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Pandas, whisky et pétrole : le débat sur l'indépendance de l'Ecosse divise les Britanniques

Près d'un mois avant le référendum sur l'avenir de l'Ecosse au sein du Royaume-Uni, la nation se déchire entre partisans du "oui" et du "non".

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un joueur de cornemuse participe à la cérémonie de clôture des Jeux du Commonwealth, le 3 août 2014, à Glasgow (Ecosse). (ANDY BUCHANAN / AFP)

"L'Ecosse doit-elle être un pays indépendant ?" Le 18 septembre, quatre millions d'Ecossais seront appelés aux urnes pour répondre à cette question, qui doit décider de l'avenir de leur nation au sein du Royaume-Uni. Trois siècles après l'Acte d'union de 1707, qui organisa la fusion des royaumes d'Ecosse et d'Angleterre, ce référendum représente aussi bien le rêve d'une Ecosse libérée que la crainte d'une séparation "perdant-perdant" entre l'Ecosse et le Royaume-Uni.

Mardi 5 août, dans un climat électrique, la campagne s'est accélérée, avec la diffusion d'un premier débat télévisé entre le Premier ministre écossais, Alex Salmond, partisan du "oui", et l'ancien ministre britannique des Finances Alistair Darling, leader du camp du "non". Ce débat, "le plus important de l'histoire de la télévision écossaise" selon son modérateur, a permis de conforter l'avance dans les sondages des opposants à l'indépendance, qui n'ont toutefois pas fini de trembler.

Bientôt l'un des pays les plus riches au monde ?

Devant les caméras, Alex Salmond, par ailleurs leader du Scottish National Party, a affirmé qu'une Ecosse indépendante serait mieux gérée qu'elle ne l'est aujourd'hui sous le Premier ministre conservateur David Cameron. "En devenant indépendants, nous aurons le gouvernement pour lequel nous aurons voté", a-t-il dit, soulignant qu'il y a "plus de pandas au zoo d'Edimbourg [deux] que de députés conservateurs en Ecosse [un]"

Tian Tian, l'une des deux pandas géants du zoo d'Edimbourg, le 9 août 2013. (ANDY BUCHANAN / AFP)

Alex Salmond a surtout fait valoir que l'indépendance placerait l'Ecosse parmi les nations les plus riches au monde, notamment grâce au contrôle d'une partie des immenses réserves britanniques de pétrole de la mer du Nord. Son camp évoque un PIB par habitant qui atteindrait 31 130 euros par an en Ecosse, contre 26 340 euros dans le reste du Royaume-Uni, selon Le Monde.

Les partisans du "oui" à l'indépendance ont d'autres arguments dans leur sacoche de kilt. Les rockeurs du groupe écossais The Proclaimers mettent en avant le potentiel des énergies renouvelables en Ecosse, à commencer par l'énergie houlomotrice des vagues, tandis que la chanteuse écossaise Annie Lennox évoque ses doux rêves d'un pays à la pointe de l'écologie. L'acteur Sean Connery estime, lui, que l'indépendance dynamiserait le secteur de la culture au pays des Highlands.

Panique dans les distilleries

De nombreux entrepreneurs craignent, en revanche, de subir le contrecoup d'une indépendance de l'Ecosse, à tel point que le gouvernement britannique a dû appeler les investisseurs anglais à ne pas céder à la tentation de retirer leur argent des entreprises écossaises, relate The Telegraph (en anglais). L'inquiétude n'épargne pas l'industrie écossaise du whisky, qui a mis en garde contre les conséquences "dommageables et difficiles à gérer" d'une sortie de l'Ecosse du Royaume-Uni, notamment en matière monétaire et fiscale. D'éminents chercheurs écossais ont aussi pris position contre l'indépendance, redoutant de perdre des millions d'euros de subventions britanniques.

Même levée de boucliers à Londres, où le gouvernement redoute un royaume désuni, amputé d'un membre. "Cela me briserait le cœur de voir notre Royaume-Uni disloqué", a lancé David Cameron, début juillet, jouant sur le registre affectif déjà utilisé dans la campagne mélodramatique "Let's Stay Together" ("Restons ensemble").

L'Ecosse a une importance stratégique pour Londres, car elle abrite de nombreuses installations militaires. Parmi elles, la base de sous-marins nucléaires britanniques de Faslane, et leur annexe de stockage de missiles. La construction d'une base de remplacement hors d'Ecosse coûterait aux Britanniques des milliards d'euros, avec un chantier de plusieurs années, sans compter le périlleux déménagement de l'arsenal.

Sous-marins nucléaires et poissons d'avril

Habitante d'Edimbourg et partisane du "non", l'Anglaise J. K. Rowling peut témoigner du climat passionné entourant le référendum. Pour avoir versé un million de livres (1,26 million d'euros) à la campagne "Better Together", l'auteure de la célèbre saga de romans Harry Potter a subi les foudres d'internautes écossais souhaitant l'indépendance, qui l'ont copieusement insultée, rapporte The Telegraph (en anglais). Mêmes déboires pour le chanteur anglais David Bowie, lui aussi insulté et invité à "retourner sur Mars" après avoir défendu le statu quo.

Flairant le piège de la récupération, surtout après avoir plaisanté sur le fait de soutenir "n'importe qui sauf l'Angleterre" au Mondial de foot en 2006, le tennisman écossais Andy Murray a refusé de monter au filet sur le sujet. En juin, le vainqueur de Wimbledon 2013 a simplement dit n'avoir "pas apprécié lorsque [Alex Salmond] a brandi le drapeau écossais" dans les tribunes, le jour de sa victoire sur le gazon londonien.

David Cameron et Alex Salmond encouragent Andy Murray, le 7 juillet 2013, lors de sa finale face à Novak Djokovic, à Wimbledon (Royaume-Uni). (REUTERS)

Dépassant largement le mur d'Hadrien, le débat suscite la ferveur de tout le Royaume-Uni et atteint le rang de sujet de l'année dans les rédactions londoniennes. A l'heure d'écrire leurs poissons d'avril, les médias anglais ont ainsi "dévoilé", le 1er avril, le nouveau drapeau britannique (sans le fond bleu écossais), la nouvelle monnaie écossaise à la gloire d'Alex Salmond ou encore le projet de changement du sens de circulation routière (qui poserait problème à la frontière), relève le blog du bureau de France 2 à Londres.

Fish and chips en Lego

Qu'est-ce qui fera pencher la balance ? Sans doute l'économie, avec l'enjeu central du pouvoir d'achat (même l'Ecossais Sir Alex Ferguson le dit). Les deux camps affirment que les Ecossais seront plus riches s'ils choisissent le bon bulletin à glisser dans l'urne. "Nous avons calculé que chaque habitant gagnerait 1 000 livres (1 260 euros) de plus par an" en cas de victoire du "oui", assure Alex Salmond. "Chaque habitant pourra compter sur un bonus de 1 400 livres (1 720 euros) par an" si le "non" l'emporte, répond le secrétaire au Trésor britannique, Danny Alexander.

Dans cette bataille de chiffres, le gouvernement britannique a été rappelé à l'ordre par le fabricant de jouets Lego. Londres a utilisé des petites figurines jaunes pour une campagne de communication, montrant ce qu'il est possible d'acheter avec 1 400 livres : 280 hot-dogs au festival d'Edimbourg, 127 allers-retours en bus entre Edimbourg et Glasgow ou encore un fish and chips en famille chaque jour pendant dix semaines, indique The Guardian (en anglais). La société danoise, soucieuse de rester neutre, a finalement obtenu le retrait de cette campagne.

Côté indépendantiste, on a fait de la faible espérance de vie des Ecossais (jusqu'à six ans de moins qu'à Londres) un atout, à partir d'un raisonnement simple mais controversé : les "Scots" cotisent comme les autres Britanniques mais profitent moins longtemps de leur retraite, donc ils perdent au change. Les partisans de "Yes Scotland" proposent donc de revoir le niveau de retraite des Ecossais à la hausse, explique The Scotsman (en anglais)

"Le meilleur des deux mondes"

Quel que soit le verdict des urnes, l'Ecosse est assurée de s'éloigner un peu plus de Londres. Tandis qu'Alex Salmond se veut rassurant en promettant de garder la livre sterling et la monarchie dans une Ecosse indépendante, le camp du "non" a aussi fait des concessions. En échange d'un maintien dans le Royaume-Uni, les unionistes proposent aux Ecossais "le meilleur des deux mondes", avec une autonomie renforcée. Le Parlement d'Edimbourg, déjà compétent en matière de santé, d'environnement, d'éducation, de logement, verrait ainsi ses pouvoirs fiscaux musclés, notamment en matière d'impôt sur le revenu. Une première victoire pour Alex Salmond.

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