Pourquoi le nouveau dirigeant de la Syrie se présente désormais sous son nom de naissance, al-Chareh, à la place d'al-Joulani

Le leader syrien a passé des années sous un pseudonyme, Abou Mohammed al-Joulani, qu'il avait adopté lorsqu'il a pris les armes avec les jihadistes au début des années 2000.
Article rédigé par Clémentine Sabrié
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Ahmed al-Chareh (au centre) lors d'une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères ukrainiens, le 30 décembre, à Damas, en Syrie. (BAKR ALKASEM / AFP)

C'est le nouvel homme fort de la Syrie post-Bachar al Assad : Ahmad al-Chareh ou, comme il se faisait encore appeler jusqu'à récemment, Abou Mohammed al-Joulani. Le nouveau dirigeant se présente depuis le 5 décembre sous son nom de naissance, qu'il avait abandonné en prenant les armes avec les jihadistes au début des années 2000. Un changement de nom symbolique pour un leader en quête de respectabilité et de légitimité sur la scène internationale.

Un changement de nom quand il s'engage aux côtés d'Al-Qaïda en Irak

Né en 1982, Ahmed al-Chareh a grandi à Mazzé, un quartier de Damas. Après avoir tenté des études de médecine et d'arabe littéraire, il s'engage aux côtés d'Al-Qaïda en Irak, en 2003, au début de la guerre d'Irak. C'est à ce moment-là qu'il change de nom, en adoptant une "kunya". Ce procédé traditionnel de la culture arabe consiste à se nommer comme "père de" (abou) ou "mère de" (oumm), en ajoutant le nom de son enfant. Il est aussi utilisé par les personnes souhaitant entrer dans la clandestinité, comme les jihadistes. La kunya sert alors de nom de guerre, souvent choisi en référence à un lieu ou à un personnage historique.

Un nom de guerre en référence au plateau du Golan

Ahmad al-Chareh choisit alors de s'appeler Abou Mohammed al-Joulani, ce qui signifie "du Golan". Un nom de guerre en référence à ce plateau syrien dont sa famille a été chassée, en 1967, quand Israël a conquis la région, expliquait-il dans une interview donnée à la chaîne américaine PBS, en 2021.

En changeant de nom, il acte donc son entrée dans la mouvance jihadiste. Il le gardera au fil de ses changements de groupes islamistes, passant d'Al-Qaïda à l'organisation État islamique, puis au Front al-Nosra et au Front Fatah al-Cham, avant de fonder le mouvement Hayat Tahir al-Sham (HTS), en 2017. Cette nouvelle organisation est à l'origine de l'offensive rebelle qui a conduit à la chute de Bachar al-Assad en douze jours.

Le 5 décembre, alors qu'un gouvernement de transition est nommé par HTS en Syrie, Abou Mohammed al-Joulani abandonne son identité clandestine jihadiste : il signe un message sur Telegram "commandant Ahmed al-Chareh".

Un abandon affiché de l'identité jihadiste

Réaliste selon ses partisans, opportuniste selon ses adversaires, Ahmed al-Chareh tente de lisser son image et de présenter un visage plus modéré. "De ce que nous pouvons voir, c'est une personne véritablement changée", estime Shiraz Maher, un expert de l'extrémisme islamiste à l'université King's College de Londres, auprès de The Guardian"Il a fait tout un cheminement et, à Idleb, il a développé une théologie pragmatique", poursuit-il. Le nouveau dirigeant syrien a, par exemple, déclaré vouloir œuvrer à la protection des minorités, appelant à "coexister ensemble".

L'abandon de son nom de jihadiste va de pair avec une transformation physique. Alors qu'il se présentait en habits militaires, turban blanc sur la tête et longue barbe, lors d'une de ses premières apparitions télévisées, en 2016, c'est en chemise kaki, tête découverte et barbe taillée, qu'Ahmad al-Chareh apparaît dans une interview à CNN, le 6 décembre, juste avant la prise de contrôle de Damas par les rebelles islamistes. Dans cette interview, il justifie ainsi son évolution : "Une personne dans la vingtaine aura une personnalité différente de celle d’une personne dans la trentaine ou la quarantaine, et certainement d’une personne dans la cinquantaine. C’est la nature humaine." Depuis la chute du régime de Bassar al-Assad, Ahmad al-Chareh a peu à peu troqué la chemise militaire kaki pour une tenue civile. Sur la chaîne saoudienne Al-Arabiya, le 29 décembre, le dirigeant porte un costume cravate avec une barbe plus courte.

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