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Législatives en Russie: Khodorkovski revient et il prépare l'avenir

Dimanche 18 septembre, les Russes votent pour renouveler la Douma et ses 450 députés. Des élections jouées d'avance mais qui voient revenir sur la scène politique l'ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski. Depuis son exil à Londres, il parraine 19 candidats via sa plateforme Open Russia. Avec, en ligne de mire, 2018 et un projet plus ambitieux (et plus risqué ?): «Remplacer Poutine».
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Interviewé (lien en anglais) le 13 septembre 2016 sur CNN par Christiane Amapour, l'opposant et ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski dénonce de «fausses élections». (Capture d'écran CNN)

Khodorkovski, le retour. L'ancien oligarque et ex-patron de Ioukos s'était engagé, depuis sa libération en 2013, à ne plus se mêler de politique... Depuis son exil à Londres, cet ennemi de Poutine sous mandat d'arrêt international parraine 19 candidats (lien en russe) aux élections législatives qui vont tenter d'entrer à la Douma (chambre basse du Parlement russe).
 
Suprise : les 19 candidats d'Open Russia autorisés à se présenter
«Des hommes et des femmes politiques issus de l’opposition extra-parlementaire, des activistes, des personnalités de la société civile, des députés provinciaux…», détaille un reportage du site d'Arte. Ils ont été choisis parmi les centaines de postulants sur la plateforme (lien en russe) Open Russia (Russie ouverte), lancée en 2014 depuis son exil en Suisse, justement en vue de ces élections. Ils se présentent sous diverses étiquettes (Open Russia n'est pas enregistré en Russie) : Parnas, le parti de l'opposant libéral assassiné Boris Nemtsov, ou autres, tel le Parti libertaire, comme Andreï Chalnev (vidéo ci-dessous).


Le plus connu de ces 19 candidats est une opposante très populaire, Maria Baronova, issue des grandes manifestations de l'hiver 2011-2012. Cette chimiste devenue une figure incontournable de l'opposition se présente dans la circonscription centre-ville de Moscou... face à un candidat de Parnas.

A priori, rien ne garantissait que ces candidatures soient validées par la Commission électorale centrale. L'opposition accuse cette instance d'avoir manipulé les résultats de plusieurs élections en refusant d'enregistrer ses listes sous des prétextes fallacieux. Mais le Kremlin veut cette fois des «élections propres» et a donné quelques gages de transparence... Le président de la Commission a ainsi été remplacé par l'ex-déléguée aux droits de l'Homme auprès du Kremlin, Ella Pamfilova. Plutôt libérale, elle est réputée très attentive à la question des fraudes électorales.

Interviewé le 13 septembre (liens en anglais et en russe) sur la chaîne américaine CNN par la journaliste Christiane Amanpour, Mikhaïl Khodorkovski s'est dit «surpris, mais pas tant que ça». L'enjeu de ces «fausses élections à un faux Parlement», selon lui, est surtout d'«utiliser
ce spectacle politique pour présenter à la société une alternative».

L'enjeu pour Open Russia : préparer l'avenir
«Ça fait seize ans que la Russie n’a pas eu d'élections reconnues comme libres et honnêtes, expliquait en juin le coordinateur du mouvement, Vladimir Kara-Murza, cité par RFI. Il s'agit surtout de préparer l'avenir : et donc on sait qu’il y aura un accès inégal aux médias, qu’il y aura des falsifications des résultats, qu’il y aura pression sur les candidats d’opposition. Mais ne n’est pas une raison pour ne rien faire. C’est un projet pour l’avenir parce que, un jour, on va avoir des élections libres et démocratiques en Russie. Et il faut commencer à s'y préparer aujourd’hui.»

Malgré quelques améliorations de forme, le résultat de ces législatives est en effet connu d'avance : la participation sera faible, et le parti présidentiel, Russie unie, vainqueur incontesté bien qu'il soit en chute libre dans l'opinion (passant de 42% à 31% dans les sondages) pour cause de crise économique 
– Poutine, lui, caracolant à 80% d'opinions positives.

Ce n'est donc pas à la Douma, discréditée et surnommée «l'imprimante folle» pour sa manie de pondre des  textes législatifs, que se fera la révolution «inévitable» prophétisée par Khodorkovski. Open Russia vise plutôt 2018 et vient de lancer, le 12 septembre, un  nouveau projet, «Remplacer Poutine» (lien en russe). 

Vmestoputina.ru («Remplacer Poutine»), un projet et un site lancés le 12 septembre sur la plateforme Open Russia, en vue de l'élection présidentielle de 2018. (Capture d'écran / khodorkovsky.ru)


Le site regroupe d'ores et déjà 13 personnalités de l'opposition, à commencer par Alexeï Navalny, interdit de législatives pour cause d'ancienne condamnation. On y trouve aussi le président de Parnas Mikhaïl Kassianov, la fille de Boris Eltsine, ou le président de l'autre parti libéral concurrent et proche de Parnas (Yabloko), Grigori Yavlinski...

«Remplacer Poutine» en 2018... avec quelles chances et quels risques?
Mikhaïl Khodorkovski est aujourd'hui visé par une accusation de meurtre sur la personne du maire de Nefteyougansk un dossier politique, selon lui – qui rend impossible toute perspective électorale. Depuis sa libération en 2013 après dix ans de prison, quand il promettait d'abandonner la politique pour se consacrer à la défense des droits de l'Homme, l'opposant a changé son fusil d'épaule. Il a avoué des ambitions présidentielles, avant de renoncer à défier personnellement Poutine en 2018. Peut-il vraiment créer l'alternative ?


Selon Ilya Yachine, figure de l'opposition et vice-président de Parnas, l'influence de Mikhaïl Khodorkovski, même à distance, est certaine :«Il a vécu une énorme expérience (ses dix ans de prison), il possède un grand potentiel intellectuel, il dispose de partisans et d’une organisation en Russie qui réalise nombre de projets civiques et électoraux». Une opinion que ne partage pas la journaliste de RBTH (Russia beyond the Headlines) Ekaterina Sinelchtchikova : «L’ordre du jour qu’il tente d’imposer par le biais de ses ressources et de ses compagnons de route (une justice indépendante, l’annulation des "lois répressives" et la libération des détenus politiques) n’intéresse pratiquement personne aujourd’hui. Ce sont les sujets sociaux et économiques qui ont le vent en poupe.» 

Le fait est que vu son passé d'oligarque et ses positions pro-occidentales, Khodorkovski n'est guère crédible pour une opinion russe très remontée contre «les agents de l'étranger» – une catégorie dans laquelle vient d'entrer l'institut de sondages indépendant Levada. Le même institut avait enquêté en février sur la confiance ou la méfiance (lien en russe) vis-à-vis des hommes politiques : l'opposant en exil arrivait largement en tête de liste.

Dans son film Citizen Khodorkovski, le réalisateur Eric Bergkraut a tenté de cerner sa «personnalité ambiguë». Il se dit «convaincu que Khodorkovski croit au modèle de démocratie occidentale»... «(Mais son futur rôle) n’est pas clair du tout car c’est un homme du passé qui essaye de devenir un homme du futur».

Qu'en dit le Kremlin ? Pour le moment, il refuse de s'en inquiéter. Son porte-parole Dmitri Peskov, cité par les Echos, a déclaré le 12 septembre «ne pas faire attention» au projet de Khodorkovski. Selon lui, l'exilé fait partie des «personnes définitivement coupées de la Russie».

Cette indifférence n'est pas de trop bon augure, analyse le journal Nezavissimaïa Gazetasans compter que «(des gens comme) la fille de Boris Elstine ne risquent pas d'attirer les électeurs». Quant au site pro-Kremlin Sputnik, il pointe «(une absence) de plateforme idéologique, certains candidats se déclarant "sociaux-démocrates", d'autres "libertariens" et encore "partisans d'un Etat fort". La seule condition, être de bonne foi et ne pas avoir peur de s'associer avec l'ancien oligarque».

Après le meurtre en pleine rue de Boris Nemtsov, l'opposant craint-il pour sa vie? «Tout au long de ces dix années en prison, je savais qu'on pouvait me tuer à tout moment. Si Poutine le veut, je peux être supprimé ici même (aux Etats-Unis). Aujourd'hui, cela se ferait plus difficilement, mais cela reste possible», a-t-il confié à CNN. Avant d'affirmer qu'il «tente de mener sa vie de façon à ce que Poutine le considère, comme la journaliste Anna Politkovakaïa, plus dangereux mort que vivant».

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