Syrie : le défi des observateurs, "c'est de pouvoir travailler librement"
Didier Billion, directeur des publications à l'Institut de relations internationales et stratégiques, analyse les enjeux de la mission d'observation de l'ONU, qui a commencé son déploiement lundi en Syrie.
En Syrie, les premiers observateurs des Nations unies ont commencé à se déployer lundi 16 avril. Ils sont notamment chargés de constater la cessation des hostilités alors que des bombardements touchaient Homs dans la soirée. Didier Billion, directeur des publications à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), analyse les enjeux de cette mission.
FTVi : Qu'est-ce qu'un observateur ?
Didier Billion : Quelqu'un qui, sous mandat de l’ONU, est missionné pour aller dans un maximum d’endroits. Il peut y avoir des militaires - c’est souvent le cas dans une zone de conflit, car ils ont une formation et les bons réflexes pour voir l’évolution stratégique militaire du conflit. Mais en général, vous avez aussi des diplomates, des experts, éventuellement des responsables humanitaires ou des universitaires, pour avoir une diversité de points de vues.
Quel est l'enjeu de cette mission d'observation ?
La question est de savoir si les observateurs auront les coudées franches. Ou si, comme c’est déjà arrivé il y a quelques mois avec les premiers observateurs sous mandat de la Ligue arabe, ils vont être surveillés et empêchés d’accomplir leur travail. S'ils sont pris en charge de A à Z par le régime, alors ce ne sera plus une mission impartiale. Dans les jours à venir, le défi des observateurs est donc de pouvoir agir librement et remplir la mission dont ils ont été chargés par l’ONU.
Le fait qu'il s'agisse d'un mandat des Nations unies change-t-il la donne, après la précédente mission de la Ligue arabe ?
Ce n’est pas tant le titre, c’est surtout que cette première mission a été un fiasco total. D'abord, parce que le régime syrien n’a pas laissé les observateurs se déployer librement. On sait par exemple que les véhicules étaient prêtés par le gouvernement de Bachar Al-Assad. Dans ces conditions, ils étaient "baladés", au sens littéral du terme. De plus, le chef des observateurs de la Ligue arabe était un général soudanais qui avait commis un certain nombre de forfaitures contre les rebelles du Sud-Soudan, ce qui donnait aussi une indication du peu de crédit qu’on pouvait donner à cette mission.
Aujourd'hui, le contexte est différent. C'est l’ONU. Politiquement, ça n’a pas du tout le même poids. Ça veut dire que les membres du Conseil de sécurité ont voté unanimement la résolution prise samedi 14 avril. En d’autres termes, les Russes et les Chinois ont accepté qu’elle existe [ils se sont opposés aux précédents projets de résolution]. En ce sens, cette mission est beaucoup plus solide.
Quelle serait une mission d'observation réussie ?
Pouvoir aller là où ils ont prévu de se rendre. Si, par exemple, le régime syrien expliquait qu’il ne peut pas laisser les observateurs se déployer dans certains endroits au nom de leur sécurité, on pourrait dire que la mission ne part pas sur de bonnes bases. La deuxième chose, c’est qu’ils puissent examiner la situation concrète, voir le dispositif militaire mis en place par les rebelles et par le régime. Et qu’ils puissent aussi discuter avec les acteurs du conflit.
Si ces deux conditions sont réunies, alors ils sont en situation de faire un rapport d’observation digne de ce nom et leur mission aura servi à quelque chose. En fonction de leurs conclusions, l'ONU pourra tirer les siennes et adopter une nouvelle résolution, par exemple, ou bien initier un processus de pourparlers entre les différentes parties.
Quelle est la stratégie de l'ONU ?
D'arrêter la violence ! Ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Depuis plus d’un an, le régime syrien reste sourd à toutes les pressions des Nations unies, parce que les vetos successifs de la Russie et de la Chine lui ont donné une marge de manœuvre réelle. Et la situation s’aggrave de jour en jour. Mais d'après les informations que nous avons, le niveau d’affrontement a singulièrement baissé d’intensité depuis jeudi 12 avril, jour de l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu.
Le deuxième point positif, c’est le déploiement espéré des observateurs. On comprend bien que l’ONU ne peut pas faire la pluie et le beau temps en Syrie. Mais elle avance. C’est le produit de l’expérience diplomatique de son émissaire, Kofi Annan, qui a quand même débloqué la situation. La stratégie graduelle de l’ONU sera-t-elle couronnée de succès ? Je n’en sais rien. Mais elle a au moins contribué, avec toutes les limites de l’exercice, à changer une partie des paramètres de la situation.
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