Guerre en Ukraine : en Russie, le doute s'instille face à la situation économique réelle du pays
En Russie, la question monte : quelle est la situation économique réelle du pays, aujourd'hui le plus sanctionné au monde, coupé d'une grand partie de l'économie mondiale, privé d'une partie de ses réserves – gelées – et dont de grands pans de l'industrie peinent à trouver des fournisseurs pour remplacer les produits occidentaux ? D'après le Financial Times, plusieurs responsables économiques russes, dont la gouverneure de la Banque centrale, tentent de faire pression sur le gouvernement pour qu'il publie à nouveau certaines statistiques économiques qui sont désormais tenues secrètes. Le pouvoir, lui, continue de clamer que la Russie résiste aux sanctions américaines et européennes.
Lundi 30 janvier, Komsomolskaya Pravda, un tabloïd, proche du pouvoir, titre ainsi : "Le miracle économique russe : pourquoi la Russie a une inflation et un chômage plus faibles que l'Europe ". Un leitmotiv pour ce tabloïd proche du pouvoir qui reprend là l'un des grands mantras martelés par Vladimir Poutine : l'économie russe devait s'effondrer sous l'effet des sanctions, selon de nombreux experts, mais ça n'est pas le cas, et c'est même le contraire. Chaque Russe peut effectivement constater dans sa vie quotidienne que le grand crash n'est pas intervenu. Les magasins sont approvisionnés, les services publics fonctionnent, et les théâtres, par exemple, ne désemplissent pas.
Officiellement, le PIB russe ne s'est contracté que de 2,5% l'an dernier. Le chômage est aujourd'hui à 4%, un taux historiquement bas, et l'inflation semble aujourd'hui maîtrisée après une forte hausse au printemps 2022. Mais aujourd'hui, le doute existe sur la fiabilité de ces chiffres gouvernementaux.
Des données classifiées depuis la guerre en Ukraine
Déjà, durant la crise du Covid-19, le gouvernement russe avait notoirement sous-estimé le nombre de morts. D'un point de vue économique, certains chiffres ne sont tout simplement plus publiés depuis le début de la guerre. "Au moment du déclenchement de la guerre, la Banque centrale de Russie avait publié une règle qui intimait l'ordre aux banques de second rang de ne plus publier leurs statistiques et leurs résultats financiers sur leurs sites internet mais de continuer à lui envoyer les informations à elle en privé, exactement comme à l'époque soviétique", explique Julien Vercueil, maître de conférence à l'Institut national des langues et civilisations orientales.
Les statistiques du commerce extérieur ou le niveau des réserves de changes sont désormais classifiés, considérés comme "sensibles dans le cadre de la guerre hybride menée par l'Occident" pour reprendre la terminologie du régime. Or, ces chiffres sont précisément ceux qu'il faudrait avoir pour évaluer l'impact réel des sanctions sur l'économie russe, et leurs effets à moyen et long terme.
Selon le Financial Times, cette opacité a fini par poser des problèmes à certaines élites économiques russes, parmi lesquels la très respectée gouverneure de la Banque centrale, Elvira Nabioullina. Tous plaident en faveur d'un retour de la publication de ces chiffres, car le manque de transparence finit par se retourner contre l'économie russe. Cette opacité pourrait faire fuir les investisseurs qui n'auraient pas de garantie. "C'est un vrai problème pour des gens qui ont été formés à la rigueur scientifique et économique et qui se retrouvent dans un conflit de loyauté", indique Julien Vercueil.
L'hypothèse d'un "crash silencieux"
Même si le grand crash promis par certains dirigeants occidentaux n'est pas intervenu, l'industrie, notamment, peine face aux sanctions. Un exemple : le groupe Lada peine à sortir des voitures de ses chaînes en ce moment et vient d'annoncer que les voitures ne seraient désormais disponibles qu'en trois couleurs : blanc, noir et vert foncé. Le constructeur n'arrive pas à trouver d'autres peintures. Au-delà de l'anecdote, c'est un véritable révélateur de ce que subit l'économie russe, qui en plus a vu des centaines de milliers d'hommes, souvent les plus qualifiés, les mieux formés, quitter le pays pour échapper à la mobilisation.
Pour certains experts, le PIB ne s'effondre pas parce qu'il est soutenu par l'industrie de défense, mais à long terme cela ne structure pas une économie. "Les sanctions ont eu leur efficacité pendant un certain nombre de semaines mais le système financier s'est réorganisé et, même s'il connaît une crise, il est malgré tout aujourd'hui en situation de continuer à fonctionner. C'est une des explications à l'absence d'effondrement de l'économie de la Russie", estime Julien Vercueil. Certains parlent d'un "crash silencieux". Mais en l'absence de chiffres fiables, chacun peut tirer le bilan qu'il souhaite.
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