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Enquête "Cyprus Confidential" : un journaliste allemand a été payé pour promouvoir le Kremlin

L’enquête Cyprus Confidential révèle qu’Hubert Seipel, un journaliste allemand qui a écrit un best-seller et réalisé un documentaire primé sur Vladimir Poutine, a été secrètement rémunéré par un proche du Kremlin.
Article rédigé par Elodie Guéguen, Cellule investigation de Radio France - Scilla Alecci (ICIJ) - Frederik Obermaier, Bastian Obermayer (Paper Trail Media)
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Hubert Seipel, journaliste allemand spécialiste de la Russie a été rémunéré par un proche de Vladimir Poutine. (BEN KING / SHUTTERSTOCK / ICIJ)

Hubert Seipel, 73 ans, auteur et journaliste phare de la télévision allemande, est considéré comme l’un des meilleurs experts européens du régime russe. Il aime se prévaloir de son accès privilégié à Vladimir Poutine, dont il a écrit la biographie. Le journaliste n’hésite d’ailleurs pas à diffuser des images de lui et du président russe chassant le cerf en Sibérie, ou se promenant à l'arrière d'une limousine dans les rues de Moscou. Il déclare avoir rencontré Vladimir Poutine une centaine de fois. Les portraits qu’Hubert Seipel a réalisés du chef du Kremlin lui ont valu de nombreux éloges, notamment parce qu’il était l’un des rares à dépeindre la Russie autrement que comme un pays menaçant. Hubert Seipel a aussi été le premier journaliste européen à décrocher une interview avec le lanceur d’alerte réfugié en Russie, Edward Snowden. Problème cependant : notre enquête "Cyprus Confidential" révèle qu’il a été secrètement payé par la Russie, et selon toute vraisemblance, depuis au moins dix ans. 

Les documents prouvant l’existence de cet accord secret ont pu être révélés grâce à "Cyprus Confidential", une enquête internationale menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont la cellule investigation de Radio France est partenaire, et le média d’investigation allemand Paper Trail Media. Cette enquête, qui s'appuie sur une fuite de 3,6 millions de fichiers provenant de six prestataires de services financiers chypriotes, montre comment divers cabinets ont aidé des membres de l'élite russe à dissimuler des milliards de dollars d'actifs pour les soustraire à la menace des sanctions. Elle met également en lumière le rôle de Chypre en tant que plaque tournante financière utilisée par des proches de Vladimir Poutine.

Le président russe Vladimir Poutine  lors d’une interview avec le journaliste allemand Hubert Seipel à Vladivostok (Russie), le 13 novembre 2014 (MIKHAIL KLEMENTYEV / RIA NOVOSTI / KREMLIN POOL / MAXPPP)

Mais l’enquête révèle aussi qu'en 2018 et 2019, Hubert Seipel a perçu plus de 600 000 euros d'une société écran liée à Alexey Mordashov, un célèbre oligarque russe sanctionné depuis la guerre, en Europe et aux États-Unis, justement pour ses liens avec le Kremlin. L'arrangement signé par Hubert Seipel ne prévoyait pas de contrepartie directe. L'argent devait plutôt être une sorte de "contrat de sponsoring", en anglais "Deed of Sponsorship". Selon le document que nous avons consulté, cette somme devait servir à soutenir un projet de livre sur la Russie et à le rendre accessible à un large public.

"Une sacrée connerie"

Une note manuscrite apparaissant sur un document daté de 2018, permet de comprendre que le contrat passé avec Hubert Seipel prévoyait l’écriture d’"un livre sur l’environnement politique dans la Fédération de Russie". Le livre ainsi "parrainé" est effectivement paru en 2021 sous le titre Putins Macht. Warum Europa Russland braucht ("Le Pouvoir de Poutine. Pourquoi l'Europe a besoin de la Russie", livre non paru en France). Il a été publié par la célèbre maison d'édition Hoffmann und Campe qui est basée à Hambourg. Quant à savoir qui se cache derrière ce contrat de sponsoring, le lecteur n'en saura pas un mot.

Selon les documents auxquels nous avons eu accès, le journaliste n’en était pas à son coup d’essai. Une autre note fait référence à un accord passé en 2013 pour la rédaction d’une "biographie de Poutine". Or, le journaliste allemand a bien publié deux ans plus tard un ouvrage intitulé Poutine, une vision du pouvoir.

Interrogé par des journalistes partenaires de l’ICIJ, Hubert Seipel a d’abord indiqué que les flux financiers découverts au cours de notre enquête étaient "une sacrée connerie". Plus tard, il a reconnu avoir reçu de l’argent, et admis que l’oligarque Alexey Mordashov se cachait bien derrière le contrat de "sponsoring". Mais il dément toute corruption, et se défend d’être "une sorte d'agent de Poutine". Alexey Mordashov, selon Hubert Seipel, lui aurait permis d’effectuer des recherches approfondies pour ses deux livres. "C’est un entrepreneur qui sponsorise des projets avec des fonds privés", affirme-t-il. Sollicités, Alexey Mordashov et Vladimir Poutine n’ont pas répondu aux questions que leur ont adressées des partenaires de l’ICIJ. 


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