Comment la Russie tente d'éviter une intervention des Etats-Unis en Syrie
Alors que les tensions sont au plus haut entre la Russie et les pays occidentaux, Moscou cherche à éviter une intervention militaire contre son allié syrien.
Le ton est monté d'un cran entre Washington et Moscou, alors que le régime de Bachar Al-Assad est accusé d'avoir recouru à des armes chimiques à Douma, en Syrie. "Que la Russie se tienne prête, car [les missiles] arrivent, beaux, nouveaux et intelligents !" a prévenu Donald Trump sur Twitter, mercredi 11 avril, avant que la Maison Blanche ne précise que la décision sur une éventuelle frappe américaine n'avait "pas encore été prise". En attendant, la pression internationale s'accentue et la Russie, alliée du régime, fait tout pour éviter une intervention.
Garder les Etats-Unis à l'extérieur de la Syrie
Alors que plane la menace de possibles frappes occidentales, le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a évoqué une "impasse" et le risque d'une "situation hors de contrôle". Pour autant, Vladimir Poutine tente à tout prix d'éviter le déclenchement d'une intervention militaire des Etats-Unis et de ses alliés en Syrie. "Moscou a un objectif clair, tactique et militaire : garder les puissances étrangères, et notamment les Etats-Unis, à l'extérieur du territoire syrien", analyse pour franceinfo Mathieu Boulègue, chercheur pour le think tank Chatham House. Le chef du Kremlin déploie donc tout un spectre de réponses : militaire, technique et politique, afin de "russifier le traitement diplomatique du dossier".
La Russie a choisi d'appuyer au grand jour le régime de Bachar Al-Assad. Le déploiement de la police militaire russe à Douma, jeudi 12 avril, marque ainsi la fin de la reconquête de la Ghouta orientale par le régime syrien. "Après les bombardements, ces points d'appui au régime syrien de haute intensité se transforment, estime Mathieu Boulègue. La Russie cherche alors à se placer dans une phase de reconstruction et d'équipement."
Le recours à des armes chimiques peut brouiller les cartes pour Moscou. Certes, le concept américain de ligne rouge "s'étiole" avec le temps, car l'usage de ces produits "est prouvé et répété", explique le chercheur.
Pour la Russie, qui veut garder la main sur la situation, ce genre de 'bavure' vient tout de même créer des failles dans son dispositif, car elle cherche à se poser en faiseur de paix.
Mathieu Boulègueà franceinfo
Depuis le départ de la crise, la Russie répond donc que ces accusations sont un "prétexte" des Occidentaux pour lancer une opération militaire contre son allié – "Damas n'a pas de motivation pour utiliser des armes chimiques", assure ainsi une porte-parole de la diplomatie russe.
Jouer la carte de la dissuasion
Par le passé, Moscou a déjà utilisé son droit de veto à douze reprises concernant les affaires syriennes, selon une liste de la chaîne irlandaise RTE (en anglais). A quatre reprises, il s'agissait de bloquer des résolutions ouvrant des enquêtes sur l'utilisation d'armes chimiques dans le pays. Signe des tensions actuelles, Moscou a cette fois invité une équipe de l'OIAC à enquêter sur place, tout en contestant, il est vrai, les modalités réclamées par les Etats-Unis.
La Russie a intérêt à jouer la carte du droit international, afin d'essayer de jouer la montre et de montrer qu'elle n'est pas tout le temps un acteur irrationnel.
Mathieu Boulègueà franceinfo
Mais Moscou peut également abattre la carte de la dissuasion pour tenter de refroidir les ardeurs américaines, en développant notamment sa présence sur le terrain. "On va probablement avoir un renforcement des troupes russes en Syrie, ajoute sur franceinfo Vincent Desportes, professeur à Sciences Po et HEC, et ancien attaché militaire près de l'ambassade de France aux États-Unis. Et si vous en mettez suffisamment, ce qui est possible rapidement, il est bien évident que toute frappe devient impossible."
Artem Studennikov, ministre conseiller de l'ambassade de Russie en France, agite d'ailleurs la menace d'une confrontation directe, au micro de franceinfo. "On va prendre des mesures nécessaires pour préserver la sécurité de nos militaires en Syrie, avertit le diplomate. Nous appelons tout le monde à la retenue, à prendre des positions responsables. Mais effectivement, au moment où vous êtes bombardés, vous pouvez et vous devez réagir."
Pour les Américains ou les Français, il faut donc "absolument éviter de frapper les alliés de Damas, estime sur franceinfo Jean-Marc Tanguy, journaliste spécialiste des questions de défense. C'est une erreur qu'il faut éviter si on ne veut pas rentrer dans une logique de surenchère."
Alexandre Zassipkine, l'ambassadeur de Russie au Liban, a assuré que son pays pourrait non seulement détruire des missiles, mais également les "équipements d'où ils ont été lancés". Y a-t-il un risque réel d'embrasement militaire ? "Nous ne sommes pas dans la même position que lors du pic de la crise des missiles cubains", estime sur ABC (en anglais) Andrey Kortunov, directeur du Russian International Affairs Council, un organe proche du gouvernement. "Mais la situation est aujourd'hui plus dangereuse que jamais depuis l'arrivée de l'administration Trump au pouvoir."
Poursuivre les négociations
La Russie déploie des dispositifs militaires et techniques en Syrie – "des bulles de déni d'accès, explique Mathieu Boulègue. Il s'agit d'un maillage de défense anti-aérienne (S300, par exemple), avec des éléments de guerre électronique et cyber". Selon le chercheur, la Russie ne pourra "empêcher une frappe américaine et encore moins supprimer toute menace de missile". Une frappe américaine représenterait un test important pour les forces russes, qui ont basé une grosse partie de leur stratégie sur ces "bulles".
Quand les Etats-Unis ont frappé la Syrie, Moscou a prétendu que ces bulles n'étaient pas encore en place. En cas de frappe, la Russie pourrait être tentée de répondre mais je ne serais pas étonné qu'elle laisse l'espace ouvert, pour éviter que ses intercepteurs soient mis à l'épreuve. Moscou joue là sa crédibilité militaire.
Mathieu Boulègueà franceinfo
Les discussions restent ouvertes entre les parties. "Les présidents se parlent, les ministres des Affaires étrangères se parlent, les ministères se parlent, explique le diplomate Artem Studennikov. Avec les Américains, c'est un peu plus compliqué, mais le dialogue continue aussi." Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, précise pour sa part que le canal de communication entre les armées russe et américaine, destiné à éviter les incidents en Syrie, est toujours "actif". Ce canal repose notamment sur une ligne téléphonique spéciale et "la ligne est utilisée des deux côtés".
Alors que l'Organisation internationale sur les armes chimiques va se réunir pour discuter de l'attaque chimique présumée de Douma, l'ambassade russe aux Pays-Bas a voulu faire retomber les tensions : "Il est largement temps d'abandonner les discours militaristes que nous entendons de certaines capitales et de revenir à un règlement diplomatique de la situation." Alternant menaces et négociations, Moscou veut éviter toute intrusion occidentale dans son jardin gardé.
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