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Le «fromagicide» russe ne passe pas, Twitter se régale

Si vous avez manqué les épisodes précédents : en réponse aux sanctions liées au conflit en Ukraine, la Russie a décrété un embargo sur les produits alimentaires venant d'Union européenne et des Etats-Unis. Un cap a été franchi le 6 août 2015 avec la destruction médiatisée de tonnes d'aliments. Le «fromagicide» a particulièrement inspiré les internautes.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La chaîne Russie 24 a dépêché une journaliste dans la région de Belgorod, à la frontière russo-ukrainienne, pour couvrir en direct et devant les bulldozers le «fromagicide» du 6 août 2015. (Russie 24 (capture d'écran) )

Le 6 août 2015 restera comme la date où, pour la première fois depuis que les produits alimentaires en provenance de l'Union européenne sont sous embargo, des tonnes de denrées ont été détruites : 9 tonnes de fromage dans le sud du pays, 40 tonnes de pommes, tomates et carottes près de Moscou, 73 tonnes de pêches et nectarines à la frontière avec la Biélorussie – en tout quelque 320 tonnes d'aliments. 

Jusque-là, les produits alimentaires étaient saisis et renvoyés dans leur pays d'origine. Mais avec ce décret du Kremlin prenant effet le 6 août 2015, il s'agissait de marquer le premier anniversaire de l’embargo russe, entré en vigueur en 2014 en représailles aux sanctions de l'Union européenne et des Etats-Unis, en lien avec le conflit ukrainien. Vladimir Poutine aurait ordonné que ces destructions aient lieu devant témoins et soient filmées, «afin d'empêcher toute corruption»

La télé russe a donc diffusé en boucle des images de fromages, fruits et mêmes volailles ou porcs écrasés au bulldozer puis enfouis ou incinérés devant les caméras. Des affaires de sombres trafics ont été mises au jour. Un numéro vert a été mis en place pour que les consommateurs puissent dénoncer les commerçants qui vendraient des produits interdits. Au passage, l'embargo fait bien les affaires du camembert russe : à environ 10 euros la boîte, il se vend comme des petits pains ! (vidéo)

Pourtant, à part les chaînes de télé pro-Kremlin, les médias russes ont trouvé ces destructions un peu dures à avaler. Dans un éditorial, le quotidien économique Vedomosti s'est indigné de cette «barbarie ostentatoire» et de cette «guerre absurde contre la nourriture en période de crise économique»Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, les a rappelés à l'ordre en leur demandant de «ne pas exagérer le problème» : ces denrées sont «de la pure contrebande», selon les autorités. Quant aux médias internationaux, ils ont dénoncé, comme par exemple Rue89, «l'absurde guerre de la Russie à l'Europe». Le hashtag #fromagicide, classé parmi les «mots de la semaine» par le site anglophone Wordnik, a fait un tabac international sur Twitter.
 
Dans la population russe, ces destructions passent mal. Selon un sondage de la radio Echo de Moscou, 87% des Russes y sont hostiles. Mais le Kremlin a fait savoir qu'il ne serait pas tenu compte des pétitions qui réclament leur arrêt – plus de 300 000 signatures pour celle de Change.org, qui demande que la nourriture saisie soit donnée «aux anciens combattants, aux handicapés, aux familles nombreuses et à ceux qui ont souffert des récents désastres naturels». Un député de l'opposition avait proposé que ces produits soient plutôt expédiés vers la région du Donbass en guerre. Plus proches du pouvoir, le chef du Parti communiste Guennadi Ziouganov ou l'avocat Evguéni Bobrov, membre du Conseil des droits de l'Homme du Kremlin, ont dénoncé une «mesure extrême» et une «proposition arbitraire».

Même si le ministre de l'Agriculture soutient que ces produits étaient «de qualité douteuse», les Russes, surtout la génération qui a vécu la Seconde guerre mondiale, ne comprennent pas que «dans un pays ayant survécu à une épouvantable famine et aux affreuses années d'après la Révolution, l'on puisse détruire des produits alimentaires», comme le résume une personnalité des médias plutôt pro-Kremlin. Pour une fois, les protestations vont bien au-delà du cercle habituel de l'opposition. 

«Un péché et une honte dans une ville qui a vécu le blocus», manifeste cette habitante de Saint-Pétersbourg (tweeté par Radio Liberté). 
La version du célèbre caricaturiste Serge Elkine :
Autre détournement de tableau célèbre, «Ivan le Terrible assassinant son fromage» (les mots «fils» et «fromage» ne diffèrent que d'une lettre en russe) à partir de l'Assassinat du tsarevitch d'Ivan Répine.
Bref, «le parmesan, c'est l'ennemi de la Russie», et heureusement que Poutine est là pour la sauver...
Plus politiques, certains se sont permis un parallèle avec les soldats russes en Ukraine, enterrés dans la honte et sans caméras...
Le mot de la fin à cet internaute de Kalouga : «Et pendant ce temps-là, en France...»

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