Rapatriement depuis la Syrie : "Je ne peux m'empêcher de penser à ceux qu'on a laissé là-bas", réagit l'avocate des familles de jihadistes
Le retour dans l'Hexagone de 40 enfants et 15 femmes depuis la Syrie ce jeudi 20 octobre est le signe "d'un changement de politique" de la France sur la question des rapatriements des familles de jihadistes, estime sur franceinfo l'avocate Marie Dosé, représentante du Collectif Familles Unies.
Après le rapatriement ce jeudi 20 octobre de 40 enfants et de 15 femmes, qui se trouvaient dans des camps de prisonniers jihadistes du nord-est de la Syrie, Maître Marie Dosé, avocate de nombre de ces femmes, estime sur franceinfo qu'il s'agit d'une "bonne nouvelle". L'avocate pénaliste au barreau de Paris et représentante du Collectif Familles Unies, qui rassemble les proches et familles des femmes et enfants retenus en Syrie, y voit un "changement de politique" de la France sur la question des rapatriements des familles de jihadistes. "Ce qui est désolant, c'est que la France a mis quatre ans, c'est le temps d'une enfance", déplore-t-elle.
franceinfo : Comment réagissez-vous à l'annonce de ces rapatriements ?
Maître Marie Dosé : C'est une bonne nouvelle. Mais je ne peux m'empêcher de penser à ceux qu'on a laissé là-bas et qui voient partir leur copain, les mamans de leurs copains et qui doivent se dire 'mais pourquoi pas moi ?' Ce qui est terrible, c'est que ces opérations de rapatriement se font au compte-gouttes, même si là on salue le fait que les enfants rentrent enfin avec leur mère et qu'on n'est pas sur quatre ou cinq ou six enfants, mais sur des dizaines de femmes et d'enfants.
Combien d'enfants et de femmes restent-ils encore dans cette zone ?
Il reste environ 160 enfants et 70 femmes. Il y aurait des orphelins. Certains sont très petits, d'autres à force de grandir dans les camps depuis quatre ans, le sont moins. Mais ces orphelins doivent être une priorité. Donc, je sais que certains orphelins sont rentrés. J'ai bien peur qu'ils ne soient pas tous rentrés. Ce qu'on sait sur ces femmes, c'est qu'elles sont judiciarisées en France depuis leur départ. Donc depuis sept ou huit ans, les magistrats instructeurs et le Parquet national antiterroriste travaillent chaque jour sur leur dossier.
Que va-t-il se passer à présent pour ces femmes et ces enfants rapatriés ?
Elles vont être mises en examen et placées en détention provisoire. Certaines sont déjà placées en garde à vue à la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et d'autres se voient notifier leur mandat d'arrêt international directement chez le juge d'instruction antiterroriste. Mais toutes, de toute façon, elles vont être mises en examen pour association de malfaiteurs à caractère terroriste et placées en détention provisoire. S'agissant des enfants, ils sont pris en charge par des professionnels de l'enfance et des médecins. Dans un premier temps, il y a un examen médical qui se fait à l'hôpital.
"Ces enfants ont été malnutris, ont souffert psychologiquement, physiquement. Il faut d'abord les évaluer et évaluer leur traumatisme psychologique et physique."
Maitre Marie Dosé, représentante du Collectif Familles UniesFrance Info
Ensuite, ils sont placés à l'aide sociale à l'enfance et vont dans des familles d'accueil qui sont spécialement formées pour les accueillir. Parfois ils arrivent dans des toutes petites structures, des foyers adaptés, notamment s'agissant des fratries par exemple lorsqu'il y a quatre, cinq ou six enfants et qu'on ne veut pas les séparer parce qu'il ne faut pas les séparer. Ce protocole est rodé depuis des années. Et petit à petit, ils vont rencontrer leurs grands-parents, leurs tantes, leurs oncles jusqu'à ce qu'un juge des enfants décide du placement de ces enfants dans leurs familles, là où ils seront le plus à même de bien grandir. Ils sont suivis depuis des années. Le suivi est très, très long et force est de constater qu'il est très fouillé.
En plus du rapatriement de ce jeudi, la France a rapatrié en juillet dernier 35 enfants et 16 femmes. Jusqu'à cet été, la politique était de faire "au cas par cas". Il y a un mois, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, jugeant cette politique arbitraire. Est-ce que vous avez l'impression qu'il y a un changement de politique sur cette question ?
Non, ce n'est pas une impression, c'est un fait. Mais la France est acculée après quatre ans de procédures. Elle a été condamnée par le Comité des droits de l'enfant. Elle a été condamnée par la Cour européenne, elle n'a plus le choix de faire le choix de la responsabilité de l'humanité. Ce qui est désolant, c'est qu'elle a mis quatre ans à le faire et que quatre ans, c'est le temps d'une enfance. C'est ça que je regrette, moi. Mais depuis le début, nous savions que ces rapatriements étaient inéluctables. C'est ce temps perdu qui me met en colère. Mais évidemment, le changement de doctrine avait été annoncé à l'époque par M. Laurent Nunez qui anticipait une condamnation de la Cour européenne. Force est de constater que désormais, les rapatriements s'organisent et qu'il était temps qu'ils s'organisent.
Est-ce que vous comprenez les réticences de certains de voir revenir en France des femmes de jihadistes ?
Je pense d'abord qu'il ne faut pas figer l'opinion publique. Je pense aussi qu'il y a beaucoup de gens qui comprennent que des enfants sont innocents que l'intérêt supérieur des enfants est de rentrer avec leurs mères et les laisser là-bas ce serait peupler à nouveau Daesh ou prendre le risque de peupler à nouveau Daesh. Ces femmes ne sont judiciarisées qu'en France. Elles ne peuvent pas être jugées là-bas. Elles sont en détention arbitraire depuis quatre ans. Elles ont fait le pire des choix il y a quatre ans. C'est ici qu'elles seront et que nous serons en sécurité parce qu'elles sont judiciarisées ici. Là, elles sont mises en examen, placées en détention provisoire et jugées. J'entends les réticences, mais il faut surtout tenir un discours de raison. Ce n'est pas parce qu'elles sont loin que le danger est loin. C'est parce qu'elles restent loin que le danger est tout près de nous.
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