychologue se rapproche de lui."Tu es un héros, Mohammed. Regarde-moi, je comprends ta souffrance. C'est vraiment dur ce que tu vis. Mais maintenant, tu es dans le camp. Je vais être là pour t'aider. On va parler et faire de la peinture, du coloriage", lui dit-elle.

Des enfants murés dans le silence ou envahis par la rage

Bilal, psychologue palestinien, supervise pour MSF la cellule d'aide aux enfants dans cet autocar. Il n'arrive pas à tous les recevoir, car les demandes sont trop importantes. "Le camp ici déborde de monde, d'enfants qui ont des cauchemars, des flashback, qui souffrent d'hyper-vigilance, de crises d'angoisse. On a ici tous les cas possibles de stress post-traumatiques. On essaye de les aider à retrouver le contrôle de leur vie. Le petit Mohammed, que vous venez de voir, il communique bien. Il exprime ses sentiments. Il a une bonne capacité de résilience. Pour moi, le fait qu'il pleure, paradoxalement c'est un point positif à ce stade", analyse le médecin. 

Les enfants attendent leur tour au pied du bus transformé par Médecins Sans Frontières en cabinet de psychologues dans le camp de Dibaga, au sud de Mossoul. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

Les larmes de Mohammed sont finalement une force, dit le psychologue de MSF. Car beaucoup d'autres enfants traumatisés se murent au contraire dans le silence, se replient sur eux-mêmes après avoir vu des proches battus ou exécutés sous leurs yeux, ou après avoir assisté aux combats. C'est le cas du petit Abdullah. Il a neuf ans mais en paraît six. Selon les médecins, sa croissance a ralenti à cause du traumatisme. Devant les psychologues, c'est sa maman qui parle. L'enfant se bouche les oreilles. "Je vous l'ai apporté parce que mon fils va très mal. Quand les avions ont bombardé notre quartier, on a tous été effrayés, mais lui plus encore. Depuis, il a tout le temps mal au ventre, il est nerveux et ne mange plus. Et puis il est devenu très agressif avec tout le monde et, chaque nuit, il fait pipi au lit", se désespère sa mère. 

La seule phrase qu'il répète c'est : 'Pourquoi il ont tué papa ? Pourquoi ?'... Tout le temps cette phrase !

La mère d'Addullah, neuf ans

à franceinfo

Les violences du groupe Etat islamique ont prostré les plus jeunes, comme ce petit garçon. Mais ont aussi donné la rage aux plus grands. Souvent, des adolescents, voyant notre micro, approchent pour dire cette rage. Rafik a 17 ans et a vu ses deux oncles tués à l'arrivée des jihadistes, en 2014. Les images de leurs pendaisons le hantent. Même dans ce camp de déplacés, il peine à retrouver le sommeil. "J'ai moi-même été arrêté, vous savez. Parce que j'avais des cigarettes sur moi. Les mecs du groupe Etat islamique m'ont mis en prison, m'ont déshabillé et m'ont battu avec un câble. J'ai reçu 300 coups. Ils m'ont torturé mais moi, je n'ai pas peur d'eux !", affirme l'adolescent.

Si un jour j'en attrape un, je voudrais le réduire en morceaux avant de le tuer !

Rafik, 17 ans

à franceinfo

Des écoles transformées en lieux d'endoctrinement

Beaucoup d'enfants ont été traumatisés par le groupe Etat islamique. D'autres sont utilisés par l'organisation. Depuis octobre, les jihadistes exigent la mise à disposition des enfants par les familles dès neuf ans. Des centaines de "lionceaux du califat" apprennent, dans des camps, le maniement des armes, regardent en boucle des vidéos de décapitations. On leur explique qu'être bourreau est un honneur. Pour les plus jeunes, il y a les écoles du groupe Etat islamique. 

Un enfant réfugié avec sa famille dans le camp de Dibaga, au sud de Mossoul. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

Ahmed a la cinquantaine. Quand il a découvert en 2014 l'éducation version Etat islamique dans ces écoles, cet instituteur de Mossoul a refusé d'enseigner et pris la fuite. "Ces gens-là ont changé les programmes scolaires, ont introduit de la violence dans tous les cours. Plus de musique, plus de sciences, plus d'histoire. Seulement l'étude du Coran, des heures entières, et des leçons pour apprendre à dessiner les armes. En maths, quand nous nous apprenions aux enfants à compter et additionner des chèvres, eux leur font compter des fusils ou des munitions", témoigne l'enseignant. 

Avec l'apparition de cette école de la haine, avec des pistolets en plastique pour bons points, la plupart des parents ont préféré déscolariser leurs enfants en 2014. Ces élèves ont perdu deux années de classe. Dans le camp de Dibaga, une école a été improvisée par des humanitaires. A 13 heures, chaque jour, des fillettes ressortent leurs uniformes trop petits et se pressent dans la cour. "On est bien ici. C'est super. On est bien loin des terroristes !" confie l'une d'entre elles. Les enfants se serrent sur les bancs. Ils ont un cahier pour six et aucun manuel. Les classes sont bondées. Une petite fille répète à l'envi, comme beaucoup de ses camarades, qu'elle veut travailler dur pour devenir médecin et soigner, dit-elle, les blessés de la guerre.

Mathilde Lemaire, envoyée spéciale de franceinfo, a rencontré les enfants de la guerre dans un camp de réfugiés de la région de Mossoul (Irak)

Dans le camp de Dibaga, au sud de Mossoul, des humanitaires et des enseignants eux-mêmes déplacés ont improvisé une école. Pas de livres, très peu de matériel, mais les enfants s’y pressent chaque après-midi. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

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