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Syrie : la guerre a déjà commencé sur le web

Hackers pro et anti-Bachar Al-Assad combattent en ligne. Plutôt inoffensive en apparence, cette guerre pourrait prendre une autre ampleur si la Syrie venait à être bombardée.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un analyste scrute le code dans un laboratoire travaillant sur la cybersécurité dans l'Idaho, aux Etats-Unis, le 29 septembre 2011. (JIM URQUHART / REUTERS)

La Syrie doit-elle être la cible d'une pluie de missiles ? Pendant que les grandes puissances tergiversent sur cette question au G20, jeudi 5 septembre, une autre bataille se livre déjà. Sans fracas ni explosions, des hackers lancent des cyber-frappes pour ridiculiser l'ennemi. Mais pas seulement.

Une mystérieuse Armée électronique syrienne

La dernière cyberattaque d'envergure remonte au 28 août. Elle est venue du camp des pro-Assad. L'Armée électronique syrienne (AES ou SEA pour Syrian electronic army), un mystérieux groupe de hackers fidèles au régime syrien, revendique alors le piratage de Twitter et du New York Times. Capture d'écran à l'appui, sur Twitter, l'AES menace : "@Twitter, êtes vous prêts ?" 

Pas besoin d'être un génie pour mener à bien cette attaque, à lire le Nouvel Observateur qui en détaille le procédé. Mais cette "armée" de hackers apparue en novembre 2011 commence à avoir un tableau de chasse conséquent : France 24, The Guardian, la BBC, le compte Twitter du bureau photo de l'AFP à Damas, Reuters, Al-Jazeera, The Washington Post...

Son plus important fait d'armes reste le piratage du compte Twitter de l'agence américaine Associated Press (AP). "Deux explosions à la Maison Blanche et Barack Obama est blessé", annonce l'agence le 24 avril. La nouvelle est fausse, mais les bourses plongent et perdent plus de 100 milliards de dollars en valeur.

Anonymous vs AES

Pas de riposte officielle. La contre-attaque est venue du monde des hackers. Des Anonymous affirment sur Twitter avoir visé le régime. Ils s'en prennent à la ville d'Alep, comme l'explique le site DailyDot.com (en anglais), à l'agence de presse officielle Sana, à plusieurs sites gouvernementaux (ministère de l’Energie, de la Poste) ou encore à l’agence des télécommunications syriennes.

Un autre hacker contacte le Washington Post (en anglais). Il confie des documents gouvernementaux syriens pour "embarrasser le régime d'Assad". Ce hacker se dit surpris de la faiblesse des défenses des réseaux syriens.

L'AES n'est pas épargnée. Sur Twitter, un Anonymous, @Blackplans, affirme au site TechWeekEurope avoir hacké l'AES (ce qu'elle dément) et débusqué l'identité de quatre de ses membres.

Une armée de "gamins" ? 

On connaît toujours mal les membres de l'AES, mais pour le Washington Post (en anglais), il pourrait s'agir de "farceurs qui admirent Assad, plutôt que de pirates engagés par l'Etat pour s'en prendre à des objectifs concrets". Finalement, "si on regarde ses attaques passées, le groupe [l'AES] semble avoir des motivations simples : attirer l'attention et punir les médias occidentaux qu'ils estiment dévolus à la cause anti-Assad".

"On ignore qui sont les hackers de l'Armée électronique syrienne. Certains hackers disent que ce sont des nuls, des gamins", explique François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'Iris et spécialisé sur la cyberstratégie. Mais pour lui, la question n'est pas là : "Ce n'est pas tous les jours qu'on voit des hackers pirater le New York Times !"  
Capture d'écran d'un compte Twitter de la BBC lorsqu'il a été hacké par l'AES, le 21 mars 2013. Il diffuse des messages en soutien à Bachar Al-Assad. (AP)

Guerre psychologique

D'autant que les attaques se multiplient et semblent avoir pris un tour plus subtil. L'AES a piraté le compte des Marines américains. Elle y a publié les portraits de soldats masqués par des affichettes proclamant, par exemple : "Je n'ai pas rejoint la Navy pour combattre Al-Qaïda pour l'armée américaine dans la guerre civile syrienne." 

Les photos étaient accompagnées d'un mot de l'AES : "Nous comprenons votre patriotisme et l'amour pour votre pays, alors comprenez notre amour pour le nôtre. (...) Vous êtes les bienvenus pour venir combattre à nos côtés. Nous qui avons combattu Al-Qaïda ces trois dernières années." Or, l'authenticité de ces photos anonymes apparues sur le web reste à démontrer, comme l'explique France 24. International Business Times s'est penché sur la photo d'un gradé tweetée des centaines de fois et émet l'hypothèse que ce ne soit "pas un membre des Marines, mais un homme déguisé comme tel". Pourtant, le hashtag #ididntjoin ("je n'ai pas rejoint", expression sur l'affichette) est devenu populaire. Des utilisateurs de Twitter se félicitent d'un sursaut de conscience des militaires américains. 

Est-ce l'une des "surprises", promises par l'AES, comme expliqué par la BBC ? "Personne ne pense que l'AES va installer un logiciel malveillant capable de détraquer le Pentagone. Mais dans une guerre de l'information, on cherche l'exploit et des punitions symboliques", remarque François-Bernard Huyghe. De simples et efficaces procédés de propagande en temps de guerre. "Ils recherchent un impact psychologique. Or, cette guerre psychologique va se radicaliser s'il y a des frappes américaines", estime le chercheur.

Paralyser un pays

En cas d'intervention étrangère, la cyberguerre pourrait passer à la vitesse supérieure. L'ancien directeur de la NSA, l'Agence nationale de la sécurité américaine, Michael Hayden, a confié à l'agence Reuters que l'Armée électronique syrienne avait "tout l'air d'agir par procuration pour le compte de l'Iran" et pourrait avoir un potentiel de nuisance bien plus considérable que ce dont elle a fait preuve jusqu'à présent.

Fini le temps des hackers indépendants. Damas a le soutien de Téhéran et Moscou. L'Iran se serait déjà montré capable de paralyser de grandes banques américaines et aurait cherché à détruire des données de compagnies pétrolières américaines. Quant à Moscou, son pouvoir de nuisance est bien plus important. Selon d'anciens membres de l'administration Obama, la Russie dispose de cybercapacités pratiquement aussi importantes que les Etats-Unis. En 2008, quand Moscou a lancé une guerre éclair contre la Géorgie, des pirates russes et pro-russes avaient mis à genoux des infrastructures du pays.

En octobre 2012, Leon Panetta, le secrétaire d'Etat américain à la défense, avait dit redouter un cyber "Pearl Harbor" frappant des services vitaux comme "notre réseau électrique, nos institutions financières et nos systèmes de contrôle aérien". "Mais on peut penser que les Américains eux-mêmes pensent à le faire aux Syriens", estime François-Bernard Huyghe. "On peut imaginer qu'ils s'attaquent à des infrastructures militaires, voire à des infrastructures civiles pour créer le chaos."

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