La guerre au Yémen "traîne", avec "l'assentiment, voire la complicité des grandes puissances internationales"
Laurent Bonnefoy, politologue et chargé de recherche au CNRS, auteur de "Le Yémen. De l’Arabie heureuse à la guerre", a fait le point pour franceinfo sur une "guerre qui traîne depuis trois ans".
Les négociations pour mettre fin à la guerre au Yémen sont toujours au point mort, alors que le conflit, qui dure depuis mars 2015, a fait plus de 8 600 morts. Laurent Bonnefoy, politologue et chargé de recherche au CNRS a estimé jeudi 9 novembre sur franceinfo que "la guerre traîne depuis bientôt trois ans, avec un coût humanitaire élevé, avec l'assentiment, voire la complicité, des grandes puissances internationales", et que la situation "profite aux acteurs jihadistes" de la péninsule arabique.
franceinfo : quel est l'enjeu de cette guerre qui a fait plus de 8 600 morts ?
Laurent Bonnefoy : La guerre oppose une rébellion à un président destitué par cette rébellion [Ali Abdallah Saleh]. Il a demandé l'aide de la coalition internationale emmenée par l'Arabie saoudite, secondée par les Émirats arabes unis, pour restaurer son pouvoir. Cette restauration devait, dans l'esprit de la coalition, se faire rapidement, mais la guerre traîne depuis bientôt trois ans avec un coût humanitaire élevé, et avec l'assentiment, voire la complicité, des grandes puissances internationales. Il y a depuis bientôt trois ans, dans ce pays le plus pauvre du Moyen-Orient, un blocus qui a très largement affecté la capacité des Yéménites à se nourrir. Ce blocus empêche très largement les Yéménites de quitter leur pays. Toute cette situation, ce chaos, ce délitement de l'État profite aux acteurs jihadistes, et a un coût extrêmement important pour la population.
C'est un pays coupé en deux, y compris géographiquement ?
La fragmentation du pays est une réalité. Il faut se pencher sur toutes les subtilités et la complexité du Yémen et de sa société. On avait deux Yémen jusqu'en 1990 : le Yémen du Nord et le Yémen du Sud se sont unifiés en 1990. Il y a eu la résurgence, dans les années 2000, d'un mouvement sécessionniste sudiste, qui aujourd'hui bénéficie très largement de la situation de guerre. Notamment parce qu'il est appuyé par les Émirats arabes unis, qui semblent voir d'un bon oeil une fragmentation, ou une sorte d'autonomie du sud, qui offrirait aux Émirats arabes unis un certain nombre de débouchés économiques.
Le Yémen est-il un pays important dans la région ?
Cette importance est déjà démographique. Le Yémen est le pays le plus peuplé de la péninsule arabique avec 30 millions d'habitants. Il y a une concurrence ancienne entre l'Arabie saoudite et le Yémen. L'Arabie saoudite semble avoir toujours préféré un Yémen affaibli ou fragmenté. Il y a par ailleurs un enjeu migratoire lié aux réfugiés : plus la guerre dure, plus il risque d'y avoir une pression migratoire sur ses voisins ou sur l'Europe. Et puis il y a un enjeu sécuritaire important : le Yémen abrite un certain nombre de groupes dits jihadistes. C'est la base depuis laquelle Al Qaida a pu planifier l'attaque contre Charlie Hebdo. Or, la guerre renforce ces groupes. Il est probable que la capacité d'organisation de ces groupes aboutisse à une forme de projection de la violence jusqu'en Europe. De ce fait là, le mépris affiché pour la situation au Yémen me semble problématique, parce que c'est un pays qui compte, et dont il faudrait se soucier plutôt que de laisser l'Arabie saoudite en première ligne.
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