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Brexit: un grand saut dans l’inconnu, le calme avant la tempête?
Theresa May déclenchera le Brexit le 29 mars 2017. La grande négociation du divorce avec l’Union Européenne va pouvoir commencer mais le scénario est loin d’être écrit: c’est la première fois qu’un pays quitte l’UE. Theresa May a annoncé qu’elle préférait l’absence d’accord à un mauvais accord. Un «Brexit dur» serait pourtant très préjudiciable au Royaume-Uni.
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La possibilité d’un Brexit sans accord avec Bruxelles est désormais clairement envisagée par Theresa May et le Parlement britannique.
«Nous ne nous laisserons pas intimider par les menaces», a affirmé en réponse le président du Conseil européen, Donald Tusk. «L'absence d'accord serait mauvais pour tout le monde, mais par-dessus tout pour le Royaume-Uni parce qu'il laisserait en suspens un grand nombre de questions», a prévenu Donald Tusk.
Dure négociation en perspective
La première pierre d’achoppement concerne les quelque 60 milliards d’euros que le Royaume-Uni devra verser à l’Union européenne pour ses engagements passés dans les différents programmes européens (recherche, Erasmus, PAC…). Le rapport de la Chambre des Lords estime «qu’il est tout à fait envisageable que les Britanniques n’aient rien à payer à l’Union européenne. Aucune règle ni arbitrage possible n’est en vu, si ce n’est dans le cadre de la négociation.» Londres entend bien utiliser cette créance comme un élément de la négociation.
Les grandes manœuvres ne font que commencer. Mais l’absence d’accord serait préjudiciable à l’économie britannique. Pour la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes (rapport du 10 mars 2017), «si les entreprises britanniques veulent conserver l’accès le plus large possible au marché unique européen, cela suppose le respect des normes fixées par Bruxelles». «Les autorisations européennes obligatoires pour certains traitements comme le diabète, le cancer, le sida, des maladies rares… ne concernent que les entreprises établies dans l'UE. Si les entreprises britanniques veulent conserver leurs autorisations, elles devront s'établir dans un Etat membre.»
Il existe actuellement pas moins de 33 organismes de réglementation de l'UE couvrant des secteurs aussi variés que l'aviation, la pêche, la salubrité des aliments, les médicaments, les services financiers. Dans tous ces domaines, le Royaume-Uni devra se soumettre aux règles européennes s'il veut continuer à vendre ses produits dans l’UE.
Sans parler de l’accès des banques britanniques au Vieux continent, une nécessité puisque la City ne sera bientôt plus la place financière de l’euro.
Faute d’accord, le Royaume-Uni devra commercer selon les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), avec d’importants droits de douane. Une hypothèse qui inquiète les milieux économiques britanniques.
Modèle norvégien ou Suisse
Le Royaume-Uni pourrait adopter le statut de la Norvège ou de l’Islande. Ces deux pays, associés à l’UE, ont accès au marché intérieur européen, mais conservent leur souveraineté en matière de politique étrangère, de justice, d'agriculture et de pêche. Les partisans du Brexit refusent cette option car elle ne permet pas le contrôle des flux migratoires européens vers le Royaume-Uni. Les Britanniques ne veulent accueillir que ceux qui sont utiles à leur économie, pourtant le pays affiche actuellement un chômage d'à peine 4,7%.
Il y a aussi l'option suisse. Membre de l'Association européenne de libre-échange (AELE), la Confédération helvétique a noué plus d'une centaine de traités bilatéraux avec l'UE. Mais reproduire de tels accords entre Londres et Bruxelles prendrait de longues années. Le pays des banques accepte toutefois une certaine liberté de circulation des travailleurs et des étudiants (Erasmus). (Les universités britanniques s’inquiètent également de la restriction de visas pour les étudiants étrangers).
Les institutions financières suisses ne peuvent en revanche exporter leurs services dans l'Union. Toutes les grandes banques helvétiques, Crédit Suisse, UBS... ont installé leur siège européen dans la City. C'est depuis Londres qu'elles commercialisent leurs services dans le reste de l'Union européenne.
C’est pourquoi Bruxelles a une carte maîtresse dans son jeu: l’exclusion de la City du marché unique, en retirant à la place financière londonienne le passeport européen.
D’ailleurs, les annonces de déménagement se multiplient dans la perspective de la sortie du Royaume-Uni. Après HSBC et Goldman Sachs, l’assureur AIG a annoncé cette semaine vouloir créer une filiale au Luxembourg.
Une chance pour L''Europe?
Chacun agite la menace d’un Brexit dur. Mais les agriculteurs et les industriels européens seront également pénalisés par des droits de douane trop élevés. N’oublions pas que les constructeurs automobiles installés au Royaume-Uni sont aussi français: Nissan (Renault) et maintenant Opel (Peugeot).
En réalité, rien n’est décidé. Pour l’instant, chacun montre ses muscles avant de discuter sérieusement. Theresa May agite la menace de transformer son pays en paradis fiscal si le Royaume-Uni n’obtient pas ce qu’il veut.
Le problème, c’est que le rapport de force semble plutôt favorable à Bruxelles et aux 27 pays européens. Il ne faut pas trop compter sur une division des Européens, céder aux Britanniques renforcerait les tendances centrifuges en Europe.
Finalement, le Brexit va mettre en lumière les avantages (et inconvénients) de l’appartenance à l’UE. Le Brexit va servir d’arme de dissuasion, car le Royaume-Uni en sortira fortement affaibli, surtout si l’Ecosse prend son indépendance et adopte l'euro.
Isolé, le Royaume-Uni va perdre de son intérêt stratégique, militaire et économique. L’Allemagne et la France, en position de force, n’auront alors plus d’excuse pour ne pas faire avancer l’Europe sociale et fiscale. Paradoxalement, si les dirigeants européens prennent les bonnes décisions, l’Europe pourrait finalement sortir renforcée du Brexit.
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