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En Irak, les habitants de la région au sud de Mossoul commencent à fuir, avant même le début des combats

Depuis une dizaine de jours des centaines de familles quittent leur village pour le camp de Debaga, au sud-est de Mossoul. Elles anticipent le début des combats entre les forces de la coalition et les djihadistes de l'Etat islamique.

Article rédigé par Jérôme Jadot, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Arrivée de réfugiés par bus au camp de Debaga, à 80 kilomètres de Mossoul (Irka), le 10 octobre 2016. (RADIO FRANCE / Jérôme Jadot)

La bataille de Mossoul n’a pas encore débuté mais l’urgence humanitaire est déjà là dans la deuxième ville d'Irak. Alors que les forces de la coalition contre l’Etat islamique préparent toujours l’offensive, l’afflux de réfugiés est déjà massif notamment au sud-est de la ville.

Dans le camp de Debaga, à 80 km environ de Mossoul, 700 déplacés fuyant les zones encore contrôlées par les djihadistes arrivent quotidiennement depuis début octobre. Au milieu d’eux se trouvent de potentiels anciens collaborateurs de l’organisation terroriste.

Les habitants savent qu'il y aura des combats dans leur village

Dans la chaleur de l’immense camp de Debaga, posé au milieu d’une zone semi-désertique, pas moins de 16 bus défilent en cette fin de matinée. Ils déposent des dizaines de familles, traits tirés, vêtements poussiéreux, quasiment sans bagage. Ardalan Mohammed est chargé de leur accueil : "Depuis environ 10 jours il y a de plus en plus d’arrivées parce que l’offensive de Mossoul va bientôt commencer. Les habitants d’Hawija au sud-est essaient ainsi de sortir à tout prix, ils savent qu’il va y avoir des combats chez eux."

A la descente du bus, les hommes sont regroupés, leurs cartes d’identité ramassées pour procéder à un premier appel. La plupart portent la barbe, leurs pantalons et djellabah remontent souvent jusque sur les tibias comme l’exigent les djihadistes. Hier ou avant-hier ils étaient encore dans des zones contrôlées par l’Etat islamique.

Cigarette à la bouche, un père de famille réinstalle une puce dans son téléphone portable : "Chez Daech le portable était interdit. C’était aussi interdit de fumer. On fumait en cachette.Cette cigarette coûtait près de deux euros, insiste-t-il. Je te jure, je me sens bien maintenant, Dieu merci."

Une distribution de matelas près de la mosquée du camp de Debaga, construit par les  Emirats arabes unis, le 10 octobre 2016 près de Mossoul (Irak). (RADIO FRANCE / Jérôme Jadot)

Échapper aux mines et à la faim

Le bonheur de ce réfugié c'est aussi de pouvoir redonner un soda et quelques gâteaux à ses quatre enfants en bas âge. Ils sont assis côte à côte, à l’ombre d’un mur, l’air hagard, épuisés, affamés après une nuit de marche pour fuir leur village, en prenant potentiellement de grands risques. "Il y a des mines, les djihadistes qui se mettent en embuscade pour arrêter les gens. On a eu toute sorte d’obstacles sur notre chemin", raconte le père de famille.

Le chemin était miné aussi pour Shaker, ancien gardien d’école près d’Hawidja. Pour limiter les risques de déclencher un engin explosif, il a marché en file indienne pendant 11 heures avec les 20 membres de sa famille, afin d’échapper au quotidien sous l’Etat islamique. "La faim, la peur, les exécution collectives. C’est tout ça. Et il n’y a rien à manger, les gens crèvent de faim. Un kilo de sucre c’est 30 euros, s'emporte Shaker. Nous sommes des fonctionnaires et ils nous empêchent de sortir pour toucher nos salaires. Daech contrôle toujours Hawija et il n’y a pas d’avancée contre eux dans cette zone".

Dans le hangar où sont étendus quelques matelas en attendant mieux, Shaker le reconnaît toutefois : deux ans et demi après leur arrivée, les djihadistes sont en perte de vitesse au sud-est de Mossoul. "Avant on ne pouvait pas partir, ils décapitaient tous ceux qu’ils arrêtaient. Maintenant, ils sont moins nombreux donc on peut fuir pendant la nuit."

Une famille de réfugiés du camp de Debaga, à 80 kilomètres de Mossoul (Irak), le 10 octobre 2016. (RADIO FRANCE / Jérôme Jadot)

Parmi les réfugiés, des anciens djihadistes de l'Etat islamique

Si les djihadistes sont moins nombreux, c’est aussi parce que certains ont fui, parfois en tentant de se glisser parmi les déplacés. D’où cette zone grillagée à l’entrée du camp où transitent tous ces nouveaux arrivés. Les hommes de plus de 13 ans y sont soumis à un interrogatoire pour tenter de détecter ceux qui auraient flirté avec l’Etat islamique. C’est Bourhan, membre des forces de sécurité kurdes qui chapeaute les 3 à 400 entretiens quotidiens. "Chaque jour, on arrête entre 50 et 60 membres de Daech. Il y a les autres civils qui les dénoncent comme des membres de l’Etat islamique qui leur ont fait du mal, affirme-t-il. Nous avons aussi des noms donnés par les services de sécurités et d’autres sources. On s’appuie là-dessus pour les interrogatoires. Et ils avouent qu’ils étaient engagés avec Daech. Notre travail c’est d’envoyer les criminels au tribunal."

Les peines encourues dépendront de la gravité des crimes élude Bourhan qui ne laissera pas notre équipe franceinfo assister à un interrogatoire. Ceux qui en ressortent libres peuvent ensuite gagner des centaines de tentes blanches et bleues qui s’étendent à perte de vue dans ce camp financé par les Émirats arabes unis.

L'ONU table sur un million de réfugiés

À Debaga, il y a déjà plus 30 000 places occupées : "Notre grand problème, c’est qu’il n’y a pas assez de places pour les nouveaux venus. Jusqu’à présent, on s’est débrouillé. Mais pour les prochains jours, franchement, on ne sait pas. Parce qu’il y aura aussi les gens qui viendront de Mossoul " se désespère Rezgar Obed, le directeur du camp.

Dans son pire scénario de cette bataille de Mossoul à venir, le Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU table sur un million de déplacés. Si tous les camps prévus sont construits à temps, il y aura 120 000 places.

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