Syrie : la vaine mission des observateurs étrangers
Alors que la répression s’accentue sur le régime de Damas, le travail des observateurs de la Ligue arabe arrivés ce jeudi dans le pays relève de la mission impossible. Analyse avec la spécialiste du monde arabe, Agnès Levallois.
"Une mascarade" ou un moment de répit ? Une première équipe d’observateurs de la Ligue arabe est arrivée jeudi 22 décembre dans l'après-midi à Damas, selon Al-Jazeera. Après neuf mois de violences en Syrie, ce pas en avant de la part du régime de Bachar Al-Assad a du mal à convaincre.
Les objectifs de la mission
La Syrie a signé lundi un protocole préparé par la Ligue arabe. L'envoi d'une délégation est l'un des éléments de ce plan qui prévoit par ailleurs l’arrêt de la répression, la libération de prisonniers, le retrait de l’armée et l’ouverture à la presse.
Selon le texte, la tâche des observateurs consiste à “surveiller l’arrêt de la violence de tous les côtés et à s’assurer de la libération des détenus arrêtés en lien avec la crise actuelle”. Mandatés par la Ligue arabe, ils doivent “être libres de communiquer avec quiconque, en coordination avec le gouvernement syrien”.
Avant même le début des inspections, le chef de la diplomatie syrienne Walid Mouallem a prévenu que les observateurs pourront “accéder aux points chauds mais pas aux points militaires sensibles”, selon Le Nouvel Observateur.
Un plan accueilli avec scepticisme
Bachar Al-Assad n'a pas respecté ses promesses tenues ces derniers mois, comme le rappelle L'Express. Ce premier pas d'ouverture doit donc être considéré avec prudence. “Le régime syrien n’a accepté d’accueillir cette mission que sous la pression de la Russie, contraint et forcé, note Agnès Levallois, spécialiste du monde arabe, chargée de cours à l'ENA. On risque d’assister à une mascarade. La mission va être fortement encadrée par les autorités et les observateurs envoyés par leurs Etats respectifs ne sont pas forcément autonomes.”
Dans l’opposition, le leader du Conseil national syrien Burhan Ghalioun a qualifié l’accord de “mensonge visant à gagner du temps et à empêcher la Ligue de recourir aux Nations unies”. Une autre figure de l’opposition, Samir Aita, se félicite malgré tout de l’arrivée des observateurs, qui pourrait permettre de nouveau à la population de “se soulever pacifiquement dans les grandes villes”.
D'après la BBC, le secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil Al-Arabi, a reconnu qu’il suffira d’une semaine pour savoir si la Syrie respecte vraiment le plan.
Les violences s’accentuent
Au moins quatre personnes ont été tuées ce jeudi matin à Homs, haut lieu de la contestation, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme cité par The Guardian. La veille, le ministère des Affaires étrangères français a dénoncé une “tuerie d’ampleur sans précédent” après la mort d’environ 250 personnes en 48 heures. Jusqu'ici, on déplorait en moyenne une vingtaine de morts par jour. Ces chiffres s’ajoutent au dernier bilan des Nations unies, selon lequel plus de 5 000 opposants auraient trouvé la mort depuis le début de la contestation mi-mars.
“Damas est plus que jamais dans une logique d’affrontement, avec le comportement jusqu’au-boutiste d’un régime qui sent qu’il perd pied, estime Agnès Levallois. C'est un régime autiste qui a de moins en moins de soutiens et de plus en plus de mal à mobiliser ses fidèles. Le régime n’a que sa fin comme horizon, mais il garde encore la main.”
Les positions timides de la communauté internationale
L’Assemblée générale de l’ONU a adopté, lundi, une résolution dénonçant la situation des droits de l’homme en Syrie. Un vote intervenu alors que la Russie a déposé la semaine dernière devant le Conseil de sécurité un projet de résolution a minima, jugé déséquilibré par les pays occidentaux. Il condamne sur un pied d’égalité les violences causées par les autorités et par les opposants.
Dans le même temps, le leader du Conseil national syrien, Burhan Ghalioun, cité par Le Monde, envisage de demander aux pays arabes “un usage de la force d’une manière limitée et dans des zones précises si le régime syrien poursuit sa répression violente”.
Mais pour l’heure, la pression de la communauté internationale s’est limitée aux déclarations et aux sanctions économiques, “qui commencent à avoir une incidence sur le régime”, selon Agnès Levallois.
Ce qui coince
"La seule issue possible semble être de prendre au sérieux la résolution russe à l'ONU et de s'en servir comme point de départ, estime Agnès Levallois. Mais cela ne s’annonce pas simple, car le projet russe a été balayé d’un revers de main par la France”, qui réclame une résolution ferme et soupçonne Moscou, proche de Damas, de vouloir gagner du temps. Les Etats-Unis ont pour leur part mis en garde Bachar Al-Assad contre de “nouvelles mesures” internationales s’il persistait à “violer de façon flagrante” ses engagements.
“Aucun pays ne veut pour l’instant se mettre en première ligne d’une intervention militaire, même pour la mise en place d’un convoi humanitaire, relève Agnès Levallois. Après le déplacement d’Alain Juppé à Istanbul en novembre, on aurait pu envisager un travail commun de la France et de la Turquie, qui sont en pointe dans le dossier. Mais les tensions entre les deux pays nous privent de cette solution.”
A terme, 150 observateurs sont attendus en Syrie. Ils ne sont que sept ce jeudi soir.
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