Elections législatives au Royaume-Uni : l'article à lire sur le scrutin qui pourrait signer le retour au pouvoir des travaillistes
Vers une nouvelle ère au Royaume-Uni ? Le Premier ministre conservateur Rishi Sunak a annoncé la tenue d'élections législatives anticipées, prévues jeudi 4 juillet. Après quatorze ans de règne, les Tories semblent à bout de souffle et incapables d'enrayer leur chute de popularité dans les sondages. En face, le Labour fait figure de favori. Son chef de file, Keir Starmer, ancien avocat spécialisé dans les droits humains, apparaît comme le probable futur chef de gouvernement. Franceinfo fait le point.
Pourquoi le scrutin est-il organisé maintenant ?
Les élections législatives – ou élections générales – doivent se tenir dans les cinq années suivant le premier jour de siège d'une législature. Les dernières élections remontant à décembre 2019, le prochain scrutin ne pouvait avoir lieu après le 28 janvier 2025, rappelle le think tank UK in a Changing Europe (lien PDF). Alors qu'un vote était attendu pour la fin de l'année, Rishi Sunak a pris tout le monde de court en annonçant des élections anticipées le 4 juillet. La pression sur le chef du gouvernement s'était accentuée face aux mauvais sondages et aux multiples appels de l'opposition à convoquer des élections.
"Comme la situation économique est légèrement meilleure, que le taux d'inflation a baissé, il s'est sans doute dit que c'était un bon moment pour lui", suppose Agnès Alexandre-Collier, professeure de civilisation britannique à l'université de Bourgogne. D'autant plus que "de mauvaises nouvelles concernant l'économie pourraient arriver cet été ou à l'automne, rendant la campagne des conservateurs encore plus difficile par la suite", ajoute Paula Surridge, professeure de sociologie politique à l'université de Bristol.
Comment les élections se déroulent-elles ?
Le Royaume-Uni est divisé en 650 circonscriptions correspondant chacune à un siège à la Chambre des communes. Le scrutin est uninominal majoritaire à un tour. Chaque électeur vote pour un candidat parmi une liste de noms. Celui qui obtient le plus de voix est élu, même avec seulement 20% des suffrages.
Par conséquent, le nombre de sièges gagnés par chaque parti peut être disproportionné par rapport aux suffrages totaux obtenus. En 2015, le Parti national écossais (SNP) a ainsi remporté 56 des 59 sièges mis en jeu en Ecosse, avec seulement 50% des suffrages. Ce système, aussi appelé "First past the post" ("Le premier qui franchit la ligne d'arrivée a gagné"), tend ainsi à déformer la représentation politique nationale en favorisant les grands partis implantés à l'échelle locale, selon l'Electoral Reform Society, une association qui plaide pour une réforme du mode de scrutin.
Quel est le bilan de Rishi Sunak ?
Désigné en octobre 2022 pour remplacer en catastrophe l'ancienne Première ministre conservatrice Liz Truss, qui n'a gouverné que 45 jours, Rishi Sunak devait incarner le retour au sérieux. Ancien banquier d'affaires et ministre des Finances, il s'est attelé à redorer l'image des conservateurs, après les errements économiques de sa prédécesseure et le scandale des soirées illégales de Boris Johnson durant la pandémie de Covid-19.
Au niveau international, le Premier ministre a su restaurer des liens avec Paris et l'Union européenne, après une période de relatif gel lié au Brexit. Il a trouvé une solution à l'impasse commerciale entre l'Irlande du Nord et Bruxelles. Mais il est surtout décrié pour son très controversé projet de loi permettant l'expulsion vers le Rwanda de demandeurs d'asile entrés illégalement au Royaume-Uni.
En interne, le pays traverse de multiples crises. Depuis 2022, l'inflation a fait flamber les factures d'énergie, les prix de l'alimentation, les crédits immobiliers et les loyers. Cette augmentation générale des prix a toutefois été ramenée de 11% fin 2022 à 2% en mai, mais le FMI a mis en garde sur les "choix difficiles" à venir pour stabiliser cette conjoncture. Le système public de santé est à bout de souffle. Les soignants se sont mis en grève à de nombreuses reprises. Concernant la crise climatique, Rishi Sunak s'est attiré la colère des écologistes en repoussant notamment l'interdiction de vente des voitures essence et diesel de 2030 à 2035.
Quelles sont les deux personnalités à surveiller ?
• Keir Starmer, le chef modéré du Labour. A 61 ans, le chef de file des travaillistes a été directeur des poursuites publiques, l'équivalent d'un procureur général. D'origine modeste, cet ancien avocat spécialiste des droits humains est entré tardivement en politique, en devenant député du Labour en 2015, relate Le Monde. En 2020, il a remplacé Jeremy Corbyn à la tête du Labour et a instauré une "tolérance zéro" envers l'antisémitisme dont était accusé le parti. "C'est un tenant de la frange blairiste [de l'ancien Premier ministre Tony Blair] du parti, observe Agnès Alexandre-Collier. Il a fait le lien entre le New Labour et la gauche qui a soutenu Corbyn. Mais ça ne joue pas en sa faveur, car l'atout d'un leader au Royaume-Uni est de se positionner clairement dans un camp."
Keir Starmer a présenté des mesures centristes au nom du "sérieux", marquées par la rigueur budgétaire, la fermeté sur la sécurité et l'immigration. Il a toutefois promis de retirer la loi controversée sur l'expulsion de migrants illégaux vers le Rwanda s'il était Premier ministre, cite la BBC. Il a aussi promis de supprimer les lois limitant le droit de grève, mais n'entend pas augmenter les prestations sociales. Selon l'agrégateur de sondages de la BBC, au 24 juin, Keir Starmer était crédité de 41% des intentions de vote.
• Nigel Farage, le "brexiter", candidat surprise. Ce nationaliste proche de Donald Trump s'est lancé dans la campagne des législatives le 3 juin, après avoir assuré qu'il ne serait pas candidat. Agé de 60 ans, il entend prendre la tête d'une "armée du peuple contre l'establishment". Député européen pendant plus de vingt ans, il se présente cette fois-ci sous l'étiquette du parti Reform UK (ancien Brexit Party, qu'il a cofondé). Un parti "populiste de droite radicale. Ses dirigeants se montrent durs vis-à-vis de la criminalité, ils sont libertariens puisqu'ils veulent moins d'Etat et d'impôts. Ce sont des 'ultra-thatchériens'", décrit auprès de La Croix Tim Bale, professeur de sciences politiques à l'université londonienne Queen Mary. D'après l'agrégateur de sondages de la BBC, au 24 juin, 17% des électeurs avaient l'intention de voter Reform UK.
Quelles sont les principales mesures des partis en campagne ?
Les travaillistes ont limité leurs propositions. Leur slogan de campagne se limite à un sobre "Change" ("Changement") et leur programme se divise en cinq parties, dont "reconstruire la Grande-Bretagne", "remettre le système de santé sur pieds" ou "reprendre nos rues". Le Labour propose notamment de réduire le temps d'attente à l'hôpital public en augmentant le nombre de soignants, ou encore de recruter 13 000 policiers supplémentaires.
Alors que les conservateurs avaient tout misé sur "Get Brexit Done" ("finaliser le Brexit") en 2019, "il semble que pour le moment, ils ne proposent que des mesures pour séduire les électeurs plus âgés, tentés par Reform UK", observe Paula Surridge. Rishi Sunak a notamment promis la "sécurité financière" aux électeurs, avec de nouvelles baisses d'impôts.
De son côté, Nigel Farage a annoncé le gel de l'immigration "non essentielle", la sortie du Royaume-Uni de la Convention européenne des droits de l'homme ou encore abandon de l'objectif de neutralité carbone.
Pourquoi les conservateurs sont-ils donnés perdants ?
A deux semaines des élections, les Tories affichaient en moyenne un retard de plus de vingt points dans les sondages face au Labour. Le 24 juin, la BBC donnait ainsi le Labour vainqueur avec 41% des voix, contre 20% pour les conservateurs. Cet écart s'explique notamment par l'héritage des scandales de Boris Johnson. "Cela a sapé la popularité et la confiance dans le parti", explique Paula Surridge.
La crise économique provoquée par Liz Truss, qui avait promis d'importantes baisses d'impôts sans plan de financement adéquat, "a ruiné le sérieux du parti concernant l'économie", reprend la chercheuse. Or, les électeurs "auraient pu pardonner aux conservateurs si leurs factures avaient baissé ou s'ils avaient pu accéder à des prêts abordables", poursuit-elle.
De plus, il y a une forme "d'apathie électorale" et de "cynisme" dans le pays, observe la professeure Agnès Alexandre-Collier. Selon un sondage mené par le think tank More in Common le 30 mai, la perspective d'une victoire des conservateurs rend les sondés à peu près aussi mécontents que "s'il pleuvait ce week-end", mais pas autant que "s'ils se cognaient l'orteil ou s'ils se faisaient voler leur téléphone".
The prospect of a Conservative victory on the other hand would make people on average about as unhappy as if it rains this weekend, but not quite as unhappy as if they were to stub their toe, or if their phone were to get stolen. pic.twitter.com/WY4fVuiuOy
— Luke Tryl (@LukeTryl) May 30, 2024
"La question est désormais de savoir quelle sera l'ampleur de la défaite des Tories : s'ils seront totalement éliminés ou s'ils pourront former une force stable" à la Chambre des communes, poursuit Agnès Alexandre-Collier.
Les travaillistes peuvent-ils revenir au pouvoir ?
Tous les sondages "montrent que le Labour a une avance suffisamment large pour former une majorité et un gouvernement", explique Paula Surridge. Toutefois,"il est possible que les sondeurs n'aient pas vu juste en termes de répartition exacte des voix". Selon des projections de YouGov publiées le 3 juin, le Parti travailliste pourrait remporter la plus grande victoire de son histoire, avec 422 des 650 sièges.
Le Labour a également travaillé pour attirer l'électorat le plus large possible. Durant toute la campagne, Keir Starmer a été "extrêmement prudent", analyse Karl Pike, maître de conférences à l'université Queen Mary de Londres. "Il a présenté un projet politique très modéré pour rassurer le plus grand nombre d'électeurs." Les Britanniques ont "envie d'alternance", reprend le chercheur, la seule question étant de savoir "quel type de Premier ministre pourrait donc être Keir Starmer".
Je n'ai pas tout suivi, vous me faites un résumé ?
Le Premier ministre conservateur Rishi Sunak a appelé à des élections législatives anticipées le 4 juillet prochain. Après quatorze ans au pouvoir, les Tories sont très impopulaires dans le pays en raison de l'inflation, de la crise du système de santé public, des scandales du "Partygate" durant l'ère Boris Johnson, ou encore du durcissement de la politique migratoire. "Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, certains observateurs pensaient que Rishi Sunak arriverait à faire remonter la popularité du parti, mais c'est l'inverse qui s'est produit", observe Paula Surridge, professeure de sociologie politique à l'université de Bristol.
En face, les travaillistes sont donnés à plus de vingt points d'avance dans tous les sondages. Leur chef de file, Keir Starmer, ancien avocat des droits humains, est pressenti pour devenir le futur Premier ministre du pays. Désireux de rassembler le plus large électorat possible, il a développé un programme très centriste. Arrivé tard dans la campagne, l'ancien "brexiter" et populiste Nigel Farage pourrait toutefois grappiller des voix avec sa formation d'extrême droite Reform UK.
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