Bombes nucléaires : les Îles Marshall défient les grandes puissances
C'est un peu l'équivalent de David contre Goliath dans le droit international. D’un côté, les Îles Marshall, 181 kilomètres carrés, 70000 habitants. De l’autre, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, la Grande-Bretagne, Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du nord. Le 24 avril 2014, l’archipel du Pacifique a déposé une série de plaintes devant la Cour internationale de justice accusant tous ces pays de manquer à leurs obligations en matière de désarmement nucléaire.
Un passé chargé
Entre 1946 et 1958, les Etats-Unis ont testé 67 bombes nucléaires sur les Îles Marshall. En 1954, «Castle Bravo» explose sur l’atoll de Bikini. Avec 1000 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima, c’est l’arme la plus puissante jamais utilisée par les Etats-Unis. Son champ d’action trois fois supérieur aux prévisions contamine les atolls habités de Rongelap et Utirik. De nombreux habitants sont atteints par la maladie des radiations, tout comme des soldats américains et japonais dans la zone. Castle Bravo aboutira finalement à l’interdiction des tests atmosphériques, mais les tests sous-marins continueront à Bikini pour 4 ans encore.
Pourtant, les îliens n’ont pas intenté cette action judiciaire pour obtenir des réparations. Les Îles Marshall, indépendantes depuis 1974, continuent de recevoir des compensations financières annuelles de la part des Etats-Unis. Insuffisantes pour couvrir l'ensemble des réparations dues aux habitants, ces subventions sont indispensables à l'économie de l'archipel. Malgré tout, les Marshalls entament cette action au nom du bien commun, sur un principe que leur avocate Laurie Ashton résume par « Si ce n'est pas nous, ce sera qui ? Si ce n'est pas maintenant, ce sera quand ? »
Le traité de non-prolifération en question
Les cinq membres du Conseil de sécurité, Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni, sont tous signataires du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. C’est à ce titre qu’ils sont accusés par les Îles Marshall d’avoir failli à leurs obligations. Le traité prévoit des efforts réguliers pour diminuer la quantité d’armes nucléaires de la part des signataires.
Pourtant, en 2013, les Etats-Unis ont entamé une modernisation de leur arsenal, avec à la clé une augmentation de 11,6% de leurs dépenses consacrées aux bombes nucléaires. A ce jour, les Etats-Unis possèdent plus de 5000 armes nucléaires, la Russie 8500, la France 300, la Chine 240 et le Royaume-Uni 225.
La France et la Russie ont répondu en défendant leurs efforts en faveur du désarmement. La France a fait valoir qu’elle a réduit son armement à 300 armes déployées, sans réserve, et arrêté ses activités d’enrichissement d’uranium à des fins militaires. La Russie a déclaré que l’accusation des Îles Marshall était « sans fondement ». Depuis la Guerre froide, le pays a réduit son arsenal de 75% (45000 têtes à son maximum), bien qu’il reste de loin le premier et le plus puissant au monde.
La Russie et les Etats-Unis sont liés par le traité New START, signé en 2011 par Barack Obama et Dimitri Medvedev. Successeur des traités de désarmement de la Guerre froide, New Start ne comprend toutefois aucune clause de réduction du nombre d’armes nucléaires. Les deux pays se sont en revanche engagés à réduire de moitié leur stock de missiles balistiques d’ici à 2021.
Les quatre autres pays accusés ne sont pas signataires du traité de non-prolifération. L’Inde (depuis 1974), le Pakistan (depuis 1998) et la Corée du Nord (depuis 2006) ont développé des armes nucléaires en dehors des accords internationaux. Les Îles Marshall ont également inclu une plainte contre Israël. Il est très largement considéré que l'état hébreux possède l'arme atomique, mais il ne l'a jamais reconnu et jamais testée. La plainte posée contre ces quatre pays est différente, axée sur le droit international habituel plutôt que sur un traité en particulier.
Les chances d’aboutir
En 1996, une plainte similaire portée par l’Assemblée Générale de l’ONU avait abouti à une jurisprudence de la Cour internationale de justice. La Cour avait conclu qu’aucune disposition des traités ou du droit international de pouvait forcer un pays à renoncer à ses armes nucléaires. En revanche, elle déclarait que les pays possédant des armes atomiques devaient «de bonne foi» chercher à s’en séparer.
C’est ce dernier point sur lequel l’équipe légale des Îles Marshall fonde ses espoirs. Si la Cour Internationale de Justice reconnaît que les pays visés n’ont pas agi «de bonne foi», elle pourrait émettre un jugement qui ferait date dans l’Histoire de la dénucléarisation, même s’il n’aurait aucun effet sur la plupart des pays visés.
Sur les neuf accusés, seuls trois (Grande-Bretagne, Inde et Pakistan) ont accepté de se soumettre de manière systématique à la juridiction de la Cour de la Haye. Si celle-ci estime la plainte recevable, les trois pays devront se présenter devant le tribunal pour défendre leur cas.
Le simple fait d'obtenir une audience pourrait être un succès. En effet, il ne fait aucun doute que la plainte a avant tout une fonction symbolique. En plus d’attirer l’attention sur l’arrêt du désarmement nucléaire depuis la fin de la Guerre froide et le développement de nouvelles armes, cette action rappelle l'archipel à son passé marqué par la bombe. Les effets des tests nucléaires sur la santé des îliens ne sont toujours pas dissipés.
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