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Syrie : pourquoi la bataille d'Alep est-elle si importante ?

Cette ville du nord de la Syrie est sous un déluge de feu des forces aériennes russes et syriennes depuis plusieurs jours. Les médecins sur place décrivent une situation critique. Franceinfo explique les raisons de cet acharnement.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Dans une rue d'Alep (Syrie), le 24 septembre 2016. (IBRAHIM EBU LEYS / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les Nations unies y évoquent des "crimes de guerre" et "la plus grave catastrophe jamais vue en Syrie". La ville d'Alep est toujours sous le feu nourri des forces aériennes russes et syriennes, jeudi 29 septembre. La veille, les deux principaux hôpitaux de la ville ont été bombardés. "Je pense que c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité qu'il y a une vraie volonté de détruire les hôpitaux de cette façon-là"explique sur franceinfo Oubaida Al Moufti, vice-président de l’Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM).

Depuis plusieurs semaines, Alep est au cœur de toutes les discussions diplomatiques et la cible principale des manœuvres militaires. Franceinfo vous explique pourquoi la bataille d'Alep représente un enjeu majeur.

Parce qu'Alep est la 2e ville du pays

Au niveau démographique, elle était la cité la plus importante de Syrie avec 2,9 millions d'habitants intra-muros, quand Damas n'en compte que 1,5 million. L'agglomération de la capitale est cependant plus développée avec 5 millions d'habitants.

Alep était également l'un des poumons économiques du pays, porté par une forte activité industrielle. "C'est la capitale industrielle de Syrie et la principale plaque tournante pour le commerce agricole", expliquait Jihad Yazigi, rédacteur en chef du bulletin économique en ligne The Syria Report, cité par Le Monde, en 2012.

Avant le début du conflit, la zone industrielle de la ville appelée Cheikh Najjar, espérait même devenir la plus grande du Moyen-Orient.

Parce que la ville est un haut-lieu historique

"Alep est classée au patrimoine mondial de l'humanité car c'est l’une des plus anciennes citées au monde. Elle était déjà habitée en 5 000 avant Jésus-Christ si l'on en croit des tablettes cunéiformes, la première forme d'écriture de l'humanité", a souligné franceinfo, en mai.

La ville était une importante destination touristique où l'on se pressait pour admirer, entre autres, la citadelle du XIIIe siècle, la Grande Mosquée du XIIe siècle, ainsi que les influences des différentes populations qui l'ont dominée : "Des Hittites, des Assyriens, des Arabes, des Mongols, des Mamelouks et des Ottomans", énumère l'Unesco.

Le pont qui mène à la Citadelle d'Alep (Syrie), en 1997. (FELIPE J. ALCOCEBA / BILDERBERG / AFP)

Après cinq ans de conflit, la ville est méconnaissable, comme l'a constaté une équipe de France 2 qui s'est rendue dans le quartier historique, en janvier. La mosquée a notamment perdu son dôme et le vieux souk a été dévasté.

Mais même en ruines, difficile d'imaginer Bachar Al-Assad laisser ce joyau historique aux mains des rebelles ou d'autres factions.

Parce que sa situation géographique est stratégique

La ville, située dans le nord-est de la Syrie, "est la voie de passage la plus directe de la Méditerranée vers la Mésopotamie", remarque La Croix.

Concrètement, elle est un carrefour routier et ferroviaire de toute la région puisqu'elle se trouve à équidistance de l’Euphrate et de la côte méditerranéenne, et à seulement 45 km de la Turquie, pays par lequel s'approvisionnent les rebelles.

Parce que Bachar Al-Assad et les rebelles ont besoin d'Alep pour exister

Depuis 2012, la ville est divisée entre quartiers sous le contrôle du régime, à l'Ouest, et quartiers aux mains des rebelles, à l'Est.

"C’est en gardant le contrôle d’Alep que le pouvoir de Damas peut entretenir la prétention d’être légitime. Cela permet à Bachar Al-Assad de donner l’illusion de ne pas seulement régner sur une petite partie du territoire", estime auprès de LCI Thomas Pierret, maître de conférences en islam contemporain à l'université d'Édimbourg.

La ville est tout aussi importante pour les rebelles. Elle est d'ailleurs présentée comme la capitale de la révolte. "C’est le fait de contrôler la moitié de cette ville, la seconde du pays, qui leur a permis de prétendre à être autre chose qu’une révolte rurale et périphérique", explique également Thomas Pierret.

Le régime de Damas fait face à une forte résistance des rebelles et doit réaffirmer son autorité car il ne contrôle plus que 30% ou 40% du territoire syrien original, indique à franceinfo Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient, et chargée de cours à Sciences Po.

Si l'armée de Bachar Al-Assad arrivait à reprendre Alep, cela voudrait dire qu'elle est en train de gagner. Et cela serait une victoire car elle n'a pas enregistré de succès depuis des mois et des mois.

Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient

à franceinfo

Autrement dit, si les forces loyales à Bachar Al-Assad venaient à simposer à Alep, cela sonnerait le glas de la rébellion syrienne, déjà affaiblie par la montée en puissance des groupes jihadistes.

C'est pour cette raison que chaque percée, chaque avancée, chaque recul des uns et des autres est scruté avec attention. Les forces russes et les troupes du régime de Damas tentent d'assiéger la ville. Pour y parvenir, ils cherchent à bloquer les routes qui permettent aux rebelles de s'approvisionner en Turquie. 

Parce que la Russie y joue sa crédibilité

"Lorsque l'on parle de bataille d'Alep, on parle très peu de Bachar Al-Assad. On parle des combats, on parle de la Russie, on parle de l'Iran mais très peu du président syrien parce qu'il n'est absolument pas en capacité de reprendre la ville, commente Agnès Levallois. Si Bachar Al-Assad a l'espoir de remettre la main dessus, c'est parce que les Russes ont décidé de mettre tout leur poids dans la balance pour que cette ville retourne dans son escarcelle."

D'un point de vue plus global, "les Américains ont complètement délégué la gestion de la crise syrienne aux Russes, estime Agnès Levallois. Il y a de l'agitation diplomatique parce que les Américains ne peuvent pas dire clairement 'on ne s'en occupe pas, on s'en détourne et on laisse faire n'importe quoi'. Mais on s'aperçoit à chaque fois que les Américains délaissent la gestion aux Russes. Donc ils jouent leur crédibilité, leur volonté de montrer qu'ils sont la nouvelle puissance régionale au Moyen-Orient, que ce ne sont plus les Américains qui donnent le 'la'." 

C'est une question vitale pour les Russes de montrer qu'ils sont maintenant les maîtres du jeu en Syrie. Ils veulent dicter la poursuite des combats et dicter les conditions d'une sortie de crise lorsqu'ils auront décidé que la sortie de crise est une option envisageable.

Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient

à franceinfo

En attendant, la bataille d'Alep n'est pas terminée. Et elle risque de faire encore beaucoup de morts car, comme l'a résumé en août (en anglais) Charles Lister, spécialiste de la Syrie et chercheur auprès du Middle East Institute, "elle est sans doute la plus symbolique et la plus stratégique des batailles".

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