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Quelles options pour "détruire l'Etat islamique" ?

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un peshmerga kurde, observant la ville de Celavle (Irak), en passe d'être reprise aux combattants de l'Etat islamique, le 24 août 2014. (FERIQ FEREC / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les Etats-Unis ont pour ambition d'"affaiblir, et finalement de détruire" le groupe jihadiste aujourd'hui menacé militairement par une coalition internationale. Mais le terme "détruire" est-il approprié au vu des options possibles ?

Les termes employés par Barack Obama sont sans ambiguïté. Le 10 septembre, le président américain a affirmé que les Etats-Unis allaient "affaiblir, et finalement détruire" l'Etat islamique (EI). Dans la foulée, une conférence internationale s'est tenue à Paris, lundi 15 septembre, pour organiser une coalition visant à éliminer l'organisation terroriste qui contrôle, par la terreur, une large partie de l'Irak et de la Syrie. Mais que signifient les mots "détruire" et "éliminer" quand on évoque l'EI ? Francetv info revient sur les options offertes à la coalition, et leurs chances de réussite, pour annihiler cette nouvelle menace jihadiste.

Le chasser d’Irak

C'est après la prise, en juin, de Mossoul, la deuxième ville d'Irak, que le monde a pris conscience du danger que représente l'Etat islamique. Mais depuis le mois d'août, l'avancée inexorable des combattants de l'EI n'est plus une fatalité. Les bombardements américains ont commencé à affaiblir l'arsenal des jihadistes, à tel point que ces derniers ont présenté l'exécution des journalistes américains James Foley et Steven Sotloff comme des réponses aux attaques de Washington. La coalition réunie lundi à Paris a pour objectif d'appuyer cette stratégie aérienne.

Compliqué mais faisable. "Une offensive aérienne ne sera pas suffisante, estime Frédéric Encel, géopolitologue et auteur de Géopolitique du printemps arabe. On ne lance pas le siège de Mossoul, une ville où vivent des centaines de milliers de civils, avec des bombardements aériens. Ce serait un massacre. Il faut des troupes au sol." Un rôle trop périlleux pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni, pour qui le bourbier irakien est trop proche, et une stratégie trop coûteuse pour les autres puissances occidentales comme la France.

Sur le terrain, ce sont donc les peshmergas kurdes, les militaires irakiens, ou encore les milices chiites, armés par les Occidentaux et notamment la France, qui mènent des opérations déjà efficaces.

En Irak, les combats contre les jihadistes continuent (F. GENAUZEAU / FRANCE 2)

Reste à savoir si cet attelage composite peut suffire. "Le plus difficile sera de faire accepter à des populations arabes d'être libérées par des Kurdes, ou à des sunnites d'être défendus par des chiites", avance Frédéric Encel. L'appui des tribus irakiennes s'avèrerait également un additif indispensable. Elles avaient, en effet, permis de repousser la menace jihadiste en 2005-2006 en Irak. Certaines se sont déjà levées contre l'Etat islamique, comme l'explique Middle East  (en anglais). "Mais beaucoup changent d'attitude en fonction du vent", prévient Frédéric Encel.

Pour obtenir ce ralliement, le gouvernement irakien a arrêté de bombarder les zones contrôlées par l'EI sans discernement, des milliers de civils ayant péri sous les barils d'explosifs lancés depuis les avions irakiens, comme l'explique Le Monde.

Repousser l'offensive jihadiste hors d'Irak est donc envisageable, à condition de fédérer les troupes locales. Mais la question de l'après-conflit se pose. Qui occupera le terrain ? Le risque d'une guerre civile entre des communautés armées par les Occidentaux existe. "Tout dépendra de ce que fait le nouveau gouvernement irakien, développe Denis Bauchard, ancien ambassadeur et conseiller à l'Institut français des relations internationales pour le Moyen Orient. S'il favorise encore les chiites vis-à-vis des sunnites, comme l'a fait son prédécesseur, il pourrait bien y avoir des problèmes."

Assécher ses financements

Aujourd'hui présenté comme "le groupe terroriste le plus riche du monde", l'EI présenterait un solde créditeur de 2 milliards d'euros grâce au pillage des banques de Mossoul, au racket imposé aux régions qu'il contrôle, ainsi qu'à l'aide indirecte apportée par l'Arabie saoudite et le Qatar, comme l'explique Libération. Cette fortune proviendrait également de l'exploitation des puits de pétrole conquis. 

Or, cette richesse permet à l'Etat islamique de compter aujourd'hui entre 20 000 et 31 500 combattants, selon des chiffres de la CIA relayés par Le Figaro. "L'EI paye bien, entre 300 et 400 dollars [par mois], explique Denis Bauchard à francetv info. Bien plus que les autres groupes salafistes. Si on assèche son financement, il n'y aura plus de combattants."

Difficile. Ces ressources sont aujourd'hui menacées. Le Qatar a ainsi assuré ne pas financer l'Etat islamique, déclarant que "l’émirat rejette leurs idées et leur violence", comme le relève RFI. L'Arabie saoudite, présente à la conférence de Paris, aurait également changé de stratégie vis-à-vis de l'EI : "Le nouveau chef des renseignements saoudiens, Ben Nayef, a déclaré qu'il fallait assécher le financement de l'EI, et que ses membres étaient des apostats de l'islam, analyse Denis Bauchard. Mais le pouvoir saoudien est embarrassé, car une partie de l'opinion publique est réceptive aux actions de l'EI. Ce soutien populaire existe également en Turquie."

Ankara est en effet suspecté de jouer un "double-jeu" qui empêcherait d'endiguer l'exportation du pétrole des jihadistes, selon David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique cité par TV5 Monde. La Turquie, membre de l'Otan et participant à la conférence de Paris, importerait illégalement ce pétrole de contrebande à bas coût, pour s'assurer une place de plaque tournante pétrolière dans la région. Sans une coopération complète des voisins de l'Irak, le compte en banque de l'EI n'est pas prêt d'être à sec.

Lui couper la tête

Si les dirigeants occidentaux refusent d'associer le mot "Etat" à l'EI, l'organisation possède bien un dirigeant. Son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi, a ainsi revendiqué le titre de leader du "califat" proclamé, appelant tous les musulmans à lui "obéir". L'homme est du coup devenu une des cibles prioritaires de la CIA, qui offre 10 millions de dollars pour sa capture.

Possible, mais pas forcément efficace. Abattre la tête de l'Etat islamique n'aurait pas pour conséquence de voir l'organisation terroriste s'effondrer comme un château de cartes. "Il faut détruire le réseau", assure le magazine américain New Republic (en anglais). Car la mort d'Abou Bakr n'aurait pas plus de conséquence pour l'existence de l'EI, que la disparition de Ben Laden n'en a eu pour Al-Qaïda. "Comme ce fut le cas pour Ben Laden, cela affaiblirait tout de même le prestige de l'EI, qui ne paraîtrait plus invulnérable, nuance Frédéric Encel. Mais évidemment, les têtes, ça repousse."

Le poursuivre jusqu'en Syrie

En affirmant qu'il "n'hésitera pas à agir contre l'Etat islamique en Syrie, comme en Irak", Barack Obama a voulu démontrer sa détermination à réellement "détruire" l'EI. La Syrie abrite en effet la plupart des champs pétrolifères conquis par les jihadistes, ainsi que de nombreuses bases arrières.

Inenvisageable. En agitant à nouveau le foulard rouge d'une intervention occidentale sur le sol syrien, le président américain a réveillé des oppositions diplomatiques majeures. Le problème numéro un s'appelle Bachar Al-Assad. Des bombardements américains en Syrie, pour y détruire les infrastructures contrôlées par l'EI, pourraient apporter un soutien involontaire au président syrien. "Un choix terrible", selon la formule utilisée par François Hollande dans Le Monde (lien abonnés), entre "un dictateur et un groupe terroriste".

La France estime d'ailleurs que la Syrie est un cas à part, et écarte toute intervention sur son territoire. Mais si Washington fait le choix inverse, il prend le risque de rentrer en conflit ouvert avec Damas, qui a annoncé qu'un bombardement sur son territoire serait considéré comme une "agression", quelle que soit la cible. La Russie, alliée de Damas, se mettrait également sur la route de Washington, comme elle l'a déjà annoncé.

Un autre acteur majeur pourrait également montrer les dents : l'Iran. Invité par la France, le pouvoir iranien a refusé de participer à la conférence de Paris, estimant que l'objectif de la future coalition est de renverser Bachar Al-Assad, allié de Téhéran. "L'Iran est très attentif à ce qui se passe en Irak, avance Denis Bauchard. Car ce qui se joue, c'est une continuité de l'affrontement Arabie saoudite-Iran, pour savoir qui sera le gendarme du Moyen-Orient." Un sac de nœud diplomatique qui devrait convaincre la coalition de ne pas se risquer à bombarder l'EI en Syrie.

Eliminer ses membres jusqu’au dernier

La conférence de Paris a été l'occasion pour François Hollande d'appeler à une réponse sécuritaire de la part des pays appelés à lutter contre l'Etat islamique. A l'image du durcissement de la loi antiterroriste en France, le président français demande que ses partenaires s'attaquent au réseau de recrutement des jihadistes.

L'objectif serait donc de neutraliser les membres de l'EI, et leurs ramifications, au-delà du Moyen-Orient. Aucun pays ne serait à l'abri de ce réseau. Selon le gouvernement, environ 300 Français auraient ainsi rejoint les rangs de l'Etat islamique.

Impossible. Là encore, une élimination totale du phénomène paraît utopique. "Le jihadisme est une idéologie, estime Frédéric Encel. Est-ce qu'en 1945, après la seconde guerre mondiale, le fascisme a disparu ?" Le terme de "destruction" de l'Etat islamique semble donc inapproprié. La coalition pourra, en revanche, s'atteler à "affaiblir", "repousser" ou "discréditer" ce groupe terroriste. Mais quel que soit l'objectif, selon Denis Bauchard, "tout ceci est une affaire de longue haleine".

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