"J'ai entendu Artiom être torturé" : un poète russe opposé à la guerre en Ukraine accuse des policiers de l'avoir violé lors de son arrestation, ses proches témoignent
L'arrestation d'Artiom Kamardine a fait grand bruit en Russie, en raison de l'intensité des violences commises par les forces de l'ordre. Sa petite amie et son colocataire témoignent pour franceinfo.
Un déchaînement de violence qui en dit long sur la répression qui vise les opposants russes. Artiom Kamardine, poète de 31 ans, a été interpellé chez lui, lundi 26 septembre. La veille, il dénonçait la guerre en Ukraine lors d'une lecture organisée devant la statue du poète Vladimir Maïakovski, sur la place Triumfalnaya, à Moscou (Russie), rendez-vous de la dissidence pendant la période soviétique. "Gloire à la Rus' de Kiev. La Nouvelle-Russie, va te faire foutre !" y clamait notamment Artiom Kamardine. Une référence à l'Etat slave médiéval et au projet impérialiste du Kremlin, qui convoite le sud et l'est de l'Ukraine.
Le lendemain, des membres des forces de sécurité cagoulés frappent à la porte de son appartement. Tout, sauf une surprise. "Il y avait déjà une voiture près de chez nous avec des employés en civil qui surveillaient", raconte à franceinfo son colocataire, Aleksandr Menyoukov. Alors qu'il entre dans la cuisine pour préparer du thé, ce dernier aperçoit une unité des forces spéciales, accompagnée de "gens avec des caméras". Selon le témoignage du jeune homme, l'équipe a d'abord fait irruption dans un autre appartement, avant de trouver la bonne adresse et de tambouriner à la porte pendant vingt minutes.
"Ils ont commencé à parler de viol"
Vers l'heure du déjeuner, les forces de l'ordre finissent par entrer. "Ils m'ont tiré les cheveux et un policier a demandé aux autres si c'était moi qu'ils recherchaient", poursuit Aleksandr Menyoukov. Quelqu'un a dit oui, alors ils m'ont frappé. Ensuite, quelqu'un a encore demandé : mais on est sûr ? Et là, ils se sont rendu compte qu'ils s'étaient trompés. Ils sont passés dans la chambre d'Artiom, après m'avoir encore frappé dans le dos."
"Ils ont alors commencé à traiter Artiom de nazi et ont menacé de le tuer. Ils hurlaient sur lui et le tabassaient", raconte à franceinfo Aleksandra Popova, également présente sur les lieux. "Quand ils ont appris que j'étais sa petite amie, ils m'ont aussi traitée de nazie. Ils ont menacé de tirer avec leur arme."
"Ils ont commencé à parler de viol et j'ai très clairement entendu qu'ils l'ont fait. Artiom leur disait d'arrêter, qu'il fallait discuter. Ils ont tout détruit dans l'appartement."
Aleksandra Popova, petite amie d'Artiom Kamardineà franceinfo
"Quand ça s'est passé, les portes étaient ouvertes. J'étais allongé dans ma chambre, les pieds vers la porte", raconte ensuite Aleksandr Menyoukov. Je n'ai rien vu, mais j'ai tout entendu. J'ai entendu Artiom être torturé, j'ai entendu ses cris, la police commenter. Ils l'ont fait se déshabiller et ainsi de suite. Je veux dire, je l'ai entendu clairement. Cela s'est passé littéralement à quelques mètres de moi."
La descente policière ne s'arrête pas là. "Après, ils l'ont filmé en train de présenter ses excuses. Ils ont lavé le sang sur son visage pour faire cette vidéo." Ces images sont vite apparues sur un canal Telegram. Accompagnées d'un message moqueur, les images sont entrecoupées de passages du rassemblement de la place sur la place Triumfalnaya. Deux agents plaquent notamment le visage ensanglanté d'Artiom Kamardine (franceinfo a choisi de flouter son visage) et la caméra s'attarde également sur un autocollant : "Honte à la Russie".
"Toute cette violence était préméditée"
Plus tard dans la vidéo, le trentenaire présente des excuses, à genoux et sous la contrainte : "Je demande pardon pour ce que j'ai dit hier sur la place Triumfalnaya." Selon Aleksandr Menyoukov, "toute cette violence était préméditée, à la manière d'une mise en scène. Par exemple, ils ont fait plusieurs prises pour avoir une bonne image d'Artiom quand il est sorti de l'appartement."
"Les forces de l'ordre m'ont prise par les cheveux et m'ont montré les images des tortures qu'ils lui avaient infligées", reprend Aleksandra Popova. "Mon visage est détruit par la glu, car ils essayaient de coller des autocollants sur ma peau. Ils ont aussi menacé de me violer à plusieurs." Aleksandr Menyoukov évoque aussi de nombreuses violences pendant l'interpellation. "Ils m'ont donné des coups de pied dans le dos, m'ont marché dessus", raconte-t-il, précisant que le passage à tabac a duré près de vingt minutes. "Ils ont essayé d'allumer l'ordinateur de boulot de mon ex. Ils m'ont frappé avec une matraque pour que je leur donne le mot de passe, dont je n'avais aucune idée."
"Ils ont pris un briquet Zippo sur l'étagère et ont versé l'essence. Mais merde, ils menaçaient de m'incendier !"
Aleksandr Menyoukov, colocataire d'Artiom Kamardineà franceinfo
Aleksandra Popova a été transférée dans un local du Comité d'enquête, tout comme son compagnon et Aleksandr Menyoukov. "J'ai vu un médecin, qui m'a délivré un certificat médical pour commotion cérébrale", explique la jeune femme.
Une plainte contre les forces de sécurité
Artiom Kamardine, lui, a été examiné à 2h28 du matin par un médecin à qui il déclare souffrir de douleurs consécutives au viol dont il accuse les forces de l'ordre. Le certificat médical, consulté par franceinfo, fait bien état d'une "contusion de la zone frontale, d'ecchymoses, d'hématomes et d'écorchures sur le visage et le torse", d'une "plaie sur la lèvre" et de "contusions à la poitrine". Au moment de l'examen, poursuit le document, "il n'y a pas de données sur les lésions du rectum".
Contacté par franceinfo, leur avocat, Leonid Soloviev, précise avoir porté plainte contre le Comité d'enquête fédéral. Ce qui n'a pas empêché Artiom Kamardine de comparaître à une première audience, mercredi. Sur les images tournées par les médias locaux, l'artiste apparaît avec un pansement et des marques sur le visage. "Je n'ai même pas pu lui parler depuis, car nous n'avons pas été autorisés à entrer au tribunal. Il n'a même pas pu me voir, pas plus que ses amis", explique Aleksandra Popova, qui a dû se contenter de photographies de l'audience. "Artiom faisait peine à voir et portait des vêtements ensanglantés".
L'artiste de 31 ans est soupçonné par la justice d'"incitation à la haine" contre des membres des milices de Donetsk et de Louhansk, un crime puni d'une peine allant jusqu'à six ans de prison. "Il n'a pas encore été mis en examen et a été placé en prison comme suspect", précise Leonid Soloviev. "Si cela ne se produit pas après huit jours, il doit être libéré." Un maigre espoir, auquel Aleksandra Popova ne semble même plus s'accrocher. "Il me disait qu'il m'aimait et que nous allions nous marier un jour. Mais le jour de son anniversaire, le 10 octobre, il dormira seul en prison."
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