Le rêve eurasiatique de Moscou est-il un mirage?
Elle semble loin, l'embellie économique du premier mandat de Vladimir Poutine, quand les Russes voyaient leur pouvoir d'achat s'envoler – d'où une popularité encore inentamée, même si la hausse du prix des hydrocarbures en était plus responsable que le gouvernement... Après quinze ans au pouvoir, le président russe se heurte, pour son troisième mandat, à deux obstacles économiques majeurs : la chute du prix du baril de pétrole qui a fait plonger le rouble (même s'il s'est un peu remis de sa chute) et les conséquences des sanctions européennes et américaines liées au conflit en Ukraine.
Compter sur la vente du gaz et du pétrole ne suffit plus... Or, l'économie russe, peu ou pas diversifiée, repose toujours sur les hydrocarbures. La Russie, qui n'a pas suffisamment misé sur l'éducation ni réglé ses problèmes de corruption, n'apparaît plus forcément comme une grande puissance et attire moins les investisseurs étrangers. Une alliance avec la Chine et ce fameux projet d'Union économique eurasienne peuvent-ils lui redonner de l'influence ?
Grand rapprochement avec la Chine
Face à la récession qui s'installe et à l'isolement sur la scène internationale, Poutine joue la carte de la Chine, autre pays «émergent» des BRICS et nouveau banquier du monde. Un grand rapprochement mis en scène lors des commémorations de la victoire sur l'Allemagne nazie par la Russie, le 9 mai 2015. Et à replacer, comme le note Pierre Haski sur Rue89, «dans le contexte précis du conflit en Ukraine, des tensions entre la Russie et l’Occident, et des sanctions économiques européennes et américaines qui, doublées de la baisse des prix de l’énergie, ont sérieusement ébranlé l’économie russe. Moscou et Pékin ont un intérêt commun bien compris : montrer à Washington, et accessoirement aux Européens, qu’ils ne sont pas maîtres du monde et que, comme l’a proclamé Vladimir Poutine, "le monde n’est pas unipolaire"».
Pour ne pas dépendre uniquement des acheteurs occidentaux, Moscou multiplie donc les accords commerciaux avec Pékin. En mai 2014 a été signé un accord de livraison de gaz russe vers la Chine (400 milliards de dollars sur trente ans). Pékin a accordé à la Russie une ligne de crédit chinoise d’un milliard de dollars à une banque d’investissements russe. Mais, note Pierre Haski, «aujourd’hui, dans le couple Pékin-Moscou, c’est Pékin qui a le dessus, disposant des ressources, des entreprises, du marché... Moscou a certes les ressources naturelles et les armements dont Pékin a besoin, mais plus les moyens, ni les entreprises, pour construire les infrastructures nécessaires ; à l’image de ce TGV Moscou-Kazan financé et construit par les Chinois».
«OCS» dans les relations sino-russes ?
Bien que «la Russie et la Chine imitent un "partenariat stratégique" et parlent de leurs "excellentes" relations "sans précédent"», en réalité, «les relations sino-russes deviennent de plus en plus sèches, on y perçoit de plus en plus d'éléments de concurrence ouverte», peut-on lire sur le site (très) proche du Kremlin Sputniknews, dans un papier d'opinion qui «ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction», est-il précisé. «Avant tout, poursuit l'auteur, il s'agit de la compétition pour l'influence en Asie centrale, c'est-à-dire dans la zone d'action de l'OCS, Organisation de coopération de Shanghai.»
L'OCS, parfois appelée «l'Otan orientale», n'est pas seulement une structure politico-militaire à visées sécuritaires qui regroupe la Russie, la Chine et les ex-Républiques soviétiques d'Asie centrale : c'est aussi une organisation de coopération économique. «Dans l’OCS, un grand gagnant, la Chine, un perdant, la Russie, et de grands perdants, les pays d’Asie centrale», aurait prophétisé un diplomate français, cité par Diploweb. «La grande inquiétude pour la Russie est qu’un jour la Chine devienne leader dans l’OCS et dans la région d’Asie centrale, poursuit l'article. La Russie essaie de créer sa propre structure pour y devenir un leader absolu»... une Union eurasiatique économique, devenue la priorité de la politique étrangère russe.
Rêve eurasien ou mirage ?
Depuis la crise ukrainienne qui éloigne l'Europe de la Russie, la construction de cette Union eurasiatique chère à Vladimir Poutine et entrée en vigueur en janvier 2015 apparaît comme un «plan B» : les projets de partenariats économiques avec Ia Chine, mais aussi l'Inde et l'Iran, s'intensifient. «Le seul effet des sanctions [liées au conflit en Ukraine] aura été de précipiter un mouvement qui était prévisible sur les dix prochaines années : (...) développer de plus en plus ses liens avec les pays d’Asie et les pays émergents», se félicite l'auteure d'un billet optimistement intitulé «La Russie sort de la crise» dans son blog hébergé chez Mediapart. Mais selon l'analyste Chris Weafer, «le potentiel de cette union ne se concrétisera que si l'économie russe se redresse». Pour lui, cette dernière souffre surtout, et pour la première fois depuis quinze ans, d'un problème durable de croissance.
Ce rêve eurasien d'un pont entre l'Europe et l'Asie pacifique, d'un nouveau pôle d'influence mondiale structuré autour de la Russie a débuté avec l’Union douanière de 2010 qui réunissait le Kazakhstan et la Biélorussie. Mais du côté de l'«étranger proche», concept apparu dans la politique étrangère russe en 1996, personne n'est trop pressé de rejoindre le giron de l'ex-«grand frère», sans parler du rapport de force économique, trop inégal. Le président bulgare, par exemple, n'est pas client de ce «projet allant de Lisbonne à Vladivostok qui nie et exclut l'UE en tant que telle».
Poutine ne fait pas d'économie, mais de la politique
Outre qu'elle va avoir du mal à rivaliser avec l'UE, cette Union économique eurasiatique (ou eurasienne), UEEA, construite sur et contre le modèle européen ne témoignerait-elle pas d'une vision économique un peu courte ? Comme le rappelle Andreï Milekhine, président de la holding de recherche Romir, «il ne faut pas oublier que chez nous, la politique est placée au-dessus de l’économie». Et selon la politologue Cécile Vaissié, c'est tout le problème de l'économie russe : ses choix (ne) sont (que) politiques.
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